Sur les murailles antiques de Jérusalem, on entend le bruit de vieux habitués des lieux qui s'éventent. Il n'y a pas d'argent pour l'air conditionné. Les tapis des fidèles sont vieux et effilochés. J'étais à l'intérieur de l'un des édifices les plus chargés de symboles au monde, mais des échafaudages et tout un fatras m'empêchaient de voir le cœur du Dôme du Rocher.
Le manque d'eau, les chaussures en désordre, un antique carrelage plein de saleté, donnaient une impression de laideur dans le troisième site le plus saint de l'islam. Ce n'était pas la faute des Juifs ou de l'Occident. N'était-ce pas la notre, nous les musulmans, qui appelons tous les jours au combat pour « libérer Jérusalem » mais qui négligeons le cœur même de cette cité ? Pourquoi ? Et comment cela peut-il changer ?
La Ligue arabe a entamé un boycott des marchandises sionistes dès 1945. Elle a créé par la suite un Bureau Central du Boycott pour que les contacts des Arabes avec Israël soient réduits au minimum. En réalité, si les États du Golfe et autres États arabes ont contourné cette obligation, les masses arabes et musulmanes n'ont pas encore rompu avec l'injonction de boycotter tout ce qui a trait à Israël.
Un religieux célèbre, Yousouf Al Qaradawi, ne se contente pas de justifier les attentats suicide contre les Israéliens. De la tribune que lui offre Al-Jazzera, il réitère régulièrement ses fatwas enjoignant aux musulmans d'éviter tout contact avec Israël. Les appels récents d'universitaires européens marxistes visant à boycotter Israël ont renforcé ce comportement d'échec.
Dans de nombreuses mosquées et universités, ce point de vue renforce le complexe de supériorité des enseignants et des religieux musulmans. Mais les principales victimes du boycott ne sont pas les Israéliens, mais les Palestiniens. L'économie israélienne est en plein essor, tandis que Palestiniens stagnent dans une pauvreté abjecte. Le boycott arabe pluri-décennal a misérablement échoué. On estime que 70 % des familles palestiniennes de Jérusalem Est vivent en-dessous du seuil de pauvreté.
Les Arabes des pays voisins ne visitent pas Jérusalem à cause du boycott, mais beaucoup d'arabes ne peuvent pas se payer ce luxe : ils cherchent des emplois de ménage, de portiers, dans les hôtels de la ville ou dans des entreprises appartenant à des Juifs, ou alors ils se rendent en Cisjordanie pour trouver du travail. Ceux qui condamnent les implantations israéliennes et appellent au boycott économique de leur production sont nombreux. Mais j'ai vu des maçons, des plombiers, des chauffeurs de taxi, et autres travailleurs arabes, contribuer au genre de vie israélien. La politique de séparation des deux peuples n'a pas fonctionné en Terre Sainte, et il est temps d'y mettre un terme. Jusqu'à quand allons-nous continuer de punir les Palestiniens dans le but de créer une Palestine libre ?
J'ai laissé de coté les stéréotypes musulmans et je suis allé en Israël car une nouvelle dynamique est en train de voir le jour dans la région. L'ancien grand mufti d'Égypte, Ali Gomaa, et le célèbre exégète Habib Ali al-Jifr, ont rompu avec Qaradawi, et ils se sont rendus à Jérusalem en avril dernier. Ils ont justifié leur visite à partir des textes sacrés. Ils ont cité le Prophète encourageant les fidèles à visiter la Terre Sainte. Leur voyage a été facilité par le prince Ghazi bin Muhammad bin Talal de Jordanie, le principal conseiller du roi Abdallah II en matière de religion.
Les dirigeants musulmans de Jérusalem ont souhaité la bienvenue aux deux hommes, et les imams palestiniens ont appelé à fin du boycott arabe sur Al-Jazzera en arabe et sur d'autres médias. C'était en contradiction directe avec les préceptes des radicaux comme Qaradawi et ses partisans au sein des Frères musulmans du Caire et du parti islamiste Ennahda de Tunis. Pourquoi veulent-ils poursuivre le boycott ?
L'accord de libre-échange entre Israël et la Turquie, qui a donné des résultats positifs pour les deux pays, les relations cordiales de la Jordanie avec l'État juif, et le nouveau message des deux éminentes sommités montrent que tous les Arabes et tous les musulmans sont pas des maniaques de la confrontation.
Le président Obama est attendu en Israël et en Jordanie ce mois-ci. Des conversations visant à la reprise des négociations de paix sont une fois de plus dans l'air, mais elles échoueront encore une fois s'il n'y a pas un profond changement des comportements. Le premier ministre Benjamin Netanyahou, en dépit de toutes ses fautes, a correctement décrit une poussée d'intolérance vis-à-vis d'Israël. A l'aune de la démocratie, les nations des Printemps arabes ne sont pas sérieuses quand elles interdisent à leurs citoyens de visiter les lieux saints musulmans (et juifs, et chrétiens).
La voix des imams palestiniens qui désirent la fin du boycott doit être relayée. Les dirigeants religieux du séminaire de l'université Al Azhar en Égypte et de Médine en Arabie Saoudite qui se font les avocats de la paix sont souvent ignorés par les hommes politiques, même s'ils ont beaucoup d'influence sur le peuple. Un accord de paix contresigné par ce genre d'imams modérés, pourrait avoir un large retentissement politique et religieux.
Sans un changement d'attitude, les soucis de sécurité d'Israël ne se dissiperont jamais. Humaniser Israël aux yeux des Arabes, en rassemblant les alliés musulmans de l'Amérique, en mettant le holà à l'antisémitisme dans les livres scolaires et les sermons des mosquées, et en permettant aux citoyens arabes de visiter Israël et de faire du commerce avec lui, voila les premiers pas indispensables.
Pour être crédible aux yeux des musulmans, tout accord de paix nécessite le soutien des principaux pouvoirs sunnites, dont l'Arabie Saoudite, la Turquie et l'Égypte. Avec des organisations islamistes de toutes tendances au pouvoir à Ankara, à Tunis, à Gaza, au Caire, ou en plein essor au Yémen et en Jordanie, l'Occident ne peut pas continuer à ignorer les dimensions religieuses du conflit israélo-arabe.
Si nous ne domptons pas le tigre islamiste, dans une décennie, nous aurons encore reculé et nous le regretterons.
Le manque d'eau, les chaussures en désordre, un antique carrelage plein de saleté, donnaient une impression de laideur dans le troisième site le plus saint de l'islam. Ce n'était pas la faute des Juifs ou de l'Occident. N'était-ce pas la notre, nous les musulmans, qui appelons tous les jours au combat pour « libérer Jérusalem » mais qui négligeons le cœur même de cette cité ? Pourquoi ? Et comment cela peut-il changer ?
J'ai visité récemment Israël et la Cisjordanie pour la première fois. Je suis musulman, et dans toutes les communautés musulmanes du monde, visiter Israël est tenu pour un geste de soutien à «l'entité sioniste», avec un grand risque d'être mis à l'index. Cette façon de voir passéiste ne peut qu’aboutir à des revers.
La Ligue arabe a entamé un boycott des marchandises sionistes dès 1945. Elle a créé par la suite un Bureau Central du Boycott pour que les contacts des Arabes avec Israël soient réduits au minimum. En réalité, si les États du Golfe et autres États arabes ont contourné cette obligation, les masses arabes et musulmanes n'ont pas encore rompu avec l'injonction de boycotter tout ce qui a trait à Israël.
Un religieux célèbre, Yousouf Al Qaradawi, ne se contente pas de justifier les attentats suicide contre les Israéliens. De la tribune que lui offre Al-Jazzera, il réitère régulièrement ses fatwas enjoignant aux musulmans d'éviter tout contact avec Israël. Les appels récents d'universitaires européens marxistes visant à boycotter Israël ont renforcé ce comportement d'échec.
Dans de nombreuses mosquées et universités, ce point de vue renforce le complexe de supériorité des enseignants et des religieux musulmans. Mais les principales victimes du boycott ne sont pas les Israéliens, mais les Palestiniens. L'économie israélienne est en plein essor, tandis que Palestiniens stagnent dans une pauvreté abjecte. Le boycott arabe pluri-décennal a misérablement échoué. On estime que 70 % des familles palestiniennes de Jérusalem Est vivent en-dessous du seuil de pauvreté.
Les Arabes des pays voisins ne visitent pas Jérusalem à cause du boycott, mais beaucoup d'arabes ne peuvent pas se payer ce luxe : ils cherchent des emplois de ménage, de portiers, dans les hôtels de la ville ou dans des entreprises appartenant à des Juifs, ou alors ils se rendent en Cisjordanie pour trouver du travail. Ceux qui condamnent les implantations israéliennes et appellent au boycott économique de leur production sont nombreux. Mais j'ai vu des maçons, des plombiers, des chauffeurs de taxi, et autres travailleurs arabes, contribuer au genre de vie israélien. La politique de séparation des deux peuples n'a pas fonctionné en Terre Sainte, et il est temps d'y mettre un terme. Jusqu'à quand allons-nous continuer de punir les Palestiniens dans le but de créer une Palestine libre ?
J'ai laissé de coté les stéréotypes musulmans et je suis allé en Israël car une nouvelle dynamique est en train de voir le jour dans la région. L'ancien grand mufti d'Égypte, Ali Gomaa, et le célèbre exégète Habib Ali al-Jifr, ont rompu avec Qaradawi, et ils se sont rendus à Jérusalem en avril dernier. Ils ont justifié leur visite à partir des textes sacrés. Ils ont cité le Prophète encourageant les fidèles à visiter la Terre Sainte. Leur voyage a été facilité par le prince Ghazi bin Muhammad bin Talal de Jordanie, le principal conseiller du roi Abdallah II en matière de religion.
Les dirigeants musulmans de Jérusalem ont souhaité la bienvenue aux deux hommes, et les imams palestiniens ont appelé à fin du boycott arabe sur Al-Jazzera en arabe et sur d'autres médias. C'était en contradiction directe avec les préceptes des radicaux comme Qaradawi et ses partisans au sein des Frères musulmans du Caire et du parti islamiste Ennahda de Tunis. Pourquoi veulent-ils poursuivre le boycott ?
L'accord de libre-échange entre Israël et la Turquie, qui a donné des résultats positifs pour les deux pays, les relations cordiales de la Jordanie avec l'État juif, et le nouveau message des deux éminentes sommités montrent que tous les Arabes et tous les musulmans sont pas des maniaques de la confrontation.
Le président Obama est attendu en Israël et en Jordanie ce mois-ci. Des conversations visant à la reprise des négociations de paix sont une fois de plus dans l'air, mais elles échoueront encore une fois s'il n'y a pas un profond changement des comportements. Le premier ministre Benjamin Netanyahou, en dépit de toutes ses fautes, a correctement décrit une poussée d'intolérance vis-à-vis d'Israël. A l'aune de la démocratie, les nations des Printemps arabes ne sont pas sérieuses quand elles interdisent à leurs citoyens de visiter les lieux saints musulmans (et juifs, et chrétiens).
La voix des imams palestiniens qui désirent la fin du boycott doit être relayée. Les dirigeants religieux du séminaire de l'université Al Azhar en Égypte et de Médine en Arabie Saoudite qui se font les avocats de la paix sont souvent ignorés par les hommes politiques, même s'ils ont beaucoup d'influence sur le peuple. Un accord de paix contresigné par ce genre d'imams modérés, pourrait avoir un large retentissement politique et religieux.
Sans un changement d'attitude, les soucis de sécurité d'Israël ne se dissiperont jamais. Humaniser Israël aux yeux des Arabes, en rassemblant les alliés musulmans de l'Amérique, en mettant le holà à l'antisémitisme dans les livres scolaires et les sermons des mosquées, et en permettant aux citoyens arabes de visiter Israël et de faire du commerce avec lui, voila les premiers pas indispensables.
Pour être crédible aux yeux des musulmans, tout accord de paix nécessite le soutien des principaux pouvoirs sunnites, dont l'Arabie Saoudite, la Turquie et l'Égypte. Avec des organisations islamistes de toutes tendances au pouvoir à Ankara, à Tunis, à Gaza, au Caire, ou en plein essor au Yémen et en Jordanie, l'Occident ne peut pas continuer à ignorer les dimensions religieuses du conflit israélo-arabe.
Si nous ne domptons pas le tigre islamiste, dans une décennie, nous aurons encore reculé et nous le regretterons.
Titre original : End the Arab Boycott of Israel
par Ed Husain, ancien islamiste radical, chercheur aux Etats-Unis, enseignant,
New York Times, 6 mars 2013 http://www.nytimes.com/2013/03/07/opinion/global/end-the-arab-boycott-of-israel.html?_r=1&
par Ed Husain, ancien islamiste radical, chercheur aux Etats-Unis, enseignant,
New York Times, 6 mars 2013 http://www.nytimes.com/2013/03/07/opinion/global/end-the-arab-boycott-of-israel.html?_r=1&
Pour un autre regard sur le Proche-Orient n° 10 Avril/Mai 2013
Traduction : "Pour un autre regard..."
Traduction : "Pour un autre regard..."
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