mardi 22 octobre 2013

Les « lignes directrices » européennes: une initiative scélérate

Les ‘’lignes directrices’’ (1) relatives à l’accès des entreprises et des organismes israéliens aux financements de l’Union européenne (UE) ont été publiées le 19 juillet 2013. Cette initiative risque de modifier substantiellement les rapports entre Israël et l’Europe. Sa portée est d’autant plus grande que l’Europe est à la fois le berceau du sionisme et un partenaire décisif de l’État hébreu en matière commerciale et technologique.
Le contenu des « lignes directrices » permet de bien comprendre quel genre de sillon les pays influents de la politique moyen-orientale européenne, au premier rang la France et le Royaume uni, sont en train de creuser obstinément. Il en dit long aussi sur les vieux travers idéologiques occidentaux qui continuent d’imprégner le vieux continent et de peser sérieusement sur l’avenir de l’État juif.

Le texte européen s’annonce d’emblée comme visant «  garantir le respect des positions et des engagements adoptés par l'UE en conformité avec le droit international en ce qui concerne la non-reconnaissance par l'Union de la souveraineté d'Israël sur les territoires occupés par le pays depuis juin 1967. »

Les fameux « territoires occupés », précisément énumérés au point 2, sont : « le plateau du Golan, la bande de Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est. » Et l’UE de souligner dans la foulée « [qu’] elle a clairement fait savoir qu'elle ne reconnaîtrait aucune autre modification du tracé des frontières d'avant 1967 que celles approuvées par les parties au processus de paix au Proche-Orient. »

Les « lignes directrices » sont au service de ces prises de positions politiques, elles-mêmes calquées au millimètre sur les exigences officielles des Palestiniens de Ramallah. L’UE exclut tout accès des « entités israéliennes » aux aides européennes sous forme de « subventions, de prix ou d’instruments financiers » si ces entités sont établies dans les territoires visés, ou si leurs activités s’y déroulent. Seules sont admises les activités conçues pour « bénéficier à des personnes protégées aux termes du droit humanitaire international qui vivent dans ces territoires et/ou à mettre en œuvre la politique de l'UE dans le cadre du processus de paix au Proche-Orient. »

Pour empêcher tout contournement de ses exigences, l’UE demandera systématiquement une déclaration sur l’honneur et autant de documents supplémentaires qu’elle jugera utiles, réservant aux éventuels fraudeurs toute une série de sanctions réglementaires.

Il faut enfin remarquer le point 21, où il est demandé à la Commission européenne de veiller « à intégrer les contenu des présentes lignes directrices dans les accords internationaux et leurs protocoles… »

De l’art européen de travestir et de désinformer

Présenté dans les règles de l’art juridique, clair et concis, le texte européen est en fait une pure construction idéologique, c’est-à-dire un fatras, un tissu de préjugés, d’absurdités, d’ignorances. Mais c’est aussi un texte scélérat qui ajoute sa part de venin à une cause lamentable : celle de l’étranglement programmé de l’État juif et de l’alignement sur les obsessions décaties d’un terrorisme palestinien un peu hors d’âge.

D’emblée l’UE agite le « droit international ». Ce vieux chiffon est aussi usé que vide de contenu. On pourrait énumérer les transgressions quotidiennes de ce droit à géométrie variable. Les franco-anglo-américains n’ont-ils pas renversé le régime Kadhafi en Libye sous le couvert d’une résolution les autorisant à défendre Benghazi ? François Hollande n’a-t-il pas envoyé (judicieusement) l’armée au Mali sans mandat international ? Les drones américains frappent au Pakistan ou au Yémen, mais en vertu de quel droit si ce n’est celui que l’oncle Sam s’octroie à lui-même ? 

Par contre la présence israélienne dans les soi-disant territoires occupés est assise sur une solide législation initiée en 1920 et actualisée par de nombreux textes de grande force juridique. Ils prennent en compte l’évolution des circonstances historiques, sur près d’un siècle. C’est ainsi que le traité intérimaire Oslo II de 1995, contresigné par l’UE qui devait en assurer la surveillance, stipule un droit d’administration d’Israël sur la zone C, justement cette zone où il serait un « occupant ». D’ailleurs un arrêt de la Cour d’Appel de Versailles du 22 mars 2013 a conclu à la légalité de l’action d’Israël dans les « territoires ». (2)

L’UE conteste la souveraineté d’Israël sur « les territoires occupés. » Elle a le front tout d’abord de classer Gaza sous cette rubrique alors qu’on n’y trouve plus un seul Israélien, une seule synagogue, ou une seule propriété juive. Ensuite elle accuse Israël de s’attribuer la souveraineté sur ces territoires. Sur quoi se fonde cette affirmation ? Quelle autorité israélienne se serait prévalue d’une souveraineté automatique sur les territoires, excepté Jérusalem et le Golan ? Pour Israël, les territoires dits « occupés » sont des territoires « disputés », dont le sort devra être réglé par des négociations, et non des territoires de pleine souveraineté, comme la Provence pour la France ou la Bavière pour l’Allemagne. Par contre, le traité intérimaire de 1995, Oslo II, dont l’UE est l’un des gardiens, attribue à Israël tous les droits d’administration dans la zone C, y compris celui de construire et de résider.

Le texte européen met au centre de sa démarche  « le tracé des frontières d'avant 1967 »  Les grands prêtres européens du droit international qui l’ont rédigé auront mérité une cuillère de bois. Faut-il rappeler encore et encore que ces « tracés » ne sont que sont des lignes militaires de séparation des belligérants de 1949. Et que pour empêcher que quiconque ne songe à en faire de véritables « frontières » les signataires arabes avaient exigé qu’il soit inscrit à maintes reprises dans les traités d’armistice qu'elle seraient de simples outils de démarcation, définis « sans préjuger, dans un sens quelconque, d’un accord final entre les Parties » (3) ou encore « sans préjuger des accords territoriaux, des frontières ou des revendications de chacune des Parties ». (4)

Il n’y a donc pas de frontières, ni de tracés de frontières de 1967, mais un tour de bonneteau de la désinformation européenne, l’une de ces intoxications institutionnalisées dont l’UE est l’auteur ou le relais ardent dans les questions du Proche-Orient. A partir de là, toute la logique des « lignes directrice » s’effondre puisqu’il n’y a aucune frontière de jure à mettre entre Israël et les anciennes Judée et Samarie, autre qu’une invention perverse pour célébrer une fois de plus la noce euro-arabe.

Quand l’Europe pratique l’antisémitisme qu’elle dénonce

Mais l’intoxication et la déformation des faits sont loin d’épuiser la scélératesse des « lignes directrices ». Au sens précis que lui donne l’Union elle-même, le texte européen relève de l’antisionisme antisémite, c'est-à-dire de l’antisémitisme pur et simple. Excessif ? Alors tournons-nous vers la définition européenne de l’antisémitisme contemporain, repeint comme elle l’observe aux couleurs de l’antisionisme.

Dès 2004, l’organisme de l’UE chargé de lutter contre le racisme et l’antisémitisme, l’EUMC (5) donnait « des exemples concrets de critique antisémite vis-à-vis d'Israël ». Parmi ces exemples, « l'utilisation de doubles normes, s'exprimant par le fait qu'on exige d'Israël un comportement qui n'est attendu ou requis d'aucun autre État démocratique ». (6)

Or, au moment où l’Europe sanctionne avec la plus grande sévérité la soi-disant occupation israélienne des territoires conquis en 1967, elle ferme obstinément les yeux sur des pays notoirement engagés dans des annexions arbitraires ou de sanglants conflits territoriaux. L’annexion du Tibet par la Chine, l’occupation d’une partie du Cachemire par l’Inde ne la troublent pas beaucoup. Et l’occupation du Sahara occidental par le Maroc, pas plus que celle du nord de Chypre par la Turquie, ne compromettent les contrats et les transferts de fonds européens, sans imposer la moindre déclaration sur l’honneur.

C’est en 1995 que l’UE a signé un premier accord de pêche avec le Maroc, qui ouvrait à ses navires les eaux poissonneuses du Sahara occidental sous souveraineté marocaine. Or cette souveraineté était  -et demeure- contestée par l’Union. La collaboration a repris de plus belle à partir de 2007 et se poursuit aujourd’hui, malgré 100 résolutions de l’Onu qui dénoncent la mainmise marocaine. (7)

Avec le territoire nord de Chypre, littéralement colonisé par la Turquie qui y a transplanté une population totalement étrangère, l’UE fait encore mieux. D’un coté elle considère depuis 1974, avec l’ONU, qu’il y a eu une invasion et une colonisation turques, et que cette colonisation reste illégitime puisqu’elle ne reconnait pas le gouvernement nord-chypriote. De l’autre elle consent des financements permanents à ce territoire depuis 2006. 259 millions d’€ ont été alloués en cinq ans et désormais l’UE verse annuellement 28 millions d’€ (près de 1% du produit intérieur nord-chypriote). Comme ce territoire a été nettoyé de l’essentiel de sa population autochtone, l’argent européen est utilisé à 100% au financement d’activités d’occupation, depuis l’université jusqu’aux infrastructures. (8)

Voila donc  « l’occupation » ignorée et même encouragée ici (Maroc et Chypre), mais furieusement dénoncée  là (Israël), pays où elle n’existe pas. Les « lignes directrices » du 19 juillet constituent bien un traitement injuste d’Israël, dans la mesure où l’on exige de lui un comportement que l’on ne demande pas à d’autres nations, sévères sanctions à l’appui. Et ce traitement injuste est un pur antisémitisme si l’on se réfère au lexique propre de l’Europe, agissant toute honte bue.

L’antisémitisme s’accompagne toujours d’une intense volonté d’humilier, et les « lignes directrices » européennes n’échappent pas à cette règle. La déclaration sur l’honneur demandée aux Israéliens pour attester qu’ils sont bien en conformité avec les volontés politiques du contractant européen, constitue une atteinte à leur identité de citoyens libres d’un pays libre. On leur demande de reconnaitre par écrit qu’ils adoptent la vision du Moyen-Orient et de la place de leur pays, qui est celle d’un parrain d’Outremer. On leur demande en fait de se démarquer du point de vue de leur pays sur ces questions. Ce n’est rien d’autre qu’une humiliation puisqu’on exige de facto une profession de foi politique pour des activités de nature économiques et technologiques ,dans un processus de coopération mutuellement profitable.

Il faut noter que les fonds distribués par l’instance européenne ne sont pas de dons : ils sont abondés en partie par Israël. Dans le projet Horizon 2020, les pays participants (les 27 européens plus Israël) versent une contribution proportionnelle à leur produit intérieur à un fonds unique qui alloue ensuite les ressources recueillies aux meilleurs projets. Une entité israélienne est donc sommée de jurer sur l’honneur qu’elle est bien conforme au vœu politique de l’UE avant de recevoir une aide issue en partie de ses concitoyens.

Naturellement, à ce jour, Israël refuse de signer une participation aussi déshonorante. Et les Européens en sont bien marris car si Israël est le seul pays non-européen invité à participer à Horizon 2020, c’est qu’il est une source exceptionnelle de créativité et d’innovation, un partenaire précieux.

Des négociations sont donc en cours pour aménager les « lignes directrices ». Ces tentatives de conciliation ont fait sortir leurs placards de vieux spectres de l’antisionisme militant, les champions du soutien européen à l’extrémisme palestinien de la décennie précédente. Pleins de fureur, les Hubert Védrine, Javier Solana, Miguel Moratinos, Benita Ferrero-Waldner, esq., « éminentes personnalités » auto proclamées, se sont fendus d’une nouvelle lettre pour exiger « une stricte application des lignes directrices ». (9)

La scélératesse du texte de l’UE ne se réduit pas à de l’humiliation. Il aggrave ses menaces en demandant à la Commission européenne d’introduire les « lignes directrices » dans des accords et protocoles internationaux. (Point 21 mentionné plus haut) L’UE se pose alors en initiatrice d’un possible boycott international d’Israël si ce dernier ne ploie pas le genou. Dans le concert des nations, ce nid de guêpes où les valeurs démocratiques relèvent globalement du rêve ou du sarcasme, où la faiblesse se paie au comptant, où la prédation est la règle générale, Israël serait désigné au monde par l’Europe comme LE pire des États, l’infréquentable. Cette fixation injustifiée devrait ridiculiser en premier les anti-israéliens radicaux  qui tirent les ficelles dans le Vieux continent  et appuient sans réserves les demandes de Mahmoud Abbas.

Les « lignes directrices » et l’avenir du Proche-Orient

Les décisions européennes vont impacter les négociations israélo-palestiniennes. En dénonçant dans un document solennel la présence israélienne au-delà des lignes de 1949 comme une occupation en violation du droit international et en refusant à l’État juif toute légitimité sur ces territoires, l’UE pousse les Palestiniens au maximalisme. Comment accepteraient-ils moins que ce que l’Europe a défini comme légal et justifié sans se désavouer eux-mêmes. L’initiative européenne est donc le plus sûr moyen de bloquer les négociations car Israël ne peut accepter ni le retour aux « frontières d’Auschwitz » ni l’État palestinien judenrein qu’annonce Mahmoud Abbas.  

En même temps, il ne faut pas perdre de vue que la publication des « lignes directrices » était l’une des pré-conditions imposées par les Palestiniens pour revenir à la négociation. L’Europe a fourni un document équivalent à un accord pour faire des lignes de 1967 le point de départ des conversations. Selon Saeb Erekat les Américains auraient aussi donné une lettre de garantie allant dans le même sens. (10) C’est dire si avec le processus de John Kerry Israël s’est engagé dans un coupe-gorge politique. En tout état de cause l’UE aura soutenu encore une fois le personnage le plus retors parmi les Palestiniens qui veulent « effacer » Israël de la carte tout en tenant en anglais  le discours attendu de l’Occident. Incarné par Mahmoud Abbas, c’est un courant patient, idéologique, exploitant à fond la carte diplomatique, et prudent dans l’usage de la violence. Il progresse étape après étape. Grâce aux « lignes directrices », avec le concours de l’UE, il est désormais sûr de n’avoir pas à signer un « accord de paix » avec Israël qui imposerait un sérieux coup d’arrêt au développement de sa stratégie éradicatrice.

Les « lignes directrices » impactent-elles l’avenir d’Israël ? Elles pourraient présager un scénario noir, celui d’un boycott mondial d’Israël. Un tel boycott est venu à bout de l’Afrique du Sud de l’apartheid, et il semble qu’il ait causé des dégâts immenses à l’Iran, proche de l’asphyxie semble-t-il. C’est en fait dans les étapes initiales de ce schéma que s’inscrit actuellement l’Union européenne, et c’est ce qui fait toute la scélératesse et la bassesse des « lignes directrices ».

Cependant, à ce jour, la probabilité d’un tel scénario est quasiment nulle. Les pays enragés antisionistes de l’UE (France, Royaume Uni, Espagne) ont arraché un texte qui dérange beaucoup d’autres pays européens, lesquels ne se laisseront certainement pas entrainer plus loin. Si on distingue bien aux États-Unis des forces tout à fait prêtes à participer à la croisade européenne, l’opinion ne permettrait pas à sa classe politique de persister sur une telle voie. Et dans la région elle-même, en Afrique et en Asie, Israël s’ouvre à des collaborations nouvelles dans un climat qui n’a rien à voir avec la noirceur des messages européens.

Notes
1 -  Voir Journal Officiel de l’Union Européenne du 19 juillet 2013 http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2013:205:full:fr:pdf
2 - Cour d’Appel de Versailles Arrêt N° R.G. N° 11/05331 contradictoire du 22 mars 2013 http://www.volokh.com/wp-content/uploads/2013/04/French-Ct-decision.pdf
3 - Art 8. The provisions of this article shall not be interpreted as prejudicing, in any sense, an ultimate political settlement between the Parties to this Agreement. Jordanian-Israeli Armistice April 3, 1949 http://www.mideastweb.org/isrjorarmistice1949.htm
4 - Art 9. The Armistice Demarcation Lines defined in articles V and VI of this Agreement are agreed upon by the Parties without prejudice to future territorial settlements or boundary lines or to claims of either Party relating thereto. Jordanian-Israeli Armistice April 3, 1949 http://www.mideastweb.org/isrjorarmistice1949.htm
5 - Centre Européen de surveillance du racisme et de la xénophobie (European Monitoring Centre on Racism and Xenophobie). Il s’est transformé en Agence Européenne pour les Droits fondamentaux (FRA)
6 - Le texte complet de la définition opérationnelle de l’antisémitisme de l’Europe est à l’adresse http://www.european-forum-on-antisemitism.org/working-definition-of-antisemitism/english/  Pour la genèse de cette définition européenne voir http://www.european-forum-on-antisemitism.org/working-definition-of-antisemitism/
7 - Voir http://ec.europa.eu/fisheries/cfp/international/agreements/morocco/index_fr.htm et pour les protestations contre cette politique européenne : Stop à la pêche européenne au Sahara Occidental occupé! 10 décembre 2012 http://www.fishelsewhere.eu/a159x1391
8 - Voir How the EU directly funds settlements in occupied territory Eugene Kontorovich Jerusalem Post  28 sept 2013 http://www.jpost.com/Opinion/Op-Ed-Contributors/How-the-EU-directly-funds-settlements-in-occupied-territory-327329
9 - Voir la lettre des « éminentes personnalités » aux ministres des affaires étrangères de l’UE du 16 septembre 2013 http://euobserver.com/media/src/4c40b1978f20e2f5d0e0aadfca89e13d.pdf  Voir aussi une autre lettre allant dans le même sens, qui émane de groupes d’universitaires du Royaume uni favorables au boycott d’Israël http://www.bricup.org.uk/documents/Ashton.pdf
10 - Voir US letter guaranteed our preconditions, PA negotiator says  Elhanan Miller 20 août 2013 http://www.timesofisrael.com/us-letter-guaranteed-our-preconditions-pa-negotiator-says/
 

par Jean-Pierre Bensimon

Pour un autre regard sur le Proche-Orient n° 12  Octobre 2013

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