samedi 4 mai 2013

Le monde musulman doit en finir avec le jihad, et vite …

Confronté à un krach démographique qui va creuser les classes jeunes et gonfler celles des seniors dépendants, le monde musulman est totalement démuni. S’il veut avoir une chance de résoudre ses problèmes et d’accéder à la modernité, il devra liquider l’idéologie auto-mortifère du jihad.

Boston, Bourgas, Toulouse, Eilat, Sderot, Tombouctou, Alep, Damas, etc., partout le jihad se déchaîne, à coup de bombes, de canons, de missiles. Il hante la planète des pôles géographiques au coin de votre rue, la barbarie pouvant toucher tout un chacun n'importe quand. Alors qu’il était soigneusement encadré par les instances religieuses jusqu’à l’effondrement de l’empire ottoman, on a vu le jihad contemporain s’affranchir  progressivement de ses anciennes limites pour s'incarner en cette la soif de chair infidèle ensanglantée des frères tchétchènes de Boston agissant presque seuls.


Dans les années 20, le monde arabo-musulman devait répondre au défi écrasant de la nouvelle domination des vainqueurs européens de la Grande guerre. Atatürk voulut rompre avec les archaïsmes paralysants de l'islam et restaurer sa nation en empruntant aux vainqueurs la modernité qui avait fait leur force. A l'inverse, le prêcheur égyptien Hassan al Banna levait au même moment l'étendard de la réislamisation. Au centre de son appel, le retour aux temps du Prophète et l'actualisation d'une variante hyper agressive de l'islam, une idéologie de guerre et de mort résumée par le fameux slogan: "le Coran est notre constitution, le jihad est notre voie. Mourir sur la voie d’Allah est notre plus cher espoir."

Le jihad sauvage qui endeuille la planète, et d'abord les sociétés musulmanes, est l'expression du triomphe de cette seconde voie, aujourd'hui la plus dynamique et populaire du monde islamique. Cela n'a pas été rapide ni sans mal, les sociétés d'islam ayant expérimenté de multiples formules avant de s'affaisser plus que jamais avec les "Printemps arabes" dans le radicalisme salafiste et le jihad total d'aujourd'hui.

Ce qu'il faut bien comprendre, outre les péripéties politiques, c'est que cette déferlante de l'idéologie du jihad est indissociable de l’explosion démographique d'après-guerre du monde musulman qui a déformé partout les pyramides des âges au profit d'une immense classe jeune, celle des 15-25 ans. La jeunesse est ignorante, inexpérimentée, impulsive, en quête d'un idéal salvateur. Elle a peu d'armes à opposer aux idéologues et autres experts de la manipulation qui poussent autour d'elle comme des champignons. Le baby-boom européen, bible marxiste à la main, a fourni des bras à la vague révolutionnaire de 1968. La déferlante musulmane, bible coranique revue par Al-Banna et Saïd Qotb à la main, nous donne aujourd'hui une jeunesse arabo-musulmane innombrable, fanatisée contre l'Infidèle, en recherche de son accomplissement dans la mort.

Bien entendu, la prédominance de ces courants bellicistes est une assurance pour l'échec. Les sociétés arabes, quasiment les seules, ne sont pas parvenues à s'inscrire dans le progrès économique et le développement humain contemporain comme l'attestent les rapports de l'ONU rédigés par des chercheurs arabes (1). La gestion du pouvoir par diverses variétés de Frères musulmans issues des "printemps arabes," comme par les mollahs iraniens depuis plus de 30 ans, est catastrophique. L'idéologie de la confrontation est présente dans le fonctionnement de ces sociétés à tous les étages. Or les modèles antagonistes échouent toujours quand on veut créer et les solutions gagnantes ne peuvent qu'être coopératives.

Mais le monde musulman ne souffre pas seulement de son retard et des idéologies folles qui le gangrènent de plus en plus, mais d'une menace encore plus grave sur la durée: l'effondrement démographique précipité.

En Occident, l'opinion est convaincue d'une montée irrépressible des courbes de fécondité des populations musulmanes et de l'extension inéluctable de l'islam comme force dominante du monde à venir par la démographie. Il est temps de l'informer que c'est le contraire qui est vrai, sur la base des travaux pionniers de David P. Goldman (2), ou de Nicholas Eberstadt (3).

Une comparaison sur trente ans, entre les années 1975/80 et 2005/10, montre que la fécondité régresse dans tous les pays du monde musulman sans exception. Globalement la régression observée est de 41%. Dans 22 pays à majorité musulmane la chute est de 50%, et pour dix d'entre eux de 60% ou 70 % (Iran, Oman, Émirats arabes Unis, Algérie, Bangladesh, Tunisie, Libye, Albanie, Qatar, Koweït). L'Iran a perdu 4,57 enfants par femme sur la durée de sa vie féconde, l'Algérie 4,2, la Libye 4,18. La chute est précipitée, mais pire encore, à l'issue de ces trente ans, il semble qu'elle s'accélère. En 2011, l'Arabie saoudite n'a plus que 2,3 enfants par femme, l'Égypte a un taux comparables aux Hispaniques américains, le Pakistan et les Territoires palestiniens convergent aussi avec les minorités américaines.

Désormais, l'Algérie, le Bangladesh ou le Maroc ont la fécondité du Texas, l'Indonésie celle de l'Arkansas, la Turquie et l'Azerbaïdjan celle de la Louisiane. On trouve dans seulement 6 États américains sur 50 une fertilité aussi faible que celle d'Istanbul, et dans aucun d'entre eux la fécondité n'est aussi basse qu'à Téhéran ou Ispahan.

En conséquence le monde musulman va vieillir très vite, au point de voir converger vers 2050 ses taux de population âgée et dépendante avec ceux des États-Unis et connaître ce que Ederstadt qualifie de "Youthquake" (4).

Les causes de phénomène sont complexes à identifier. Pour David P. Goldman, c'est la contrepartie d'un effondrement de la religion selon le scénario observé en Europe avec la disparition simultanée de la foi catholique et des grandes familles en Italie, Espagne, Pologne, Irlande... La fréquentation des moquées en Iran serait inférieure à celle de l'Église d'Angleterre. Un effondrement du régime pourrait révéler une foi musulmane en peau de chagrin. L'effondrement du monde soviétique avait montré à quel point les communistes étaient peu nombreux. Pour Ederstadt le principal facteur est la chute du désir d'enfant, lequel renvoie aussi à l'affaiblissement de l'emprise religieuse, à l'éducation des femmes, à l'urbanisation et à la "fuite devant le mariage".

Les conséquences de ce passage du monde musulman de l'enfance à la sénescence en sautant l'étape de la maturité (5) sont apocalyptiques. L'Occident va avoir un mal fou à gérer le vieillissement de sa structure démographique. Un peu partout les systèmes de pension et de soins sont à la limite de la faillite. Mais une longue période de maturité démographique et de développement économique et technique lui ont permis d'accumuler des patrimoines et des niveaux de revenu par tête qui rendent le problème abordable. A l'inverse, le monde musulman s'est globalement enfoncé dans la stagnation, la dictature, et aujourd'hui, avec les soi-disant printemps arabes, il baigne dans le bourbier idéologique du jihad. Cette idéologie fossile le rive au malheur comme ses chaînes rivaient Prométhée à son rocher.

Comme les pays émergents d'Asie ou d'Amérique latine lui en donnent l'exemple, le premier impératif qui s'impose au monde musulman est de profiter immédiatement des quelques décennies qui lui restent pour s'extraire du dénuement, du sous-développement sociétal, et de l'arriération technique. Il pourrait alors donner une chance à ses futurs séniors et entrevoir pour lui-même un destin. Mais il devra d'abord accepter des modèles coopératifs dans ses relations avec le monde non-musulman et en son sein même. Il devra sortir de l'illusion de la domination et de la logique d'affrontement, et pour cela clouer impitoyablement le bec à toutes les manifestations de la doctrine stérile et monstrueuse prônée par Hassan al Banna et ses successeurs.

On ne voit pas sur l'heure où il pourrait trouver les forces herculéennes nécessaires à cette mutation. Peut-être à la suite d'un échec évident et rapide des doctrinaires qui ont mis la main sur les rouages du pouvoir à la suite des "printemps arabes". Peut-être en prenant appui sur la part féminine de sa population.

Mais il existe d'autre scénarios. A la place de la paix et de la coopération, l'extrémisme peut se renforcer. David P. Goldman observe la conscience aigue des chefs iraniens de la pénurie à venir d'hommes en âge de porter les armes. Les aventuriers présents dans le régime des mollahs pourraient en déduire que le temps presse, qu'il faut prendre maintenant des risques stratégiques pour sanctuariser une domination régionale chiite, qu'il ne faut pas attendre que la démographie gomme la réalisation de leur rêve. D'autant que le pessimisme culturel associé au resserrement démographique est propice aux aventures de tous ordres. C'est pour cela que Goldman recommande d'interdire de toute urgence au régime l'arme nucléaire, par tous moyens.


Notes:
1 -Arab Human Developpement Report UNPD http://www.arab-hdr.org/
2 -Demographics and Iran's imperial design  Asia Times 13 sept 2005, http://www.atimes.com/atimes/Middle_East/GI13Ak01.html; How Civilizations Die (and Why Islam is Dying Too) 2011 Regnery Publishing, Inc;  Fertilility, Faith, and Decline of Islam: Strategic Implications PJmedia.com 11 février 2013 http://pjmedia.com/spengler/2013/02/11/fertility-faith-and-the-decline-of-islam-strategic-implications/
3 -Fertility Decline in the Muslim World: a Veritable Sea-Change, Still Curiously Unnoticed, avec Apoorva Shah, 7 dec 2011 American Enterprise Institute http://www.aei.org/files/2012/03/21/-fertility-decline-in-the-muslim-world-a-veritable-seachange-still-curiously-unnoticed_102606337292.pdf
4 -Implosion catastrophique de la jeunesse
5 -C'est une formule de David P. Goldman

Pour un autre regard sur le Proche-Orient n° 10  Avril/Mai 2013
Jean-Pierre Bensimon
 

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