mardi 22 janvier 2013

Israël et son allié allemand

"Allemagne et Israël, une relation pleine de malentendus. Jusqu'où peut-on être critique d'Israël" C'est le titre d'un article très récent du Speigel qui exprime la stupéfaction et le trouble qui ont suivi en Allemagne l'inscription de Jakob Augstein à la neuvième place du Top Ten des pires antisémites au monde en 2012 , établi par le centre Simon Weisenthal.


Jacob Augstein est un journaliste du très sérieux Spiegel. Le centre Weisenthal donne des échantillons du langage qu'il tient : "Avec le soutien des États-Unis, où le président doit s'assurer du soutien du lobby juif, et de l'Allemagne, où le face à face avec l'histoire a une composante militaire, le gouvernement Netanyahou tient la planète en laisse, entonnant des chants de guerre toujours plus bruyants." Ou encore: "Il y a le feu en Libye, au Soudan, au Yémen, des pays parmi les plus pauvres au monde. Mais ceux qui mettent le feu habitent au dehors. Des jeunes gens furieux brûlent le drapeau américain et récemment celui de l'Allemagne. Ce sont eux aussi des victimes, tout comme les morts de Bengazi ou de Sanaa. A qui profite toute cette violence? Toujours aux fous et aux individus sans scrupules. Et en ce moment, il s'agit des républicains américains et du gouvernement israélien."


La litanie des citations pourrait se poursuivre mais Weisenthal résume le sujet en citant Henryk M. Broder, un éditorialiste de Die Welt, une autre institution de la presse allemande. Après avoir qualifié Augstein de "petit Streicher" Broder ajoutait : "Jakob Augstein n'est pas un antisémite de salon, c'est un pur antisémite... un récidiviste par conviction, qui n'a pas fait carrière dans la Gestapo parce qu'il est né après la guerre. Il y aurait certainement trouvé ce qu'il voulait."

Ces deux attitudes diamétralement opposées donnent une idée de la profonde division des élites allemandes sur l'attitude qu'il convient d'adopter sur le passé, sur l'antisémitisme, et sur Israël.

Il y a un camp qui pousse à en finir avec les tabous de l'après guerre et à dénoncer librement Israël comme le premier fauteur de guerre au monde. A sa tête Günter Grass, prix Nobel de littérature 1999 et ancien membre de la SS (il en a fait l'aveu en 2006). Il publiait en avril 2012 un poème qui allait faire du bruit : "Pourquoi je ne dis pas." Il y accusait Israël de vouloir utiliser "son potentiel nucléaire croissant et échappant à tout contrôle" pour "l'éradication du peuple iranien soumis" et il dénonçait dans la foulée la fourniture par Berlin d'un nouveau sous-marin au futur agresseur. Mais le message essentiel de Grass tenait en une phrase: "Pourquoi me suis-je tu si longtemps? ... Je ne me tairai plus" que l'on peut traduire par : "Fini les tabous liés à des crimes soi-disant impardonnables, disons sans retenue nos vérités." Les accusations de Grass, de Augstein, et de leurs semblables, des incitations à la haine sans le moindre fondement factuel qui rappellent le discours nazi, sont clairement antisémites. Le centre Weisenthal a eu bien raison de les désigner comme telles.

Mais l'antisémitisme allemand contemporain sait prendre des formes beaucoup plus perverses pour éviter l'accusation brûlante d'antisémitisme. La méthode est simple : placer en première ligne des non-allemands, de préférence juifs, pour tirer des missiles politico-idéologiques virulents et infondés, donc antisémites, contre Israël. La chrétienne-démocrate Petra Roth, maire de Francfort, elle-même d'ascendance juive, est experte dans ce genre de procédé. En 2010, pour commémorer la Nuit de Cristal de 1938, elle demandait un discours à Alfred Grosser, un intellectuel juif français né à Francfort. Or Grosser est l'une des vieilles figures anti sionistes les plus radicales d'aujourd'hui en France, avec Stéphane Hessel et Edgard Morin : dans un moment si symbolique pour le judaïsme, il prononçait comme l'espérait Mme Roth, une diatribe où Israël était assimilé aux nazis. En 2012, Petra Roth a soutenu de toutes ses forces l'attribution du prix Adorno à l'américaine Judith Butler, une contemptrice endurcie d'Israël, admirative du Hamas et du Hezbollah (ce qu'elle bien sûr nié au moment de recevoir les 50.000 dollars).

De même l'ancien président Roman Herzog a tenu a honorer Mitri Raheb, un révérend chrétien palestinien, du Prix des média allemands. Or Raheb est habité lui aussi par la détestation de l'État hébreu. C'est un grand prêtre du boycott international qui assimile la barrière de sécurité au Mur de Berlin. Petra Roth et Roman Herzog, vigoureusement mis en garde par la communauté juive allemande et l'ambassade d'Israël, sont restés intransigeants, signant ainsi leurs options idéologiques.

En face de ce groupe, ce qui semble être la majorité des élites allemandes tient à ne pas se laisser entrainer dans l'antisionisme antisémite radical qui fait des ravages en Europe, et à garder avec Israël une relation où le souvenir de l'Histoire ne s'est pas subitement évaporé.

Cela n'empêche pas cette majorité de plaider pour une certaine "normalisation" de la relation avec Israël, sans encourir l'accusation d'antisémitisme. Ils usent d'une dialectique subtile. "La seconde guerre mondiale s'est achevée depuis plus de 60 ans. La génération qui a perpétré les crimes a disparu. L'Allemagne est devenue l'allié le plus proche d'Israël comme l'attestent les milliard d'euros d'armes vendues par l'Allemagne à Israël." Ils ajoutent que la classe politique allemande a été irréprochable dans sa dénonciation de Günter Grass, que les membres du Parlement qui ont dérapé ont été fermement dénoncés, (Philipp Jenninger, Martin Hohmann) où moins fermement (Jurgen Möllemann du FDP sur l'intervention de Hans-Dietrich Genscher qui pallia la passivité de Guido Westerwelle, Inge Höger du parti de gauche Die Linke).

Pour eux, l'Allemagne a quand même de nombreuses raisons de critiquer les politiques d'Israël. Angela Merkel l'a clairement fait savoir lors de sa rencontre avec Netanyahou. La chancelière acceptait Pilier de défense comme réponse à l'agression caractérisée du Hamas, mais le désaccord s'avérait frontal sur les constructions annoncées par le premier israélien au delà des lignes de 1967.. Dans cette vision, la politique d'implantation d'Israël rendrait impossible la solution à deux États considérée par l'Allemagne comme la seule solution imaginable au conflit proche-oriental.

Sur le sujet, il y a deux hypothèses. Soit Merkel est convaincue sur le fond de ce qu'elle avance, et le problème est de nature pédagogique. Il faut lui faire comprendre que la solution à deux États n'est pas du tout en cause et que sa critique, décalque du discours euro-palestinien, est un facteur d'aggravation du conflit comme tout ce qui affaiblit Israël. Soit Merkel s'aligne de façon feutrée sur les positions euro-palestiniennes et elle signe là un glissement sensible du positionnement allemand, dont le premier indice aura été  l'abstention à l'ONU lors du vote sur la création d'un État palestinien non-membre en novembre dernier.

Des voix plus naïves évoquent même les changements démographiques en cours en Allemagne, une forte l'immigration est-européenne et africaine, pour expliquer le virage. Ces changements décaleraient l'opinion allemande "vers la droite". Faut-il comprendre qu'on ne peut plus résister aujourd'hui en Allemagne aux pressions antisémites venant de l'Est et aux pressions antisionistes venant du monde arabe? En tout état de cause, les démons tapis aux tréfonds de l'Allemagne paraissent plutôt sur le réveil.




Israël et son allié allemand
Jean-Pierre Bensimon
Pour un autre regard sur le Proche-Orient  n°9  janvier 2013

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