Résumé : Dans l'enseignement islamique, Houdaybiya, signifie que les traités sont faits pour être violés. Les principaux médias décrivent les tensions entre l'Iran et Israël comme un conflit entre deux gouvernements qui baignent dans le mensonge. L'agressivité intense est le fait de l'actuel gouvernement iranien et de lui seul; c'est lui, et lui seul, qui veut rayer Israël de la carte. L'inverse n'est pas vrai.
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Dans les analyses de l'accord passé avec l'Iran, on a négligé un aspect particulier de la théologie islamique, le traité d'Houdaybiya. En mars 628, le Prophète a marché avec son armée sur la Mecque, la place forte de ses opposants polythéistes. Mohamed réalisa qu'à ce moment-là, ses forces étaient probablement incapables de remporter la victoire, et que les Mecquois n'avait pas envie de faire la guerre. Les deux parties s'accordèrent donc sur un armistice de 10 ans. Cependant quand Mohamed estima que ses forces étaient assez puissantes pour écraser les Mecquois, il brisa unilatéralement l'accord de paix et il prit La Mecque. Bien que le viol de cet accord de paix ne soit pas sûrement une première dans l'histoire, la signification d'Houdaybiya dans les enseignements islamiques est particulière. Comme le Prophète a été choisi et protégé par Allah lui-même, comme il était donc un « homme parfait », sans aucun défaut, comme toutes ses actions sont louables, impératives et doivent servir d'exemple, les traités sont faits pour être violés.
Le président palestinien Yasser Arafat se référait souvent à ce traité non seulement quand il cherchait une raison de rompre la paix avec les Israéliens, mais aussi pour rappeler à son peuple que même après la signature des accords d'Oslo le traité pouvait être violé dans l'impunité. On doit donc supposer que le régime théocratique de l'Iran considère l'accord [de Genève] passé avec ses ennemis de la même façon que le Prophète considérait la trêve avec ses propres ennemis : un temps précieux pour renforcer ses capacités militaires. Comme l'a déclaré Mohammad Sadeq Al-Hosseini, le conseiller politique de l'ancien président iranien Khatami le 11 décembre à une télévision d'information syrienne : « c'est le traité d' Houdaybiya à Genève, » pour étayer ses affirmations sur l'importance de la victoire remportée par l'Iran avec cet accord.
Ce qui corrobore cette hypothèse, c'est que de fait « l'accord » est en train de s'écrouler, et que de fait le régime iranien est en train de gagner du temps pendant que "ses centrifugeuses travaillent à pleine capacité."
On s'est moqué du manque d'enthousiasme d'Israël envers cet accord, et il a été condamné par le monde entier. Aux Pays-Bas l'un des journaux les plus importants, le NRC, écrivait le 25 novembre en gros titre : « tout le monde est satisfait de cet accord, sauf Israël, » insinuant qu'Israël est une espèce de « rabat-joie » devant un succès en tous points magnifique. (Le NRC à une longue tradition anti israélienne qui a été remarquablement documentée par le hollandais Hans Moll, un ancien journaliste de NRC.) La tendance à présenter les relations israélo-iraniennes comme celle de deux gouvernements également subversifs et belliqueux face au risque de guerre, implique qu'il y a une symétrie morale entre eux, un peu comme dans la guerre Iran-Irak. En quelque sorte, Israël serait, plus encore que l'Iran, une menace pour la paix mondiale. Le poète allemand Günther Grass écrivit par exemple un poème où il insinuait que la véritable menace pour la paix du monde n'était pas un Iran nucléaire mais un Israël nucléaire. Pas moins de 57 % de ses concitoyens étaient d'accord avec cette position.
Cependant un élément positif et peut-être même un facteur d'espoir, est très généralement passé sous silence : il s'agit des liens historiques particuliers et chaleureux entre le peuple perse et le peuple juif, des liens antérieurs à l'histoire de la juive Esther, devenue reine de la Perse il y a des centaines d'années, sous le règne du roi Assuérus.
Contrairement à ce que croit le public occidental, les Juifs n'étaient pas le seul peuple de l'époque où a surgi le concept de monothéisme, où la croyance en une éthique divine universelle est devenue le pilier central de la théologie. Bernard Lewis, un historien et professeur émérite des Études proches-orientales à l'université de Princeton, souligne que dans la même aire géographique « loin à l'Est, sur les hauts plateaux d'Iran, deux peuples apparentés, connus en histoire sous les noms de Mèdes et de Perses, s'étaient éloignés de leur paganisme antique pour aller vers l'idée d'une divinité suprême unique, la puissance supérieure du bien, engagée dans une lutte constante contre les forces du mal ». [1] L'apparition de cette nouvelle forme de religion est associée au prophète Zoroastre dont les enseignements sont consignés dans des formes très primitives de la langue perse. Le lieu exact où le prophète zoroastrien vivait et enseignait ne fait pas l'objet d'un consensus, mais il semble clair que le moment principal de l'activité religieuse de Zoroastre se situe entre les sixième et cinquième siècle avant Jésus-Christ.
Pendant des siècles, ces deux peuples qui croyaient l'un et l'autre en un système de Dieu unique, suivirent des chemins séparés et ne se rencontrèrent pas. Cependant au sixième siècle avant Jésus-Christ des événements cataclysmiques les mirent en contact pour la première fois, et les conséquences de cette rencontre allaient retentir sur le monde entier et perdurer à travers les âges.
En 586 avant Jésus-Christ, Nabuchodonosor, le roi de Babylone, s'empara de Jérusalem, détruisit le Temple juif et décima le royaume de Judée à la suite d'une série de guerre et de conquêtes. En fonction des coutumes de l'époque, les peuples vaincus étaient captifs et réduits en esclavage à Babylone. Quelques décennies plus tard cependant, les Babyloniens furent écrasés par un autre conquérant, un certain Cyrus le Mède. Cyrus fut le fondateur d'un nouvel empire perse qui s'étendit jusqu'aux terres de Syrie et au-delà.
Il s'est avéré que de part et d'autre - d'un coté les nouveaux conquérants, de l'autre un petit groupe entre les nombreux peuples vaincus - on prit conscience que l'on partageait une conception du monde et une croyance commune. Quand il le réalisa, Cyrus autorisa le retour des Juifs en captivité à Babylone sur la terre d'Israël, et il donna l'ordre de reconstruire le Temple de Jérusalem aux frais du gouvernement perse. Il est donc compréhensible que dans la Bible hébraïque, Cyrus soit l'objet d'un respect qui n'a été accordé à aucun autre souverain non-juif, et même à très peu de souverains juifs. Les derniers chapitres du livre d'Isaïe, écrits après la captivité à Babylone sont caractéristiques : "Il [Cyrus] est mon berger, et il accomplira toute ma volonté; Il dira de Jérusalem : Qu`elle soit rebâtie !, et du Temple, Que ses fondations soient dressées." (Isaïe 44:28). Le chapitre suivant va encore plus loin :" "Ainsi parle l'Éternel à Son Oint, à Cyrus, dont Il a tenu la main droite pour terrasser les nations qui se sont dressés devant lui… " (Isaïe 45:1) [2]
Il est probable que la pensée zoroastrienne ait exercé une influence profonde sur la théologie juive : selon Bernard Lewis "entre les premiers livres de la Bible hébraïque et les suivants, ceux qui ont été écrits avant la captivité à Babylone et ceux qui ont été après le retour, il y a des différences notables en matière de croyances et de conception du monde. Pour le moins, certaines d'entre elles peuvent être attribuées de façon plausible à la conception religieuse du monde de l'Iran. Parmi les plus notables d'entre elles, l'idée d'une lutte cosmique entre les forces du bien et les forces du mal, entre Dieu et le Diable, dans laquelle l'humanité a un rôle à jouer ; le développement plus explicite de la notion de jugement après la mort; les récompenses ou les punitions au paradis ou en enfer; l'idée d'un sauveur oint, issu d'une semence divine, qui viendra à la fin des temps pour garantir le triomphe du bien sur le mal. L'importance de ces idées dans le judaïsme tardif et dans le christianisme premier relève de l'évidence." [3]
Les relations antiques entre Juifs et Perses ont des conséquences politiques d'une portée considérable. Les Juifs ont servi loyalement Cyrus qui les a gratifiés de privilèges et de marques d'amitié formidables. Dans les siècles qui suivirent, les Juifs, qu'ils soient dans leur pays ou dans les pays sous domination romaine, étaient soupçonnés, parfois à bon droit, de sympathie pour les Perses ennemis de Rome, ou même de collaboration avec eux. [4]
De nos jours, l'affection entre Juifs et Iraniens se manifeste encore, comme le montrent par exemple les pages Facebook Israël aime l'Iran ou l'Iran aime Israël, ainsi que le grand nombre d'images pleines d'affection qui mettent en scène des Israéliens et des Iraniens. Après tout , il n'y a rien de semblable entre Israéliens et Syriens, Libanais, Jordaniens ou Égyptiens. Cela n'existe qu'avec les Iraniens.
Les grands media décrivent les tensions entre l'Iran et Israël comme un conflit entre deux gouvernements qui baignent dans le mensonge, dont la passion pour la guerre fait courir des risques de grandes souffrances à leurs populations. La vérité, c'est qu'il y a en réalité une affection mutuelle d'origine historique, qui se manifeste encore entre Juifs et Iraniens. L'agressivité intense est le fait de l'actuel gouvernement iranien et de lui seul; c'est lui, et lui seul, qui veut rayer Israël de la carte. L'inverse n'est pas vrai.
Notes
[1] Bernard Lewis, The Middle East (1995), p. 27.
[2] Ibid, p. 28.
[3] Ibid, p. 28.
[4] Ibid, p. 28.
Titre original : Iran's "Treaty of Hudaybiyya in Geneva"
par Timon Dias, Gatestone Institute, le 24 décembre 2013
Traduction : Jean-Pierre Bensimon
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