jeudi 16 janvier 2014

« Modérés » de Ramallah : leur mode d’emploi pour empêcher leurs concitoyens de vivre en paix

Dans un petit village des environs de Bethléem, il y a des gens qui ne se contentent pas de vouloir la paix. Ils ont mis en pratique une paix de leur cru, bien sûr à petite échelle.

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Les négociations de paix israélo-palestiniennes, bien ternes, ont été reléguées de l'actualité par les nouvelles dramatiques issues du récent accord de Genève. Mais n'ayez crainte, le conflit israélo-palestinien trouve toujours le moyen de revenir dans les gros titres.

C'est probablement parce que les experts du Moyen-Orient et les diplomates ont la conviction inébranlable qu'il suffit d'asseoir deux parties autour d'une table et que c'est la seule démarche logique. Cependant, en vérité, il se pose sur le terrain de graves problèmes de droits de l'homme, auxquels il faut trouver une solution pour que les négociations puissent porter des fruits.

Dans un petit village des environs de Bethléem, il y a des gens qui ne se contentent pas de vouloir la paix mais qui mettent en pratique une paix de leur cru, bien sûr à petite échelle. Lors d'une visite campagnarde dans des villages palestiniens situés dans un endroit classé comme zone de conflit par le Centre de Jérusalem pour les Affaires publiques, j'ai eu l’opportunité de rencontrer les dirigeants du village, chez eux, dans leur salon, et de discuter de leur relation avec les Juifs de l'implantation située à deux pas. J'ai été ému par le récit de la création par les Palestiniens de  leur petite école à eux, pour que leurs enfants ne soient pas endoctrinés à l'école de la ville voisine, sous l’emprise de forces hostiles. J'ai pu me rendre compte que les Juifs israéliens avaient travaillé avec les autorités militaires pour contourner les limites imposées aux constructions [palestiniennes] dans le village.

Ces Israéliens et ces Palestiniens n'ont pas eu les comportements rituels d'affrontement dont nous entendons parler si souvent.

Récemment, trois hommes de ce village dont je ne donne pas les noms pour ne pas leur faire courir de risques, ont été arrêtés par l'Autorité palestinienne pour avoir commis un crime : celui d'établir des relations amicales avec leurs voisins, en dépit de la loi palestinienne anti-implantations de 2010. Cette loi avait pour but d'empêcher tout soutien à ces "cancers sur le corps palestinien" selon le vocabulaire d'un conseiller juridique de l'Autorité palestinienne; elle est encore en vigueur aujourd'hui. L'un des hommes arrêtés a été accusé d'avoir loué une parcelle de terre à des Juifs du bloc d'implantations voisin, le Gush Etzion, pour les fêtes de Souccot, et les deux autres d'avoir loué une tente traditionnelle et des sièges pour cette célébration.

Ces arrestations reflètent une politique préoccupante que l'on désigne désormais sous le nom de [politique] "anti normalisation," une volonté intransigeante de refuser l'établissement de relations intercommunautaires normales.

Bien que dans le cas qui nous occupe cette politique se soit abritée derrière une loi, la loi n'est pas toujours juste. Cette loi particulière franchit la ligne qui sépare le boycott ordinaire pour protéger les droits des habitants locaux, de la volonté d'empêcher toute interaction entre les [deux] sociétés.

L'Autorité palestinienne renforce systématiquement cette hostilité. Elle fait comme si, en instaurant une séparation entre les peuples et en interdisant strictement tout contact entre eux, on prenait le bon chemin pour progresser vers la paix. Au niveau humain, cette politique aboutit non pas à sauvegarder mais à violer les droits de l'homme.

L'incident a été rapporté par la nouvelle agence de presse palestinienne Ma'an. Pour elle, il s'agit de relater d'arrestations de suspects d'un crime ordinaire, commis par ses auteurs en toute connaissance de cause, ce qui tend à prouver que le rapprochement [des communautés] n'est pas désapprouvé par la société palestinienne. Mais, alors que ces hommes se trouvent en prison uniquement pour avoir loué des biens à leurs voisins, Human Right Watch, Amnesty International, et les Nations unies n'ont pas fait la moindre mention de leur arrestation. Critiquer Israël les occupe trop, même si elles évoquent occasionnellement des violations de la liberté d'expression par l'Autorité palestinienne ou son usage excessif de la force contre les manifestants. 

On a entendu par erreur une interprète espagnol/anglais de l'ONU s'exclamer à propos de cette tendance, "Cela fait un peu trop, non ?... Il y a d'autres infamies de la pire espèce qui se produisent mais personne n'en dit rien".

C'est triste mais vrai, 21 des 25 résolutions critiques adoptées par l'Assemblée générale de l'ONU cette année s'en prenaient à Israël au moment où la Syrie brûle, où les Irakiens s'entre-tuent, et où on assassine les gens à coups de feu dans les rues égyptiennes. Seule une résolution condamne les massacres de civils par le Syrien Bachar Assad, et aucune ne mentionne le rôle de l'Autorité palestinienne dans la perpétuation des troubles qui entretiennent le conflit israélo-palestinien.

En faisant le choix d'ignorer ces violations on envoie au peuple palestinien un message défavorable à la paix, qui suggère que l'objectif à poursuivre est la confrontation et le conflit, et non pas la modération et la normalisation.

On ne parle pas de ces affrontements intracommunautaires parce qu'ils n'entrent pas facilement dans le moule  hyper simplifié qui a été construit pour décrire un conflit complexe. On ne trouve pas ici des Israéliens mettant des Palestiniens en prison, ni des Palestiniens attaquant des Israéliens ; il y a un gouvernement palestinien qui écrase des forces modérées dans son camp, et qui trompe le monde en lui faisant croire qu'il est à la recherche de la liberté pour son peuple. Ce n'est pas du tout ce que nous indique l'arrestation de ces hommes.

On voit clairement qu’il ne s’agit pas d’un événement isolé quand on parle avec des défenseurs des droits de l'homme comme Bassam Eid, le fondateur du Groupe de surveillances des droits humains des Palestiniens.

Son groupe est dédié à "la surveillance des violations des droits de l'homme commise par l'Autorité palestinienne." Il met en évidence des atteintes flagrantes à la liberté d'expression qui conduisent de nombreux journalistes en prison.

Alors que nous discutions de ce sujet avec le groupe de mon propre programme, Eid m'a expliqué que l'emprisonnement et la torture des Palestiniens par leur soi-disant représentants sont trop souvent passés sous silence, ce qui indique que l'Autorité palestinienne ne représente peut-être pas du tout son peuple. De nombreux autres groupes palestiniens se sont exprimés sur cette question mais la communauté internationale demeure pour l'essentiel sourde à leur plainte.

Admettons-le, Israël à de multiples sources d'inquiétude; le conflit en Syrie, les tensions avec les Américains, sans oublier la crainte manifeste que les accords de Genève ne trompent tout le monde et conduisent à sous-estimer [la dangerosité de] l'Iran. On le comprend, l'internement par l'Autorité palestinienne de trois personnes n'est pas en tête de sa liste de priorités. Cependant, pour bâtir une diplomatie cohérente, et travailler pour la paix sur le terrain indépendamment des Américains, il est important de cultiver des relations positives entre des peuples qui ont un intérêt palpable à nouer des relations d'amitié.

Cela renvoie à  l'attitude du reste du monde sur ce conflit. Le premier pas consiste à reconnaître que le problème de la violation des droits de l'homme par l'Autorité palestinienne est l'indice d'un phénomène plus ample qui sape les bases du précieux processus de paix que les dirigeants de la planète recherchent depuis si longtemps. Au moment où l'Autorité palestinienne prend la direction de la négociation, elle entretient dans la société palestinienne un climat qui ne favorise pas la coexistence pacifique, pièce essentielle de toute solution. De ce fait, le sujet de discussion permanent d'Israël, "nous n'avons pas de partenaire pour la paix" est en partie justifié ; il y a peut-être un partenaire pour la paix, mais ce n'est sûrement pas celui avec lequel le monde est en train de discuter.

Il est temps d'intervenir en amont des négociations, et de défendre les gens que l'on empêche de vivre pacifiquement aux côtés de leurs voisins juifs, en violation de leurs droits humains. Bien sûr ce ne sont que les habitants d'un village qui ne représentent pas officiellement le peuple palestinien, mais quelques petits pas dans la bonne direction valent mieux que des bonds gigantesques sans rime ni raison. Si on ne réussissait pas à soutenir les citoyens modérés, on encouragerait un statu quo inacceptable, où l'Autorité palestinienne continuerait de fouler aux pieds les droits de son propre peuple surtout de ceux qui veulent seulement vivre en paix.

Avant tout, ce serait la recette garantie aller à l'échec.

Titre original : An overlooked obstacle to peace
par Marissa Young, Jerusalem Post, 18 décembre 2013
Traduction : Jean-Pierre Bensimon

Pour un autre regard sur le Proche-Orient n° 13 Janvier 2014

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