mardi 12 novembre 2013

Sur l'Iran, "Vive la France"

Surprise et reconnaissance ont été les sentiments d'une bonne partie de l'opinion américaine en voyant la France faire capoter à Genève un accord garantissant à l'Iran la préservation de son programme nucléaire vaguement gelé contre une levée des sanctions.
Le Wall Street Journal exprime bien dans cet éditorial l'étendue des dommages qui ont été provisoirement évités. Il ne dit rien cependant des motivations effectives de la France.
(Note du traducteur)
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La France a épargné à l'Occident un très mauvais accord nucléaire avec l'Iran. Nous n'aurions jamais imaginé que nous nous dirons cela un jour. Mais remercions le ciel pour cette position unique de la politique étrangère de la France. Le gouvernement socialiste de François Hollande a sauvé l'Occident, au moins dans l'immédiat, d'un accord qui aurait garanti à l'Iran l'accès au statut de puissance nucléaire.

Bien que les détails de la négociation ne soient pas encore entièrement connus, la France a fait savoir clairement samedi qu'elle s'opposait à un accord nucléaire que le premier ministre anglais David Cameron et le président Barak Obama étaient trop impatient de signer. Ces deux dirigeants n'ont rien retenu, à la différence de n'importe quel Iranien, de Tony Blair, de Margaret Thatcher, de Ronald Reagan ou de Georges W. Bush. C'est pour cela que le soin de nous protéger d'une catastrophe historique en matière de sécurité a été laissé aux Français, au ministre des affaires étrangères Laurent Fabius qui déclarait dans une interview à une radio française que si la France espérait un accord avec Téhéran elle n'accepterait pas un « marché de dupes. »

Et c'est exactement ce qui semble avoir été sur la table au titre d'un « accord préalable», à l'œuvre pour six mois au cours desquels les parties auraient négocié un accord final. On aurait permis à Téhéran de poursuivre l'enrichissement d'uranium, la production de centrifugeuse, et  la construction d'un réacteur nucléaire au plutonium près de la ville d'Arak. L'Iran aurait aussi bénéficié immédiatement d'une réduction des sanctions et de la levée du gel de pas moins de 50 milliards de dollars de revenus pétroliers, ce qui n'est pas un mince avantage pour un régime dont les recettes pétrolières annuelles ont atteint au maximum 95 milliards de dollars en 2011.

En retour, l'Occident doit s'en tenir aux promesses iraniennes. La promesse de ne pas activer le réacteur Arak, la promesse de ne pas utiliser les centrifugeuses de la dernière génération pour enrichir l'uranium et ne pas en installer de nouvelles, la promesse d'interrompre l'enrichissement de l'uranium à 20 % qui est proche du combustible de qualité militaire de la bombe, et la promesse de convertir les stocks existants en oxyde d'uranium (un processus par ailleurs réversible).

Ce que l'Iran n'a pas promis c'est de respecter le Protocole additionnel du Traité de non-Prolifération Nucléaire, qui exige des enquêtes supplémentaires sur l'Iran et qui permet aux inspecteurs de l'ONU de procéder à des inspections sans préavis des installations nucléaires. L'Agence Internationale pour l'énergie atomique (AIEA) regrette depuis des années que l'Iran refuse de répondre de façon complète aux questions, et qu'il ne permette pas l'accès des inspecteurs à toutes ses installations. Les inspecteurs de l'AIEA ont été empêchés de visiter Arak depuis août 2011.

En d'autres termes, l'accord consentait à l'Iran un allègement des sanctions immédiat, même s'il était partiel, et lui permettait de conserver intactes ses infrastructures nucléaires et de les étendre à un rythme ralenti. De plus le projet ne comprenait aucun mécanisme significatif permettant de vérifier son application. Le président Obama a déclaré mercredi à Chuck Todd de la NBC qui l'interviewait : « Ce que nous devons faire, c'est être bien sûrs de mettre en place un bon accord permettant de vérifier ce qu'ils sont en train de faire. » C'est tout le contraire que nous avons là.

Le président a aussi déclaré à M. Todd que si l'Iran n'honorait pas les engagements inscrits dans l'accord, les États-Unis pourrait appliquer à nouveau les sanctions existantes : «Nous pouvons faire marche arrière

Le président nous induit encore une fois en erreur. Quand les sanctions seront partiellement levées on pourra toujours avancer l'argument (ce sera sans doute celui de M. Obama) que revenir en arrière donnerait à l'Iran des excuses pour reprendre l'enrichissement. Tout accord «intérimaire» attribuerait un pouvoir de négociation supplémentaire à l'Iran. Si ce pays a véritablement l'intention de mettre fin à son programme nucléaire, il doit être d'accord pour le faire immédiatement et inconditionnellement.

Tout cela n'est que la répétition de la stratégie poursuivie par l'Iran depuis que ses installations nucléaires illégales ont été découvertes en 2002. L'actuel président iranien, Hassan Rouhani, était le négociateur de son pays de 2003 à 2005, au moment où l'Iran a brièvement suspendu ses activités nucléaires civiles et militaires sous la menace d'une pression internationale intense (et celle des armées américaines sur ses frontières avec l'Irak et l'Afghanistan). Le précédent de cette suspension est considéré par les négociateurs américains comme le modèle à réaliser à présent.

C'est en fait le modèle dont ils doivent prendre garde. «Téhéran a montré qu'il était possible d'exploiter la division entre l'Europe et les États-Unis pour réaliser les objectifs iraniens,» a reconnu dans ses mémoires Hossein Mousavian, l'adjoint de M. Rouhani à l'époque. « La 'suspension' entendue initialement au plan mondial comme une obligation juridiquement contraignante, s'est transformée en un engagement volontaire fondé sur une relation de confiance

À présent les États-Unis semblent en train de tomber à nouveau dans le même piège. Cette fois cependant, l'Iran est plus proche de la réalisation de ses objectifs nucléaires. Il ne faut pas s'étonner que Benyamin Netanyahou se sente contraint d'avertir l'Administration et l'Europe qu'elle risque de signer « un très très mauvais accord,»? C'est le reproche public brutal d'un premier ministre qui a toujours été particulièrement prudent dans sa critique de la Maison-Blanche. Les Saoudiens, qui ont perdu confiance dans cette administration depuis longtemps, partagent sans doute une analyse similaire. La BBC a rapporté la semaine dernière que le royaume avait des armes nucléaires «en commande» au Pakistan.

Les négociateurs ont prévu de reprendre les conversations le 20 novembre, et la France va être soumise à une pression énorme pour aller dans le sens un accord. Nous espérons que MM. Hollande et Fabius résisteront, et que le Congrès américain pourra les aider en renforçant les sanctions et en passant une résolution exigeant que tout accord avec l'Iran inclue nécessairement la fin de l'enrichissement de l'uranium, le démantèlement de la filière  plutonium d'Arak et de toutes les centrifugeuses, ainsi que des inspections intrusives à la demande. Tout ce qui serait en retrait signifierait que l'Iran cherche tout simplement à rouler l'Occident dans la farine en obtenant une levée des sanctions tout en conservant la possibilité de relancer son programme à son gré.

Titre original : Vive La France on Iran
Éditorial de Wall Street Journal, le 10 novembre 2013
Traduction: Jean-Pierre Bensimon

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