samedi 4 mai 2013

Les « surprises » nucléaires de l’Iran

Peut-on encore l’empêcher de construire son arsenal nucléaire ?
Sur l’armement nucléaire de l’Iran, Obama a réaffirmé en Israël les positions très claires qu’il avait énoncées à la fin de l’année 2012 à l’ONU. Il n’est pas question, a-t-il dit, de laisser l’Iran construire une arme nucléaire. Il aurait pu se contenter de promettre qu’il saurait lui interdire de l’utiliser s’il s’en dotait, à travers une politique  « d’endiguement » ( containment en anglais). Cette hypothèse est exclue, explicitement, et par Israël et par le président américain. A tout moment, en fonction des circonstances, le pays « contenu » peut retrouver sa latitude d’action, ne fut-ce que parce qu’il a suffisamment développé son arsenal pour intimider ses « gardiens. » Obama a été précis :
« L’Iran doit comprendre que la position des États-Unis d’Amérique est claire : l’Iran ne doit pas obtenir une arme nucléaire. Ce n’est pas un danger qui peut être contenu. En tant que président des États-Unis, j’ai dit au monde entier que toutes les options étaient envisageables pour atteindre nos objectifs. L’Amérique fera son devoir pour éviter un Iran avec l’arme nucléaire. » (1)


Le président américain évaluait à un an environ le délai qui reste encore pour la négociation et les sanctions. Au-delà, l’Iran nucléarisé pourrait sanctuariser son territoire et son régime, et surtout étendre son influence dans un Moyen-Orient cahoteux. L’usage de la force, juste avant le franchissement du seuil, serait alors le seul recours.

Mais cette politique reste encore dans le registre des paroles et promesses.

Le scénario d’Obama, ratifié bon gré mal gré par Israël au moment où il recevait son hôte, comporte à l’évidence d’énorme failles. Quand l’Iran pousse résolument ses capacités d’enrichissement de l’uranium, comment savoir s’il n’est pas passé à la production de la bombe elle-même et s’il reste du temps pour une réponse militaire ?

L’Iran pourrait atteindre très bientôt un seuil appelé « capacité critique ». C’est le potentiel d’enrichissement permettant d’effectuer en très peu de temps (une ou deux semaines) un saut brutal pour obtenir la quantité voulue d’uranium militarisé, c’est-à-dire enrichi à 70/90%. Ce laps de temps est alors si bref que les Occidentaux ne pourraient pas intervenir militairement avant l’achèvement des dernières opérations de mise au point.(2) Déterminer le point d’arrivée à la « capacité critique » est donc essentiel.

Or l’Iran en est de plus en plus proche. Pourquoi ? D’un coté il a d’ores et déjà accumulé un stock d’environ 200 kg d’uranium enrichi à 20%, soit environ 90% du chemin vers le combustible militaire. De l’autre il poursuit plus activement que jamais la mise en route de centrifugeuses. 5000 nouvelles centrifugeuses IR-1 en 2012 (la plus importante progression en 1 an) et il installe désormais des modèles IR-2m cinq fois plus productifs. Ce parc va bientôt être suffisant pour atteindre rapidement la capacité critique quand Téhéran le voudra, quelque soit le moratoire sur le stock à 20% négocié avec les Occidentaux.

 L’Iran pourrait disposer de sites clandestins permettant de porter l’uranium enrichi à 20 % dont il dispose déjà, au stade militaire. Il faut compter environ 25 kg de ce combustible très enrichi pour confectionner une bombe.

Comme le montre le scénario clairement développé par Netanyahou à l’ONU, l’étape terminale est brève et indétectable. A la différence de l’enrichissement qui exige des installations de grande taille, la mise au point du détonateur et l’usinage de l’arme sont réalisables dans des locaux exigus, impossible à identifier. Et sur ces deux terrains l’Iran dispose sans doute déjà des technologies de détonation et du missile capable d’intégrer dans sa chambre de charge l’arme usinée opérationnelle.

L’Iran collabore depuis des décennies avec la Corée du nord sur tous les aspects du processus de mise au point d’une arme nucléaire, mais aussi sur le vecteur balistique
associé. Des équipes iraniennes étaient présentes lors du dernier tir nucléaire coréen en février 2013, comme lors des deux précédents essais. Le missile iranien à longue portée Shahab-3 est un clone du No Dong 1 coréen. Une bombe coréenne serait parfaitement adaptée à ce missile. Et pourquoi les essais de la bombe iranienne ne seraient-ils pas conduits sur le sol coréen ? L’essai coréen de février dernier n’était-il pas en fait un essai iranien ? Nul ne peut répondre. L’Iran a les moyens financiers de convaincre Pyongyang, si désargenté, de ce genre de marché.

Des spécialistes avancent aussi l’hypothèse de l’achat par l’Iran d’une arme nucléaire coréenne. (3) Le régime des ayatollahs pourrait de même acquérir de l’uranium militarisé. La Corée du Nord en produit chaque année suffisamment pour 3 à 6 bombes. Elle en a fait la preuve en 2011, sur le site de Yougbyon, où elle avait invité Siegfried Hecker, l’ancien chef du laboratoire de Los Alamos. Une bombe pourrait être acheminée en une nuit, par avion, et immédiatement montée sur son vecteur balistique.

En conséquence, si l’on veut interdire la bombe à l’Iran, il faut au moins, sans délai, bloquer non pas le volume de l’enrichissement, mais les capacités d’enrichissement. Il faut aussi un système de surveillance sans failles des mouvements aériens entre Pyongyang et Téhéran.
Nous savons qu’il y a des négociations formelles et informelles avec l’Iran dont nous ignorons les résultats réels, mais à ce jour rien n’indique que l’extension quantitative et qualitative du parc de centrifugeuses iranien ait été freiné. Et nous ne savons rien des dispositifs effectifs pour interdire les transferts d’une arme opérationnelle ou de combustible militarisé.

Deux autres facteurs augmentent le scepticisme sur la gestion américaine du dossier. D’un  coté l’expérience de l’Histoire. Les États-Unis ont été régulièrement surpris par les percées nucléaires des États qu’ils observaient : celles de la Russie, de la Chine, du Pakistan, de l’Inde et de la Corée du Nord. Ils ont sous estimé en 1990 les progrès irakiens et ils les ont surestimés en 2003. Ces expériences ont montré à quel point le saut vers la capacité critique et la bombe peut être rapide et indétectable, et il n’y a aucune raison pour qu’il n’en soit pas ainsi dans le cas iranien.

D’autre part, l’équipe dont Obama s’est entouré sur le dossier des affaires internationales pour son second mandat (John Kerry, Chuck Hagel, John Brenann) a toutes les qualités requises pour apaiser ou reculer sur tous les théâtres d’affrontement. Mais elle n’a ni la vision, ni la détermination, ni la promptitude pour l’action face aux ayatollahs. L’Oncle Sam parle bien aujourd'hui, mais il se hâte lentement.

N’oublions pas que l’Iran cible Israël, le « petit Satan », mais aussi le « grand Satan » dans lequel on peut ranger les États-Unis et l’Europe. Très vite, les missiles iraniens vont être à portée de Marseille, de Paris, et de Londres. Il ne nous est pas indifférent de savoir quelle surprise se trouvera dans la chambre d’armement de ces bijoux de technologie non occidentale que l’Iran concocte avec ses amis coréens du nord. Israël attendra-t-il lui aussi les surprises l’arme au pied ?
 
Notes
1 - Discours du président Obama au peuple d’Israël 21 mars 2013
2 - David Albright, Mark Dubowitz and Orde Kittrie Stopping an Undetectable Iranian Bomb Wall Street Journal 26 mars 2013  http://online.wsj.com/article/SB10001424127887324789504578380801062046108.html
3 - Edward Jay Epstein How Iran Could Get the Bomb Overnight Wall Street Journal 27 mars 2013 http://online.wsj.com/article/SB10001424127887323419104578378434011235810.html
Pour un autre regard sur le Proche-Orient n° 10  Avril/Mai 2013
Jean-Pierre Bensimon
 
Addendum:Netanyahou  à l’ONU le 27 septembre 2012 : « l’étape finale de l’arme nucléaire n’est pas détectable »
« Dans le cas des plans de l’Iran pour construire une arme nucléaire, la poudre, c’est de l’uranium enrichi. Le détonateur, c’est un détonateur nucléaire. (…)
« L’Iran pourrait produire le détonateur nucléaire – le fusible – en beaucoup moins de temps, peut-être moins d’un an, peut-être seulement quelques mois.
« Le détonateur peut être réalisé dans un atelier de la taille d’une salle de classe. Il peut être très difficile à trouver et à cibler cet atelier, en particulier en Iran. C’est un pays qui est plus grand que la France, l’Allemagne, l’Italie et la Grande-Bretagne réunies.
« La même chose est vraie pour la petite installation dans laquelle ils voudraient monter une ogive ou une arme nucléaire. Elle pourrait être placée dans un porte-conteneurs. Il y a des chances que vous ne trouviez pas cette installation. (…)
« Où en est l’Iran? L’Iran a terminé la première étape [enrichissement à 20%]. Il lui a fallu de nombreuses années, mais il l’a remplie et il est à 70% du chemin.
« Maintenant, il en est à la deuxième étape. Au printemps prochain, au plus avant l’été prochain au vu des taux d’enrichissement actuels, il aura l’enrichissement moyen pour passer à l’étape finale.
« A partir de là, il n’y a que quelques mois, peut-être quelques semaines avant qu’il n’obtienne suffisamment d’uranium enrichi pour la première bombe.
Pour un autre regard sur le Proche-Orient n° 10  Avril/Mai 2013
 

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