dimanche 6 septembre 2015

Une défaite glorieuse

Au cours des sept dernières années, Washington a envoyé un flot ininterrompu de hauts responsables pour «superviser la démarche conjointe israélo-américaine » concernant l'Iran.
Il arrive parfois d'avoir à mener des batailles que l'on ne peut gagner parce que ces batailles, indépendamment de leurs résultats, font progresser une cause plus élevée.


Le combat d'Israël contre l'accord nucléaire conclu entre les grandes puissances et l'Iran, sous la conduite du président Barack Obama, a été l'une de ces batailles.

L'impossibilité d'une victoire dans ce combat était évidente depuis le 20 juillet six jours à peine après la conclusion des négociations à Vienne.

Le 20 juillet, cet accord qui pave la voie de l'Iran vers le statut de puissance nucléaire, et qui apporte au terrorisme parrainé par les ayatollahs une somme de 150 milliards de dollars, a été scellé par l'administration américaine dans une résolution contraignante du Conseil de Sécurité de l'ONU. Une fois cette résolution adoptée, il n'était plus possible de stopper l'accord.

La plupart des fonds gelés, qui s'élèvent à 150 milliards de dollars, auront été libérés sans que le Congrès ait pu intervenir. Et le régime de non-prolifération que les États-Unis avaient développé depuis 70 ans, s'est éteint au moment même où l'accord de Vienne a été conclu.
La bataille devant le Congrès n'aurait probablement pas abouti, même si l'administration n'avait pas court-circuité les parlementaires en passant d'abord par le Conseil de Sécurité.

À partir du moment où le sénateur Bob Corker, président de la commission des affaires étrangères du Sénat, a fait passer une loi permettant à Obama de s'assurer le soutien de seulement un tiers des membres de chaque Chambre pour mettre en œuvre son accord nucléaire, sa ratification était courue d'avance. La constitution américaine donne au Sénat seul, le pouvoir d'approuver les traités internationaux, avec au minimum les deux tiers des suffrages. En proposant sa loi, Corker balayait la constitution. Loin de paralyser le veto exécutif d'Obama, Corker lui consentait une opportunité sans précédent de mettre en œuvre son agenda nucléaire radical et dangereux.

Alors, si le combat contre l'accord était voué à l'échec, pourquoi le gouvernement israélien a-t-il décidé de le combattre comme si cela en valait la peine ? Et pourquoi le premier ministre Benjamin Netanyahou poursuit-il ce combat alors qu'il n'y a plus aucun moyen d'empêcher Obama de laisser l'Iran dérouler son sprint final vers le nucléaire ? En combattant l'accord nucléaire d'Obama, Israël cherche à promouvoir deux initiatives de grande portée. D'abord, il utilise cette bataille pour accroître sa capacité d'action indépendamment des États-Unis de façon à empêcher l'Iran de se doter d'armes nucléaires. En second, il trace les contours de sa relation avec les États-Unis pour le reste de la présidence de Obama, et pour le jour où il quittera ses fonctions.

En ce qui concerne le programme nucléaire de l'Iran, l'accord d'Obama n'impacte pas les options d'Israël pour empêcher les mollahs d'acquérir la bombe.

Avant même que les États-Unis ne trahissent à la fois Israël, ses amis arabes, et ses propres intérêts nationaux de sécurité, avant qu'ils ne cadenassent un accord octroyant à l'Iran le rang de puissance nucléaire et l'hégémonie sur la région en prime, les chances d'une action US pour empêcher l'Iran de développer des ogives atomiques étaient nulles.

Cette perspective avait été écartée en novembre 2007. L'Évaluation des Renseignements Nationaux (National Intelligence Estimate ou NIE) sur le programme nucléaire de l'Iran publiée ce mois-là affirmait que Téhéran avait abandonné son programme d'armement nucléaire à la fin de 2003, ce qui était faux et scandaleux.

Cette Estimation était un coup de force bureaucratique. Les analystes de la CIA, bien connus depuis les années 70 pour leurs rapports biaisés et politisés, utilisèrent cette Estimation falsifiée pour empêcher l'ancien président Georges W Bush de traiter la question de l'Iran. Bush avait perdu le soutien de l'opinion à cause de la guerre en Irak, et il n'était pas parvenu à trouver les armes de destruction massive de Saddam (qui tombèrent magiquement entre les mains de l'État islamique 11 ans après l'invasion américaine). Il n'avait donc pas les moyens de s'opposer à une déclaration officielle de la communauté du Renseignement qui affirmait que l'Iran n'était pas un facteur de prolifération nucléaire.

Quant à Obama, dès le début 2008, avant même d'être définitivement désigné comme candidat des Démocrates aux élections présidentielles, il avait annoncé qu'il désirait négocier avec le président iranien de l'époque Mahmoud Ahmadinejad.

Depuis lors, il n'y a eu à aucun moment la moindre raison de penser Obama lèverait le petit doigt pour empêcher l'Iran d'accéder au nucléaire.

En d'autres termes, depuis huit ans, il était évident pour tous ceux qui voulaient le voir qu'Israël ne pouvait compter sur personne pour empêcher l'Iran de se doter d'armes nucléaires.

En combattant avec autant d'énergie l'accord nucléaire d'Obama, Israël améliorait de deux façons sa capacité de lancer des frappes militaires contre les installations nucléaires de l'Iran.

D'abord, le plus sérieux obstacle intérieur au lancement de ces frappes a été écarté.

La semaine dernière des enregistrements audio ont été diffusés, où Ehoud Barak, l'ancien ministre de la défense, révélait à propos du programme nucléaire de l'Iran que dans les années précédentes, l'Armée et les Renseignements d'Israël avaient bloqué trois fois des opérations contre les installations nucléaires de ce pays. En 2010,2011 et 2012 le chef d'état-major de l'armée et des généraux de haut rang, soutenus par des membres hésitants du cabinet gouvernemental, refusèrent d'appliquer les instructions qu'ils avaient reçues de Netanyahou et de Barak leur ordonnat de se préparer à effectuer des frappes.

Sans aucun doute, la principale justification qu'ils opposèrent à ces instructions exécutoires découlait de leur confiance dans les engagements de sécurité de Obama.

Pour leur part, les Américains firent de leur mieux pour saper l'autorité des dirigeants élus d'Israël.

Depuis sept ans, Washington a envoyé un flot ininterrompu de hauts responsables pour « superviser les efforts conjoints israélo-américains » en ce qui concerne l'Iran. Il est à présent évident que cet « coopération sans précédent» n'avait jamais eu pour but de renforcer la position d'Israël contre l'Iran. En fait, son but était de réduire la capacité du gouvernement de prendre des décisions indépendantes au sujet des installations nucléaires de l'Iran.

Si Netanyahou avait retenu ses critiques contre la décision de Obama de laisser à l'Iran les mains libres pour développer en toute quiétude ses armes nucléaires, les généraux auraient haussé les épaules et exprimés leur reconnaissance pour les nouvelles armes flambant neuves que Obama leur aurait envoyées à titre de «compensation» pour avoir donné des armes atomiques à un régime qui a juré d'annihiler leur pays.

En rendant public son opposition, Netanyahou a alerté la nation sur ces dangers. Le haut commandement ne peut plus désormais prétendre que les garanties de sécurité américaine sont crédibles. Il sera forcé d'écarter du pied son addiction psychologique à des garanties de sécurité américaine sans valeur, d'accepter la réalité et d'agir en conséquence.

Mieux vaut huit ans de retard que jamais.

Les Américains ne sont pas les seuls à suivre avec attention le combat d'Israël. Les voisins arabes de Jérusalem observent aussi que Netanyahou et Ron Dermer, son ambassadeur aux États-Unis, ont remué ciel et terre pour convaincre les parlementaires démocrates de s'opposer à l'accord. Et les implications régionales de cet effort sont déjà en train de prendre corps.

Comme la volonté des Saoudiens de s'afficher publiquement aux côtés d'Israël dans son opposition à cet accord l'a montré, nos voisins ont été profondément impressionnés par le courage diplomatique dont Israël a fait preuve. Si Israël frappe les installations nucléaires de l'Iran, notre opposition ouverte à l'administration Obama jouera en notre faveur. Cela encouragera la volonté de nos voisins de coopérer à notre action qui vise à écarter l'épée du nucléaire iranien de notre gorge et de la leur.

En combattant l'accord, Israël a aussi travaillé pour orienter nos relations avec les États-Unis dans une direction favorable à court et à long terme.

Obama sera encore en fonction pendant un an et quatre mois (503 jours, mais qui les compte ?). Avant même que le combat contre son accord nucléaire ne devienne sérieux, Obama avait fait savoir clairement qu'il avait l'intention d'utiliser le reste de son mandat pour saper l'alliance israélo-américaine et affaiblir la position internationale d'Israël.

Premiers exemples, ces attaques frisant l'antisémitisme contre le sénateur démocrate de New York, Charles Schumer, ou l' inculpation fortuite par le Département de la Justice du sénateur démocrate pro Israélien du New Jersey, Robert Menendez, envoyaient un message clair aux parlementaires démocrates : tout Démocrate qui soutient Israël contre Obama deviendra une cible.

En agissant de cette façon, Obama a exprimé clairement son objectif consistant à transformer le soutien à Israël en un équivalent en politique étrangère de l'opposition à l'avortement : une prise de position exclusivement Républicaine.

Au plan international, sans le moindre doute, Obama essaiera d'infliger des dommages à Israël jusqu'à la fin de son mandat. Il cherchera aussi à entraver notre économie en instituant des barrières administratives à notre commerce avec les États-Unis et l'Europe.

Le combat d'Israël contre l'accord nucléaire de Obama a réduit sa latitude de lui porter des coups trop violents tout en préparant le terrain à des relations rénovées avec son successeur.

Avant que Netanyahou ne parle devant les deux Chambres réunies du Congrès, en mars, l'accord nucléaire d'Obama demeurait en marge du débat américain. Un débat public féroce a commencé après le discours de Netanyahou. Il est vrai que mercredi [2 septembre] Obama a obtenu le soutien de son 34e sénateur démocrate, bloquant ainsi les efforts d'Israël pour convaincre le Congrès de révoquer l'accord. Mais sa victoire sera une victoire à la Pyrrhus.

Le succès de Obama n'aura pas les effets attendus. Avant tout, il faut remercier Netanyahou de s'être porté à la pointe du débat public aux États-Unis. Aujourd'hui les deux tiers des Américains s'opposent à l'accord. Alors que l'Iran ne perdra pas de temps pour prouver à quel point la faute que viennent de faire Obama et de ses amis Démocrates est dévastatrice, ce succès va réduire la latitude du président de lancer de nouvelles initiatives à l'encontre d'Israël à un niveau inférieur à ce qu'elle était avant que l'accord ne soit conclu. L'opinion publique ne lui donnera pas plus longtemps le bénéfice du doute.

De plus, puisque l'accord est aussi mauvais que disent ses opposants, et vu que la plupart des Américains s'y opposent, son successeur ne rencontrera pas beaucoup d'obstacles quand il voudra annuler l'accord et adopter une nouvelle politique vis-à-vis d'Israël et de l'Iran.

Par ailleurs, il y a les partisans démocrates d'Obama au Congrès. Aujourd'hui certains observateurs parmi eux soutiennent que la victoire d'Obama sur l'opposition à l'accord nucléaire, avant tout l'AIPAC, va sonner le glas du lobby pro-israélien aux États-Unis.

Heureusement, ils se trompent.

Tout comme il n'est pas parvenu à empêcher l'ancien président Ronald Reagan de vendre des AWAC à l'Arabie Saoudite en 1981, l'AIPAC n'avait aucune chance d'empêcher Obama d'aller au bout de son accord avec l'Iran.

L'AIPAC n'a jamais eu le pouvoir d'infliger une défaite à un Président déterminé à promouvoir une politique anti-israélienne.

Nous serons en mesure d'estimer la force réelle de l'AIPAC après les élections de 2016.

Vu que le pacte nucléaire va échouer, de nombreux concurrents des élus démocrates seront impatients de souligner auprès de leur électorat que le sortant avait soutenu la folie nucléaire d'Obama.

Ce mercredi [2 septembre] après que la sénatrice du Maryland Barbara Mikulski ait apporté le 34e soutien à l'accord nucléaire d'Obama, Gwen Ifill, la présentatrice attitrée du service public de TV a tweeté « Prends ça pour toi, Bibi. »

La victoire de Obama est l'échec de Bibi. Bibi n'est pas parvenu à convaincre 12 sénateurs et 44 représentants Démocrates de voter contre la direction de leur parti. Mais en combattant contre cet accord, Netanyahou a supprimé le principal obstacle qui paralysait toute action pour empêcher l'Iran de maîtriser le nucléaire. Il a réduit la capacité d'Obama de nuire à Israël.

Ce combat à renforcé l'opposition des Américains et des Juifs américains à l'accord nucléaire, pavant la voie d'un renouveau démocrate après la fin du mandat d'Obama. Et en définitive, le combat public d'Israël contre l'accord d"Obama a pavé la voie de son abrogation par son successeur.

L'un dans l'autre, c'est plutôt une défaite glorieuse.

Titre original : A glorious defeat

Auteur : Caroline B. Glick

Première publication : le 03 septembre 2015 in Jerusalem Post

Traduction : Jean-Pierre Bensimon

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