vendredi 3 mai 2013

Visite en Israël: le grand tournant d’Obama ?


Le président américain prend acte de l’échec de son ouverture de 2009 vers le monde arabe, du chaos où il est aujourd’hui plongé, et rectifie sa communication vis-à-vis d’Israël.

              
Le discours du président américain « au peuple d’Israël » a été, comme il l’a voulu, le moment de communication le plus fort de sa visite. Très synthétique, de bon niveau, on va y trouver le mieux et le pire. Le mieux, c’est une perception améliorée des problématiques essentielles de la région et de leur inscription dans l’Histoire ; la reconnaissance, rare en Europe, des efforts de paix remarquables d’Israël, même si la solution négociée est actuellement dans l’impasse. Le mieux aussi, son engagement de protéger la vie d’une démocratie si proche de l’Amérique. « … tant qu’il y aura les États-Unis d’Amérique, Atem lo Levad, vous ne serez pas seuls. » Bien qu’elle ait en réalité des liens de filiation plus directs avec l’Europe, la démocratie israélienne trouve de ce côté-là si peu de soutiens et tant de critiques, menaces, et diffamations, que la parole américaine a été vécue comme très réconfortante.

Le pire à présent : de vieux mythes qu’Obama a égrenés, et des erreurs d’évaluation criantes. En découle une rhétorique épuisée, un cadre de réflexion erroné pour qui veut comprendre les motifs et les responsabilités des acteurs de chair et d’os qui entretiennent le conflit interminable entre Israël et certains de ses voisins. Il est douteux que le président croie lui-même en ce fatras. Les relations entre les États-Unis et le monde arabo-musulman tel qu’il est, l’obligation de s’inscrire au moins en paroles dans une dynamique positive, le contraignaient peut-être à ce pénible exercice.

OBAMA MARIE UN  TEMPS PAROLES ET RÉALITÉ

Sur trois points essentiels, le président américain a carrément modifié la doctrine présidentielle du premier mandat.

D’abord, il ne croit plus vraiment à la conclusion d’une paix formalisée à courte ou moyenne échéance. Il l’a montré en ne s’adressant pas à la Knesset. S’il avait eu la vision claire d’une voie possible, c’est cette instance, celle de la prise de décision, qu’il aurait voulu convaincre. En s’adressant au « peuple » et en lui demandant de « réfléchir » sur l’histoire et l’avenir, il manifeste qu’il a bien compris que la situation n’est pas mure pour la percée à laquelle il croyait il y a quatre ans. Qui peut rêver d’un compromis à portée de main quand règnent le chaos des « printemps » arabes, les déchirements entre Gaza et Ramallah, et l’absence décourageante d’un leadership palestinien présentable (un Abbas, vieillissant et malade, dont le mandat électif est terminé depuis janvier 2009, qui a organisé le vide autour de lui, un Fayyad impopulaire, une clique antédiluvienne du Hamas qui veut instaurer un califat).

Ensuite, loin du discours du Caire de 2009 où il expliquait la naissance d’Israël par la Shoah, Obama a prononcé un vibrant éloge du sionisme dans son principe et dans ses réalisations. « Ici, dans cette petite bande de terre qui a été au centre de l’histoire du monde, au centre de tant de triomphes et de tant de tragédies, les Israéliens ont construit quelque chose que peu de gens pouvaient imaginer il y a 65 ans ». En s’exprimant avec tant de franchise, Obama a contribué consolider et à réactualiser la légitimité d’Israël au moment où elle est contestée avec hostilité jusque dans son propre camp aux États-Unis. Cet appui est aussi un avertissement aux architectes de la guerre jihadiste contre Israël pour lesquels l’affaiblissement des soutiens occidentaux de l’État juif équivaut à un feu vert terroriste. Obama leur a plutôt allumé un feu rouge.

Enfin, l’ancien sénateur de Chicago a envoyé aux Palestiniens « modérés » un double message les mettant face à leurs responsabilités. Une rupture de plus avec le passé. Il a souligné l’engagement concret d’Israël pour la paix: « Vous avez fait des propositions crédibles aux palestiniens à Annapolis, » indiquant en creux que le coté arabe n’en n’a pas voulu. Il a suggéré sans périphrases à Ramallah d’en finir avec les « préalables », cette formule magique de Mahmoud Abbas pour rendre impossible toute négociation. Et il lui a aussi demandé de reconnaître Israël comme État juif, ce que tous les Palestiniens refusent obstinément, rêvant d’en faire un nième État islamique une fois la souveraineté juive liquidée d’une façon ou d’une autre.

Ces trois grandes évolutions de la position américaine aboutissent à soulever la responsabilité palestinienne au lieu d’accuser systématiquement Israël. Elles devraient modifier radicalement la donne idéologique au Proche Orient dans les années à venir. Il faut souligner que l’Europe, la France en particulier, avait rêvé de convaincre la nouvelle administration américaine de lancer à nouveau un grand plan de paix commun, pour exercer une coercition maximale sur Israël. Un programme de concessions insoutenables imposé à Israël incluant le retrait sur les lignes de 1967 et la division de Jérusalem. Obama semble avoir bloqué cette initiative, sentier balisé pour de nouvelles guerres à l’issue d’une brève accalmie. Bien au contraire les déclarations du président américain devraient affaiblir sensiblement la rhétorique antisioniste européenne, qu’elle émane des États, des média; ou des idéologues.

OBAMA DÉCLINE ENSUITE LA BOUILLIE IDÉOLOGIQUE DES DEUX DÉCENNIES D’OSLO

A coté de ces véritables progrès, on retrouvait aussi dans le message d’Obama "au peuple d’Israël", l’empilement des mythes incrustés en Occident au cours des décennies de guerre idéologique contre Israël, ainsi que des erreurs d’analyse trop  flagrantes et puériles pour n’être pas délibérées.

1) Le mythe de l’importance de Jérusalem pour l’islam. Les « trois grandes religions – judaïsme, christianisme et islam – … considèrent toutes Jérusalem comme sacrée. » Cette idée de Jérusalem comme troisième lieu saint de l’islam est ancrée dans les esprits occidentaux. Elle a une grande portée politique, mais elle est parfaitement fausse. L’islam n’aime pas Jérusalem. Il la considère avec mépris comme la ville juive par excellence. Au fondement de ce tour de passe-passe en sainteté, la sourate du Voyage Nocturne. Mais le voyage ne conduit pas le Prophète à Jérusalem comme le disent les traductions manipulatoires du Coran, mais à la mosquée « Al Aqsa », c’est-à-dire « la lointaine », sans doute à Médine. Dans l’histoire les musulmans ont toujours revendiqué Jérusalem comme une de leurs villes saintes dans une intention politique, quand ils ont voulu la conquérir.
 
 Mais ils l'ont toujours laissé péricliter dans une totale indifférence une fois conquise. Le sort que lui avaient réservé les Hachémites entre 1949 et 1967 est éloquent de ce point de vue, tout comme l’attitude des notabilités arabes de l'époque qui ne trouvaient jamais le temps de la visiter. Par contre, Jérusalem est devenue extrêmement sainte du point de vue islamique depuis la prise de contrôle d’Israël en 1967, et plus encore à partir de son annexion en 1980. L’argument du 3ème lieu saint de l’islam est une pirouette qui transforme une revendication politique (la partition de Jérusalem) en exigence pseudo religieuse irrépressible. Elle porte, car le sang de l'Occident se glace quand l’arme nucléaire de la religion est brandie par l’islam.

2) Les risques pour la paix. La formulation d’Obama est habile : « Je sais qu’Israël a pris des risques pour la paix .» Mais il sous-entend qu’il faut néanmoins continuer d’en prendre, malgré les déconvenues gravissimes de l’évacuation du Sud-Liban et de Gaza. Pour Israël qui a devant lui des adversaires qui veulent le rayer de la géographie locale, les risques sont d'ordre existentiels. Dans ces circonstances, c'est un peu comme si l'on conseillait à un ami "risque ta vie sans hésiter", au lieu de lui dire "sois prudent." Quand on voit avec quelle énergie le président américain évite de faire prendre à son pays le moindre risque pour résoudre le cauchemar nucléaire iranien -à l'échelle de la superpuissance, le risque est plutôt mineur- comment ne pas penser à l'adage :"Faites ce que je dis, pas ce que je fais"?

Plus grave encore, la nature du risque à prendre que suggère mezzo voce Obama. Ce risque c'est d'offrir à Mahmoud Abbas un retrait sur les lignes de 1967 et la partition de Jérusalem. Et cela au moment où l'enjeu immédiat d'Israël est la nucléarisation de l'Iran, risque vital qu'il faut neutraliser, même en prenant de grands risques. Or, quand il s'agit pour Israël de prendre un risque majeur pour lever une vraie menace sur sa vie, le discours euro/américain vire à 180°: ne pas attaquer l'Iran, laisser toutes ses chances à la négociation et aux sanctions, deux politiques qui tardent à dissuader les mollahs d’abandonner leur  redoutable programme d'armement.

3) Il faut faire la paix pour avoir la sécurité. "Je crois que la paix est la seule voie vers une sécurité véritable." La formule du président est une lapalissade. Si on a la paix, on a la sécurité. La sécurité peut être obtenue par ses propres effort, en dissuadant l'ennemi, sans un accord formalisé. Par contre pour avoir la paix, il faut être au moins deux. Et , face à un adversaire belliciste, on peut choisir entre plusieurs voies.

L'une consiste à lui mendier la paix. C'est celle qui fut choisie naguère à Munich et qui conduisit à la guerre la plus dévastatrice de l'Histoire. C'est dans ce sens qu'Obama pousse Israël en évoquant une détérioration inéluctable du rapport des forces. Faites des concessions, revenez aux lignes de 1967, partitionnez Jérusalem et vous aurez la paix.
 
C'est exactement la voie suivie par Israël au cours des deux décennies noires de la "paix d'Oslo." Il a concédé un territoire et une force armée à son ennemi palestinien, il a évacué le Sud-Liban et Gaza, il a proposé plusieurs formules de règlement final. Pour récompense, il a eu la guerre, l'Intifada, le terrorisme, et 12.000 roquettes ont arrosé son territoire et sa population.

Israël semble avoir retenu la leçon : toute concession est considérée comme une faiblesse qui incite l'adversaire mis en appétit à plus de violence. Mais ce qui excite aussi l'appétit des bellicistes palestiniens, c'est le biais critique, hypercritique,  ou diffamatoire des euro-américains envers Israël, c'est la solidarité entre les démocraties foulée aux pieds, c'est la cécité euro-américaine bienveillante devant les politiques d'incitation à la haine et à la guerre de ses protégés palestiniens dits "modérés".

Comment Obama peut-il demander à Israël de choisir le chemin de la paix, comme s'il ne l'avait pas déjà parcouru dans tous les sens? Comme si la non-paix pouvait lui être attribuée! Obama a un schéma dans la tête, mille fois réfuté par la réalité : donnons satisfaction aux demandes palestiniennes et le conflit prendra fin de lui-même. Naïveté? Ne voit-il pas qu'une revendication cache la suivante, comme le prescrit la théorie de la destruction d'Israël par étapes arrêtée en juin 1974 par l'OLP? Le refus palestinien de renoncer  à toute revendication après la signature d’un traité en atteste.

La seconde attitude est  vieille comme la prescription romaine "si vis pacem, para bellum". Elle consiste à convaincre son adversaire par tous moyens militaires, politiques, et économiques qu'il n'a aucune chance de vaincre et que le prix du recours aux armes sera très élevé pour lui. Face au monde arabe, Israël a besoin de la collaboration de l'Europe et des États-Unis pour obtenir ce résultat. C'est parce que ce front des démocraties tarde à se constituer, quand certaines d'entre elles ne se retournent pas contre l'État juif , que le conflit perdure.

4) La paix passe par la justice envers les Palestiniens. Sous les applaudissements affligeants de son jeune public israélien Obama poursuit par un morceau de bravoure où il révèle l'étendue de ses passions israélophobes, ou de son emprisonnement dans le "storytelling" monté par la propagande palestinienne, ou encore de son ignorance. "Mettez-vous à leur place. Regardez le monde avec leurs yeux. Il n’est pas juste qu’un enfant palestinien ne puisse pas grandir dans un État qui soit le sien. Qu'il vive toute sa vie en présence d’une armée étrangère qui contrôle chaque jour les mouvements des jeunes gens, mais aussi ceux de leurs parents et de leurs grands-parents. Il n'est pas juste que la violence des colons contre les Palestiniens reste impunie. Il n’est pas juste d’empêcher les Palestiniens de cultiver leurs terres, de limiter les déplacements des étudiants en  Cisjordanie, d'extraire des familles palestiniennes de leur maison. Ni l’occupation, ni l’expulsion ne sont une réponse. Tout comme les Israéliens ont construit un État dans leur patrie, les Palestiniens ont le droit d’être un peuple libre dans leur pays."

Faut-il lui faire remarquer que beaucoup d'enfants grandissent dans des États qui ne sont pas les leurs, comme les jeunes mexicains, chinois, arabes, ..., aux États-Unis, que beaucoup de jeunes arabes grandissent dans des États arabes aux mains de féroces autocrates qui écrasent leurs vies, que les Arabes des anciennes Judée et Samarie, délivrés de la Jordanie par Israël, ont connu une révolution agricole sans équivalent dans le monde arabe, que tous les paramètres de développement humain des Palestiniens sont parvenus, au contact d'Israël, sur les standards les plus performants des pays arabes les plus avancés, que la justice israélienne est implacable pour les Israéliens criminels à l'image de Jack Teitel qui vient d'être condamné à deux peines de prison à vie, etc.

Ce qui est intéressant, c'est que le président américain se fait ici militant palestinien, sur les brisées de son prédécesseur Jimmy Carter, friand de l'argent arabe qui meuble sa retraite des responsabilités. " Les Palestiniens ont le droit d’être un peuple libre dans leur pays."
 
Effectivement depuis que les accords d'Oslo ont remis les Palestiniens à la nomenklatura corrompue du Fatah ou aux griffes du Hamas et du Jihad islamique, il est difficile de parler de "peuple libre". Obama témoignera-t-il du même élan pour les citoyens des États totalitaires, théocratiques, autoritaires, dictatoriaux, etc. qui occupent les 3/4 des sièges de l'ONU, accessoirement pour les Tibétains, les Kurdes, les Chypriotes du Nord, etc.? Ou réserve-t-il exclusivement ses insinuations et ses gracieusetés à Israël ?

Pour finir

Le dernier temps fort de la visite d'Obama aura été d'obtenir in extremis de Benjamin Netanyahou qu'Israël présente au Turc Erdogan des excuses pour l'épisode du Mavi Marmara. Le premier ministre turc venait de qualifier le sionisme de "crime contre l'humanité", rendant la démarche encore plus avilissante. Le  31 mai 2010, neuf  ressortissants turcs, participants d'une flottille qui voulaient "briser le blocus israélien de Gaza," tombaient sous les balles des soldats israéliens. Ces militants "pacifistes" armés avaient violemment agressé à coup de barres de fer et de couteaux les soldats qui venaient prendre le contrôle du bateau, et enlevé deux d'entre eux. En légitime défense ces derniers avaient dû tirer pour se dégager et mâter les "activistes". Le rapport de l'ONU de Geoffrey Palmer établissait un an plus tard la légalité du blocus de Gaza et des mesures connexes prises par Israël.

Obama a donc demandé à Israël de s'excuser d'avoir été agressé et de s'être défendu conformément au droit international, au nom de l'importance stratégique d'un front unifié contre l'emprise de l'expansionnisme iranien au Proche-Orient. C'était un préalable turc que le naïf président américain s'est empressé de satisfaire.

Comme on pouvait le prévoir, une fois les excuses obtenues et exploitées dans les média, le premier ministre turc a multiplié de nouveaux préalables au rétablissement de relations normales entre la Turquie et Israël, aussi humiliants les uns que les autres : principalement la fin de toute mesure restrictive sur Gaza et une indemnisation somptueuse des "victimes".
 
Les experts israéliens estiment aujourd'hui qu'il est impossible de tabler sur une coopération à long terme quelconque avec la Turquie, en matière militaire comme pour l'exploitation et le transport du gaz extrait des gisements récemment découverts sur les côtes israéliennes.

Comme "petit pays", Israël doit avaler chaque matin son bol de grimaces. L'alliance américaine est l'un des paramètres vitaux de sa politique. Il est indispensable de la préserver et de la cultiver, quelle que soit l'administration aux affaires. Mais il faut bien comprendre que cette relation d'alliance s'impose aussi aux présidents américains en fonction, quelles que soient leurs inclinations personnelles. Elle obéit à des contraintes stratégiques locales, aux exigences des liens technologiques entre les deux pays, mais aussi aux équilibres politiques intérieurs des États-Unis. Le second mandat d'Obama sera strictement encadré par ces paramètres structurels. Le président modifie sa communication. Tant mieux.
 
Pour un autre regard sur le Proche-Orient n° 10  Avril/Mai 2013
Jean-Pierre Bensimon


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