Le journal le Monde a rapporté le contenu d'une importante conférence de Jean-David Lewitte prononcée à Cannes il y a un mois devant le World Policy Forum.
Lewitte est connu pour avoir été le plus proche conseiller de Nicolas Sarkozy en politique internationale et l'architecte de sa mise en œuvre tout au long du quinquennat. Il avait aussi joué un rôle important à l'époque de Jacques Chirac comme ambassadeur de France aux États-Unis. Bien que privé d'entrées à l'Élysée, et en âge de prendre une retraite méritée, le diplomate redouble aujourd'hui d'activité.
A Cannes, il proposait même à Barack Obama un plan d'action complet au Moyen Orient pour son second mandat. Le plan du diplomate français part de l'observation que la contrainte énergétique va peser beaucoup moins sur la présidence américaine. Il est donc certain que le Moyen-Orient sera progressivement délaissé au profit de l'Asie. Mais Barack Obama aura quand même à régler la question de la nucléarisation de l'Iran, pour laquelle à présent le temps de la diplomatie est vraiment compté. Les mollahs sont à deux doigt de posséder la bombe. Constatant que les sanctions ont conduit les Iraniens à accélérer leur programme et non à le ralentir, le plan Lewitte consiste à imposer un choix à l'ayatollah Khamenei : soit il accepte de limiter ses activités d'enrichissement de l'uranium à 5 % au plus et d’exporter son stock d'uranium hautement enrichi, soit il s'expose à des frappes militaires américaines effectives.
À première vue, il n'y a rien de très original dans ce plan, et la Maison Blanche n'a besoin de personne pour concevoir ce genre de scénario. Mais Lewitte avait une botte secrète en réserve, soigneusement affutée.
Pour que le traitement du Moyen-Orient soit complet, il propose à Obama de lier la question de la nucléarisation de l'Iran et celle du conflit israélo-palestinien. "Traitons ces deux dossiers ensemble. Si l'on fait cela, d'autres nous rejoindrons, la Turquie, l'Inde, d'autres émergents.... On les mettra dans le jeu." Par ces paroles, Lewitte propose en fait de bâtir une coalition contre l'Iran en contrepartie de "vrais gestes d'Israël en faveur du processus de paix." Appâtés par la perspective d'administrer à Israël la pénitence de Canossa, de nombreux pays s'empresseraient d'expliquer à l'Iran qu'il ne peut plus compter sur eux. Autrement dit, ce sera à Israël de payer le prix de l'unité nécessaire pour faire plier l'Iran.
On touche du doigt le cynisme et l'arrogance himalayens du plan Lewitte. Cependant, la société internationale étant régie par les rapports de force, le cynisme n'est pas perçu comme un travers mais comme une qualité. Encore faut-il avoir les moyens du rapport de forces, sous peine du ridicule. Le reproche que l'on peut faire au plan Lewitte, si ce n'est pas qu'il n'est pas moral, c'est qu'il est illusoire, et surtout qu'il est contre productif.
L'illusion première, c'est de penser qu'une intervention internationale "musclée" en direction d'Israël pourrait faire avancer d'un iota le conflit israélo-palestinien vers la paix. Croire encore, quand on est un professionnel de la politique étrangère, que les avancées sont bloquées par l'intransigeance d'Israël, est proprement sidérant. Pendant six ou huit décennies, Israël a dit oui aux plans de partage de l'espace entre le Jourdain et la Méditerranée, et la partie arabe a dit non chaque fois. Mieux, elle a dit sur tous les tons qu'elle ne voulait pas, qu'elle ne pouvait pas, accepter un pouvoir juif sur une terre qu'elle considère comme sa propriété sacrée.
Que sa réponse au tentatives de partage ait été une guerre (en 1937/39, en 1947/49, en 2000), un non (1967,2000, 2001, 2008) ou le recours à un vote de l'ONU pour un État palestinien(1988, 2011,2012), elle signifiait à toutes les époques un refus identique.
Aujourd'hui, la radicalisation des Arabes palestiniens et de leurs élites est sans précédent. Ils veulent toujours moins la paix, tous les sondages d'opinion l'attestent. Le refus de négocier de Mahmoud Abbas depuis 4 ans de même. L'intransigeance palestinienne découle du soutien inaltérable de l'Europe à ses rêves bellicistes, et de ses financements aveugles. La partie arabe n'a jamais été aussi peu tentée de passer du rêve d'omnipotence à la réalité.
On ne peut pas reprocher à Israël de ne pas avoir essayé. Il a bu tous les calices d'Oslo. Il a cédé une bonne partie des anciennes Judée et Samarie à Arafat, il a évacué le Liban-sud, il a quitté Gaza avec armes et bagages. Autant de bases de guerre jihadiste ont jailli sous les pas des Israéliens sur le retrait, et autant de nouveaux fronts de guerre se sont ouverts pour longtemps.
Israël ne cèdera donc pas, parce qu'il n'a pas le choix. Si les euro-américains veulent vraiment un règlement, c'est sur la partie arabe qu'ils doivent faire pression. Mais qui peut imaginer que les Occidentaux dont l'horizon décisionnel n'excède pas quelques mois, aient la volonté et le pouvoir d'affronter l'extrémisme arabe? D'autant que les pouvoirs arabes sont à la dérive, presque disloqués, et incapables eux aussi de voir au-delà de quelques mois.
Illusion aussi de croire que les grandes options de politique étrangère de puissances comme la Turquie ou l'Inde, la Russie ou la Chine, le choix de soutenir ou pas l'Iran qui se nucléarise, dépendent d'une clé symbolique, le sort des Palestiniens. Ces État s’y intéressent uniquement comme moyen d'influence sur les grandes masses arabes, pour se poser en leaders ou en amis. De ce point de vue ces puissances ont plutôt besoin que l'abcès perdure.
Mais la pensée d'un Lewitte a des aspects encore plus navrants, à l'aune de la compétence professionnelle attendue de nos diplomates, lui qui est l'un des plus éminents.
Que recherchent fondamentalement ces diplomates ? Ils veulent supprimer grâce à une solution de paix israélo-arabe, une source de tensions permanentes qui affecte puissamment les relations globales entre les Arabes et l'Occident, les Occidentaux étant accusés par ceux-ci d'être les suppôts de "l'agression sioniste."
Admettons qu'Israël cède à toutes les volontés euro-américaines, qu'il repasse les lignes de 1967 et qu'il redivise Jérusalem. Ce retrait apparaîtra immanquablement comme une immense défaite juive. Quelle en sera la conséquence ? Une relance forcenée du jihad comme on l'a vu au Liban-sud, dans les cités arabes de la rive ouest du Jourdain, et plus récemment à Gaza. N'a-t-on pas constaté tous les jours que la virulence des attaques venant de Gaza provoque nécessairement des ripostes israéliennes qui à leur tour enflamment la rue arabe? Qu'Israël recule, et les armes, les missiles, les combattants afflueront par le couloir de la vallée du Jourdain incontrôlée; et ce seront de nouveaux cycles d'affrontements terribles dans une zone actuellement à peu près calme.
Les fameuses pressions occidentales sur Israël, c'est le programme que les euro-américains ont déjà appliqué avec tous leurs moyens depuis 20 ans. Et Israël a effectivement déjà plié, déjà reculé, déjà donné tous les gages de souplesse et d'ouverture, y compris les plus absurdes comme l'évacuation de Gaza. Pour quels résultats? Une influence devenue hégémonique des plus radicaux, un formatage inédit des masses arabes, un conflit de civilisations en plein essor, en terre arabo-musulmane comme au cœur du vieux continent.
Jean-Pierre Bensimon
Les impasses de l'approche française du Proche-Orient
Pour un autre regard sur le Proche-Orient n°9 janvier 2013
Les impasses de l'approche française du Proche-Orient
Pour un autre regard sur le Proche-Orient n°9 janvier 2013
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