samedi 20 octobre 2012

L'antisionisme, l'islam et les passeurs de haine

Le démantèlement de la cellule terroriste de Jérémy Bailly a ouvert un débat sur l'émergence en France d'un antisémitisme musulman nu et cru, non travesti en antisionisme. Les membres du groupe, déterminés à donner leur vie au jihad, étaient des convertis, à une exception près. Ils ne venaient pas exactement des banlieues et, comme le montraient  des listes de personnalités et d'institutions juives en leur possession, ils s'apprêtaient à commettre des attentats clairement antisémites.
On s'est alors interrogé sur ce nouvel antisémitisme terroriste, autochtone, affranchi de l'extrême droite, de l'immigration arabo-musulmane, de la misère sociale (certains membres de la cellule avaient un emploi), de la banlieue (ils n'y habitaient pas), mais aussi, a-t-on dit, du conflit israélo-palestinien. On doit à Pierre -André Taguieff, Shmuel Trigano, Gilles William Goldnadel, Ivan Rioufol, des contributions éclairantes sur ce phénomène.
La question soulevée ici est celle des ressorts respectifs de l'islam, du salafisme et des milieux antisionistes autochtone dans l'endoctrinement et le passage à l'acte terroriste et/ou antisémite.
 
L’islam radicalisé domine désormais le monde musulman
 
Au niveau du monde, une tendance claire se dégage, issue de l'histoire contemporaine. Après la première guerre mondiale, suite à l'effondrement du califat ottoman et à l'irruption de l'Europe au Moyen-Orient, un courant nouveau a émergé dans l'islam porté par les égyptiens Hassan al-Banna, Sayyid Qotb, et leurs successeurs. Sous l'étiquette de la Fraternité musulmane, leur doctrine affichait trois facettes. Celle du retour au temps premiers de l'islam (l'islam c'est la solution). Celle d'un anti occidentalisme offensif, l'objectif étant de bouter l'Occident hors des terres arabes, mais aussi de récupérer l'intégralité des contrées un temps occupées par l'islam, l'Espagne, les iles de Méditerranée,... Dernière facette, celle de l'antisémitisme, nourri par des liens étroits avec le nazisme et la montée insupportable du pouvoir juif (infidèle) dans l'ancienne Palestine.
 
Ce courant est aujourd'hui dominant dans l'islam. Sous l'impulsion de leaders déterminés ( de Rouhollah Khomeini à Oussama Ben Laden et Ayman al Zaouahri) et profitant d'une conjoncture favorable, il s'est étendu et radicalisé. La démographie (poids très élevé du groupe des 15-25 ans, éruptif et aisément manipulable), la misère permanente des peuples arabo-musulmans et l'échec dramatique de leur entrée dans la modernité, leur ouvraient des avenues. Plutôt que disséquer une nature intangible de l'islam, mieux vaut comprendre qu'il est une boite à outils où ses adeptes puisent la justification sacralisée de leur projet du moment. Globalement, ceux qui sont aujourd'hui aux commandes de l'islam mondial, s'inscrivent généralement dans des variantes idéologiques passéistes, bellicistes, conquérantes et racistes de leur religion.
 
C'est ainsi qu'en Europe, dans des sociétés en crise profonde, minées par le communautarisme, le fractionnement ethnique et un avenir fermé, les individus en rupture qui ne veulent pas demeurer dans le statut sans horizon de la délinquance, trouvent une idéologie religieuse prête à porter qui leur ouvre les bras, l'islam radical. Dans certaines versions, il leur permettra de partager un projet, d'exprimer tous les niveaux de rancœur et de violence, et de les justifier moralement. Leurs prédécesseurs avaient revêtu en Europe les habits de l'anarchisme, des Ligues, du fascisme, du communisme, du gauchisme,... Aujourd'hui, c'est au tour de l'islam radical de les accueillir.
 
C'est ainsi que l'on peut voir surgir des générations spontanées de terroristes, ou plutôt d'apprentis terroristes, ignares, convertis ex nihilo à l'islam ou revenus à la religion de leurs pères, et capables de tuer. Et en première approche de tuer des Juifs, cibles prescrites par le dogme, de surcroit des cibles commodes et identifiables. Les Fofana, les Merah, les Jérémy Bailly, et leurs séides, sont quasiment des électrons libres, des chiens fous, même s'ils sont des produits d'une idéologie religieuse ambiante et s'ils ont des liens effectifs avec le terrorisme international. Leur activisme, potentiellement cruel, est ponctuel, sans valeur stratégique.
Ce qui en a par contre, c'est le travail de quadrillage territorial lent et solide des "permanents" de l'islam jihadiste. Ils construisent patiemment une société-oumma, préservée autant que possible des "impuretés" de la République. Ils ouvrent des écoles, des mosquées, ils créent des entreprises, des associations, des commerces; ils nouent des liens ambigus avec le monde politique local, ils édictent des obligations et des interdictions, surtout à l'endroit des femmes. C'est là que peuvent s'incruster des "cellules dormantes", professionnelles, du jihad qui ont montré ce qu'elles savaient faire en 1986 et en 1995 en France. C'est de là que viendront demain les soldats terroristes de AQMI, du Hamas ou du Hezbollah, ou de tout autre groupe ayant un compte à régler avec la France.
Une contre-société ne peut pas exister sans un endoctrinement idéologique assurant l'étanchéité du groupe. A coté du dogme salafiste, ce corpus doctrinal contient, savamment dosées, la haine des "Juifs et des croisés", la détestation d'Israël, de la France et de l'Occident. Il faut écouter le discours de Tariq Ramadan aux jeunes musulmans et observer l'écrasante domination du message "antisioniste" dans sa rhétorique. Comme le dit Shmuel Trigano, l'antisionisme est le cheval de Troie de l'islam politique. Et ses effets sont tragiques parce qu'il peut aussi bien déclencher des conversions hâtives et des crimes de chiens fous, que cantonner la jeunesse d'appartenance arabo-musulmane dans les griffes des contre-sociétés salafistes qui pullulent à présent.
 
Les facilitateurs de la radicalisation sont des autochtones
 
L'antisionisme est donc l'un des facteurs majeurs du fractionnement ethno-communautaire de la France, bien décrit par Christophe Guilly (Fractures françaises, François Bourin 2010). La société française bénéficie d'un niveau de vie encore élevé. Mais, très lourdement endettée, la France est soumise à une concurrence extérieure  impitoyable, alors que son économie connait un déclin structurel, et que ses élites émigrent. Seul un sursaut collectif, national, peut la sauver. Et à ce moment de son histoire, l'islamisation salafiste à base antisioniste/antisémite répand l'hostilité à la nation et à ses valeurs dans le secteur de la jeunesse dont la démographie est la plus dynamique du pays. Elle bride les efforts de la nation dans une phase d’urgence historique.
 
Par un phénomène d'auto-intoxication nationale caractérisé, ce sont les élites autochtones des média et des universités, elles-mêmes intoxiquées, qui assurent la diffusion permanente et massive de l'idéologie antisionistes dans la population d'origine arabo-musulmane du pays. Ce sont les passeurs de haine contemporains. L'état n'est pas étranger à leur influence. On peut dater ce véritable suicide de la réorientation par de Gaulle de la politique extérieure du pays en direction du monde arabe et des non-alignés pour faire pièce à l'hégémonie américaine. Aujourd'hui la France est en grand risque d'être dévorée par le monstre qu'elle a mis au monde et bercé.
 
La chanson écrite par Jean-Pierre Filiu pour Zebda est un modèle de ce poison diffusé par un passeur autochtone, en même temps qu'un intellectuel d'âge mûr hyper informé. Un enfant (figure de la victime innocente) est tué par un robocop israélien cruel et aveugle (figure du nazi haïssable). C'est l'un des thèmes pluri-décennaux les plus éculés du narratif palestinien. Le voleur qui crie au voleur. Mais c'est efficace pour faire surgir des tueurs fous ou renforcer l'emprise salafiste sur les banlieues. Média (le service public est aux premiers rangs), élite  intellectuelle, responsables politiques de tous bords, agissant en réseau, ont cadenassé un "politiquement correct" fou sur Israël et les Palestiniens. Penser Israël à travers ce "politiquement correct", c'est comme penser l'identité des  Tutsis à travers la radio des Mille Collines ou le judaïsme à travers la collection de Der Stürmer.
 
L'état s'est engagé contre le terrorisme intérieur avec des paroles fortes. François Hollande a dit "Nous ne les lâcherons pas, nous les pourchasserons et nous les éliminerons." Mais comment, au même moment, tolérer que le service public audiovisuel sème à grandes brassées les graines d'un antisionisme meurtrier, celui qui a perdu un Fofana, un Merah ou un Jérémy Bailly ? (Publicité faite à Zebda/Filiu sur France Inter et sur le site France TV-Info, film "les 5 caméras cassées" de Carole Gaessler de France 5, après tant d'autres).
 
Le jihadisme antisémite et anti-croisés serait beaucoup moins fort en France s'il ne bénéficiait pas de l'appui inlassable des passeurs autochtones et des média affiliés. C'est à groupe social et son discours débile qu’il faut opposer d’urgence un contre-discours  offensif.

Jean-Pierre Bensimon Pour un autre regard sur le Proche-Orient n° 8 Octobre 2012



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