dimanche 27 avril 2014

Les grandes puissances doivent rejeter l'offre iranienne

Les grands titres des journaux sur les compromis et les concessions proposés par Téhéran sont partie intégrante de sa stratégie de négociation.

Parmi nous, ceux qui se contentent de lire les grands titres des sites Internet d'information cette semaine, doivent avoir  l'impression que l'Iran est prêt à faire des concessions significatives sur son programme nucléaire, et que la crise liée au programme nucléaire militaire iranien est derrière nous.

Un grand titre annonçait que « l'Iran à neutralisé la moitié de son stock d'uranium hautement enrichi » Un autre grand titre relatait que le chef de l'Organisation de l'Energie Atomique d'Iran, Ali Salehi, a déclaré que l'Iran et les grandes puissances étaient parvenus à un accord sur des changements techniques qui réduiraient la production du réacteur à eau lourde d'Arak, un réacteur qui ne peut pas produire du plutonium pour une bombe nucléaire avant son achèvement.

L'Iran semble montrer une volonté de compromis sur les deux filières qui conduisent à l'arme nucléaire : la filère de l'uranium enrichi et celle de la production de plutonium. C'est précisément le message que Téhéran désire imprimer dans les esprits en Occident.

Le site du réacteur à eau lourde d'Arak (filière plutonium)

Mais un regard sur le texte en petits caractères des informations diffusées, et une meilleure compréhension du programme nucléaire iranien dans son ensemble, aboutissent à une image complètement différente. La réduction des stocks d'uranium enrichi, par exemple, n'est pas une concession de l'Iran mais la simple application d'un engagement pris lors de l'accord intérimaire signé en novembre 2013. Téhéran avait accepté de détruire ses stocks d'uranium enrichi à 20 %, qui ne sont pas suffisants pour une seule bombe, dans le but de préserver ses stocks faiblement enrichis (3-5%) qui sont suffisants pour au moins six bombes.

C'est la stratégie de l'Iran dans les négociations avec les grandes puissances : préserver et maximiser ses succès tout en minimisant ses concessions. Ainsi, au lieu d'accepter la demande des grands pays de modifier le réacteur d'Arak de sorte qu'il ne soit plus capable de produire une matière fissile utilisable pour une bombe, l'Iran a proposé des changements techniques qui réduiraient sa capacité de production, mais  ne l'annuleraient pas. Ces changements techniques sont réversibles si l'Iran prend la décision de violer l'accord.

L'Iran est en train de se donner l'image d'un pays prêt à faire des concessions importantes, mais au même moment il préserve ses capacités fondamentales sur les deux filières qu'il développe pour réaliser une arme nucléaire.

L'Amérique suggère de se focaliser sur un système d'inspection rigoureux et sans précédent du programme nucléaire iranien dans le cadre d'un accord définitif. Cette exigence est nécessaire pour empêcher l'Iran de développer une arme nucléaire dans l'avenir, mais elle est insuffisante. Les systèmes d'inspection internationale ne sont pas parfaits et ils ont toujours été mis en échec. Ils ne sont pas parvenus dans le passé à identifier à temps les programmes déployés par l'Irak, la Libye, la Corée du Nord, la Syrie et l'Iran visant à développer secrètement un secteur nucléaire militaire. Ces systèmes d'inspection peuvent être annulés en cas de décision unilatérale de l'Iran, comme cela s'est produit avec la Corée du Nord.

Un accord de limitation de la capacité d'enrichissement

Il faut donc se mettre d'accord sur les paramètres qui maintiendront l'Iran loin de la bombe et étendront les délais requis pour développer une arme nucléaire si ce pays décide d'expulser les inspecteurs ou de quitter le traité de non-prolifération.

Au titre de cette demande, les grands pays peuvent exiger que l'Iran détruise la plupart de ces centrifugeuses et garde un nombre symbolique de centrifugeuses non-avancées. Ils doivent exiger que le stock d'uranium enrichi détenu par l'Iran soit limité à un bas niveau, et à un volume symbolique (inférieur au volume requis pour une seule bombe).

Ils doivent aussi demander le démantèlement du site d'enrichissement enterré dans une montagne près de Qom, dont le but est de garantir la protection d'un site invulnérable pour un saut rapide vers la bombe. Ils doivent demander que le réacteur d'Arak soit modifié pour ne pas être utilisable dans un but militaire, et exiger des réponses aux questions pendantes qui concernent les dimensions militaires du programme nucléaire iranien.

Ils doivent aussi décider que l'accord sera approuvé par le Conseil de sécurité et qu'il demeurera en vigueur pendant de nombreuses années, un délai garantissant un réel changement dans la conduite stratégique de l'Iran.

Ali Salehi, qui a «rapporté» l'information sur un accord à propos de Arak, a évoqué la nécessité d'accepter une augmentation (!) du nombre de centrifugeuses de l'Iran jusqu'à 20.000 unités, dans le but de produire 30 tonnes (!) de combustible pour le réacteur de Busher. Cette suggestion doit être rejetée parce que l'Iran n'a pas besoin d'une production de combustible, il en reçoit un volume suffisant de la Russie, et parce que l'augmentation du stock de centrifugeuses et de matériau enrichi rapprocherait l'Iran de la bombe au lieu de l'en éloigner.

La position israélienne officielle appelle encore à un démantèlement complet du programme nucléaire iranien, mais il semble que même les proches alliés d'Israël, les États-Unis, se sont faits à l'idée d'autoriser les Iraniens à conserver un droit d'enrichissement nucléaire sous certaines restrictions.

Il s'ensuit, que même si les déclarations publiques israéliennes jouent un rôle pour prévenir une dérive de la position américaine dans les négociations avec l'Iran, derrière des portes closes, Israéliens et Américains doivent dessiner les contours d'un accord final avec lequel Israël puisse vivre, même s'il comporte une capacité iranienne limitée d'enrichissement de l'uranium. Il doit garantir que le temps nécessaire pour que l'Iran développe une arme nucléaire si elle décide de le faire, se compte en années plutôt qu'en mois. Il doit permette à la communauté internationale de détecter une «percée» vers l'arme, de décider d'un plan d'action, et de le mettre en œuvre avant que les Iraniens ne parviennent à leurs fins.

Asséner la position officielle israélienne, même dans les discussions closes, pourrait anéantir toute possibilité pour Israël d'influencer les négociations avec l'Iran dans lesquelles il n'est pas présent. (*)

Note du traducteur:

(*) Si Amos Yadlin analyse correctement la stratégie d'intoxication de l'Iran, sa suggestion de modifier la position officielle israélienne visant à démanteler les installations nucléaires iraniennes, est sujette à caution. Il affirme qu'Israël doit accepter, comme son allié américain le lui susurre, le maintien d'une certaine capacité d'enrichissement entre les mains du régime des mollahs, qui laisserait quand même à la communauté internationale le temps d'agir en cas de percée nucléaire des Iraniens. Il ne tient pas compte de ce qu'il a démontré lui-même plus haut, à savoir que la fiabilité des systèmes d'inspection est aléatoire, et qu'ils ne sont jamais parvenus à identifier les activités nucléaires secrètes de nombreux pays. Il semble par ailleurs tenir pour acquis que le repérage de la "percée" serait suivie d'une action décisive. C'est mal connaître la puissante réticence de l'Occident à utiliser la force avec l'Iran, et négliger l'éventualité de l'enlisement des grandes puissances, ultérieurement, dans une crise internationale dans une toute autre région. Enfin la suggestion du renvoi du problème au Conseil de Sécurité de l'ONU garantit la paralysie d'une riposte fiable, les mollahs le savent, plutôt que sa promptitude

Le Major-General (res.) Amos Yadlin, est un ancien dirigeant du Directoire des Renseignements militaires de l'armée israélienne: il est actuellement directeur de l'Institut des études internationales (INSS) de l'université de Tel Aviv.

Titre original : World powers must reject Iranian offer
Par Amos Yadlin Ynet News, le 23 avril 2014 
Traduction : Jean-Pierre Bensimon

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire