jeudi 15 mai 2014

Un accord exquis pour les mollahs

L'accord qui est en train d'émerger des négociations entre le groupe des six puissances (les membres permanents du Conseil de Sécurité plus l'Allemagne) et l'Iran se présente de plus en plus comme une suite de recul devant le régime des mollahs. Jusqu'où? (NdT)


A l’occasion de la reprise des négociations entre le groupe dit P5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité plus l’Allemagne) et l’Iran pour traiter de l’avenir du programme nucléaire iranien, le Groupe sur les Crises internationales (International Crisis Group  ou ICG) a publié l’ébauche détaillée d’un prochain accord final. Établi à la suite de conversations approfondies avec des responsables de P5+1 et de l’Iran, ce rapport du 9 mai indique à quoi pourrait ressembler un accord dépassant les oppositions entre les « lignes rouges » tracées par les deux parties. Pour celui qui redoute les intentions de l’Iran nucléaire, il s’agit d’un document particulièrement préoccupant.

La colonne vertébrale du règlement présenté n’a rien de nouveau : l’Iran accepte de réduire sa capacité d’enrichissement de façon que « le délai d’une percée » -le temps nécessaire à la production du combustible d’une arme nucléaire en cas d’accélération maximale du processus d’enrichissement– soit augmenté de deux mois à peu près pour s’établir à neuf mois (le point moyen du délai de six à douze mois suggéré par le secrétaire d’Etat John Kerry dans son compte-rendu au Sénat du mois dernier ). L’Iran accepterait aussi un régime rigoureux d’inspections pour être sûr qu’il ne dépasse pas le volume d’uranium enrichi toléré, et qu’il ne développe pas les composants mécaniques d’une bombe. En échange, les sanctions économiques qui handicapent l’Iran seraient levées.

Le problème qui se pose si on laisse l’Iran conserver son programme nucléaire si près du seuil de production d’une bombe, c’est qu’il peut tout simplement mettre en veilleuse sa percée vers l’arme nucléaire jusqu’au moment où ses relations avec la  coalition des puissances mondiales affamées d’énergie qui lui forcent la main aujourd’hui se seront normalisées, et où leur désir d’une coopération avec lui sur la Syrie, Gaza et les autres points chauds du Moyen-Orient prendront le pas sur le reste.

Laisser à l’Iran la capacité de transformer rapidement son uranium en arme est un problème. Mais la légitimation internationale  du statut d’État du seuil  accordé à la République islamique comporte des avantages stratégiques immenses qui vont bien au-delà. La crainte de pousser Téhéran à franchir le seuil découragera surement la communauté internationale de punir l’Iran en cas de financement du terrorisme, d’intervention de ses groupes supplétifs sanguinaires dans la région, ou s’il commet d’autres forfaits. Et la pérennisation d’une infrastructure nucléaire iranienne suffisante pour produire une bombe en neuf mois induira surement des effets d’intimidation de ses rivaux dans la région.

Mais dans le rapport de l’ICG,  ce qui vous glace le sang, c’est une série de clauses qui réduisent à néant les bénéfices ténus qui découlent censément d’une régression limitée de la capacité nucléaire iranienne. Puisque les chercheurs chevronnés de l’ICG se sont mis dans un beau pétrin en se limitant à ce que les négociateurs iraniens sont prêts à accepter, on peut supposer que l’accord sur le statut final inclura des dispositions proches de ce qui suit :

Premièrement, l’application de l’accord et la résolution des conflits seront supervisés par une commission de neuf membres dont 3 seront issus du groupe P5+1, trois de la délégation iranienne, et trois désignés par consentement mutuel. Dans les faits, cela donne à l’Iran un droit de veto sur l’instance chargée de superviser l’application de l’accord.

En second, l’Iran sera autorisé à réduire sa capacité d’enrichissement jusqu’à un niveau compatible avec un délai de six mois pour aboutir au saut nucléaire pendant les neuf premières années d’un accord courant sur 19 ans (les termes de la rédaction sur la durée exacte sont délibérément ambigus), et ensuite de trois mois pour les années suivantes. Après 19 ans ces restrictions sont entièrement levées.

Troisièmement, l’Iran poursuivra le développement de centrifugeuses avancées, six fois plus puissantes que la première génération de type IR-1 qui constituent la majeure partie de ses 19.000 machines, ce qui lui permettra d’enrichir l’uranium dans les sites plus petits et moins faciles à détecter.

Quatrièmement, il ne sera pas demandé à l’Iran de détruire les centrifugeuses qui excèderont son quota pendant les 19 années de l’accord, mais seulement de les stocker dans un lieu sous contrôle de l’AIEA (International Atomic Energy Agency), dans le périmètre de sa grande usine d’enrichissement de Natanz. Et cela, indique le rapport, «pour fournir à l’Iran des garanties en cas de rupture de l’accord.» Ces centrifugeuses pourront tout simplement être réinstallées si les dirigeants iraniens décident de chasser les inspecteurs et d’effectuer un saut vers la bombe, ce qui rend les prévisions sur le délai d’aboutissement de ce saut nucléaire particulièrement peu aléatoires. 

Cinquièmement, l’Iran n’est pas obligé de fermer son usine d’enrichissement de Fordow, une installation un temps secrète, profondément enterrée dans une montagne pour résister aux attaques aériennes. On lui demande seulement de déplacer ses centrifugeuses à Natanz, lui laissant la possibilité d’utiliser sa forteresse souterraine pour des « recherches et développements. »
Enfin, le rapport affirme que la prise en compte des anciens projets de militarisation de l’arme « ne va pas être possible » du fait de la sensibilité des Iraniens sur la question. Cela, bien que, selon les experts nucléaires et les diplomates occidentaux cités par Reuters, une pleine transparence soit «importante pour mesurer le temps dont l’Iran aurait besoin pour faire un bond vers l’arme nucléaire», et d’une importance cruciale pour permettre aux inspecteurs de mettre à jour les futures violations.

Quoique les responsables de l’administration Obama aient été relativement discrets sur ce qu’ils seraient prêts à concéder, il y a des indications sur leur souplesse sur la plupart de ces questions. L’administration a déjà retiré, sa demande antérieurement non-négociable de fermeture de Fordow, en raison de l’acceptation par l’Iran d’autres conditions qui «limitent la possibilité de reprendre rapidement les activités d’enrichissement sur ce site» (allez savoir ce que cela veut dire). Elle a aussi retiré sa demande à l’Iran de démanteler complètement les centrifugeuses en excès.

Robert J. Einhorn, de Brookings Institution, qui a été le conseiller de la secrétaire d’État Hillary Clinton en matière de non-prolifération et qui est toujours consulté par les responsables de l’administration actuelle, a suggéré que « la demande d’informations détaillées sur toutes les activités passées n’est pas indispensable » si « les dispositions relatives au contrôle assurent des informations de grande fiabilité sur le respect de la conformité. »

Il y a de quoi avoir peur de l’accord nucléaire avec l’Iran. De quoi avoir très peur.

par  Gary C. Gambill , The National Post, le 13 mai 2014
Traduction: Jean-Pierre Bensimon

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