Comme le chien qui a finalement rattrapé le bus derrière lequel il courait, le secrétaire d'État John Kerry doit à présent se demander ce qu'il va faire du fruit de ses efforts. Il a persuadé, suborné, cajolé, et menacé Israéliens et Palestiniens pour qu'ils retournent à la «table de négociation».
Il a promis aux Palestiniens plus de 4 milliards de dollars en «investissements» et en aide publique, ainsi que la libération de 104 prisonniers de l'époque antérieure à Oslo, détenus par Israël : des terroristes avec du sang sur les mains, précédemment considérés comme non libérables.
Le prix à payer par les Palestiniens, s'il y en a un, n'est pas clairement affiché, mais ces derniers embouchent les trompettes de la victoire. Israël va libérer des prisonniers et ces prisonniers ne seront pas assignés à Gaza. Israël ne pourra pas obtenir à un simple accord intérimaire, mais qu’il devra s’engager sur le terrain du « statut final ». Kerry leur a accordé que les lignes de 1949 (les soi-disant frontières de 1967) seront le point de départ de la négociation. D'une façon presque désinvolte, Mahmoud Abbas a dit qu'il s’était engagé en faveur « d'une solution à deux États», et Kerry a fait référence à la vague promesse des États arabes de faire la paix avec Israël si les demandes palestiniennes étaient satisfaites (nous en parlerons plus loin).
Ainsi, M. Kerry a mis son plan sur la table, et Israël doit payer d'avance.
Une question centrale surgit alors : qu'est-ce qui va être négocié ? Ce ne sera pas la «paix» car la paix n'a pas la propriété d'être négociable. Pour Machiavel la paix est «la condition imposée par le vainqueur au vaincu lors du dernier conflit.» Il peut y avoir une «paix froide», une «paix chaude», ou la «paix des cimetières.» La «paix» de Versailles contenait en germe la seconde guerre mondiale ; la «paix» qui a suivi la seconde guerre mondiale contenait en germe la démocratisation de l'Allemagne et du Japon, mais elle a livré des millions de gens à la férule du communisme soviétique, pour presque un demi-siècle. Si elle y parvient, la paix n’émerge que lorsque les exigences contradictoires des adversaires sont résolues, que ce soit par la négociation ou par la guerre. La seconde guerre mondiale a pris fin quand les alliés sont entrés à Berlin, Hitler étant mort dans son bunker ; la guerre froide s’est achevée quand les pays satellites des soviétiques se sont libérés de l'emprise de Moscou, avec la mort du communisme.
Quelles sont les exigences conflictuelles des Israéliens et des Palestiniens ? Peut-on les résoudre pour ouvrir la voie à une paix, quelle qu’elle soit ? Dans leur expression la plus directe, les exigences essentielles d'Israël sont :
• la reconnaissance de l'État d'Israël dans la région comme un fait permanent et légitime ; des «frontières sûres et reconnues, sans menaces ni actes de force», promesse consignée dans la résolution 242 de l'ONU.
• « la fin du conflit/ des revendications » les Israéliens supposent que l’accord à venir doit prohiber toute demande palestinienne additionnelle, en termes de territoires ou de droits.
• la capitale d'Israël est Jérusalem.
Les exigences des Palestiniens sont :
• la reconnaissance internationale d'un État indépendant, sans renoncer à leur droit de revendiquer/de restaurer davantage, ou même toute la « Palestine ».
• le droit des réfugiés palestiniens et de leurs descendants de vivre en Israël s’ils le désirent, ou bien d'obtenir une compensation, le choix entre ces options devant être de leur fait et non de la volonté d'Israël.
• Jérusalem comme capitale de la Palestine.
Les positions respectives des deux camps sont incompatibles. C'est cela, et non l'insuffisance des pressions ou l’absence d’un plan adéquat, qui empêche la mise en œuvre aujourd’hui de la mythique «solution à deux États» contenue en filigrane dans les accords d'Oslo de 1993. Dans la vision des Israéliens et des Américains, il y a trois hypothèses sous-jacentes - et erronées - dans le processus d’Oslo, qui viennent hanter comme à l’accoutumée toutes les négociations :
• Le nationalisme palestinien est compris comme l'image en miroir du nationalisme juif. (Le sionisme était fait pour «normaliser» la situation des Juifs sans État en leur attribuant un État.)
• Le nationalisme palestinien peut trouver une pleine expression dans un État croupion coupé en deux, enserré entre un Israël hostile et une Jordanie encore plus hostile.
• Tout cela a un prix qu’Israël, les États-Unis (et peut-être l'Europe) pourront payer aux Palestiniens pour dépasser les autres objections à une souveraineté juive sur une partie quelconque de cette terre.
Mais le nationalisme palestinien consiste précisément à restaurer « la terre palestinienne » usurpée par l'établissement d'Israël en 1948, qui est perçu comme une faute de la communauté internationale engluée dans sa culpabilité découlant de l'holocauste. La naqba palestinienne se réfère à l'erreur originale que constitue la naissance d'Israël, exacerbée par son acquisition de territoires supplémentaires en 1967. Imaginer que les Palestiniens puissent s’accommoder des petits morceaux de terre concédés après la guerre d'indépendance d'Israël, quelque chose de plus petit que ce qui avait été offert aux Arabes par le plan de partition de l'ONU de 1947, c’est ignorer la vision palestinienne de l’avenir tel qu'il a été enseigné aux générations successives après Oslo. Sur ce point, et peut-être seulement sur ce point, le Hamas et le Fatah sont en complet accord.
M. Kerry aurait été plus avisé de revenir sur deux points. Tout d’abord, il aurait dû insister pour que les Palestiniens remplissent effectivement leur engagement antérieur de mettre un terme à l'incitation contre Israël et les Juifs.
Ensuite, plutôt qu'accepter une vague promesse de la ligue Arabe de reconnaître Israël une fois les revendications palestiniennes satisfaites, M. Kerry aurait dû rappeler les obligations de la résolution 242 de l'ONU de «mettre un terme à toutes les revendications et à l'état de belligérance», à la charge des États arabes, pas des Palestiniens. Ce sont eux, et pas les Palestiniens, qui sont entrés en guerre contre Israël en 1967.
(Notons ici que l'obligation correspondante Israël, de «retirer les forces armées israéliennes de territoires occupés dans le récent conflit» a été largement remplie. Il y a eu l'évacuation de plus de 90 % des territoires aux termes du traité de paix israélo-égyptien de 1979, le retrait certifié par l'ONU de toute parcelle du territoire libanais en 2000, le retrait des civils et des militaires israéliens de Gaza en 2005, le retrait de l'armée israélienne de certaines parties de la Cisjordanie.)
Tout cela ne signifie pas qu’un État palestinien soit exclu à jamais, ni qu'Israël doive se résigner à une occupation permanente. Il s'agit simplement de reconnaître que le secrétaire Kerry a réitéré les fautes d'un « processus de paix » bien mal nommé. Aucune paix ne peut émerger dans le cadre d'une «solution à deux États» qui exige qu'une partie ou les deux abandonnent les principes fondamentaux auxquels elles sont profondément attachées. Il incombe aux parties - en particulier les parties extérieures - de reconnaître honnêtement la futilité de la rhétorique qui persiste à exiger que le plomb se transforme en or. Et puis, ayant payé d’avance, ces parties trouveront probablement un coffre vide au moment de la livraison de l'or attendu.
Titre original : Paying in Advance
par Shoshana Bryen pour American Thinker 30 juillet 2013
http://www.americanthinker.com/2013/07/paying_in_advance.html
Traduction : Jean-Pierre Bensimon
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