samedi 12 avril 2014

Déclamation théâtrale de John Kerry : "Hop, c'était bien le moment"

Dans une mise en scène soigneusement orchestrée, le secrétaire d'Etat américain a rejeté sur Israël la responsabilité de l'éventuelle rupture des négociations israélo-palestiniennes auxquelles il tenait tant.
L'article ci-après fait le récit de sa narration théâtralisée aux sénateurs américains des circonstances de la rupture. Ce petit scénario a provoqué comme prévu une onde médiatique féroce à l'endroit de l'Etat juif accusé de torpiller les efforts de paix. 
Sur le fond, à force de se vouloir équilibré, ce texte a  la faiblesse de mettre Israéliens et Palestiniens quasiment sur le même pied, alors que tout montre ad nauseam, à quel point Mahmoud Abbas a voulu cette rupture et l'a conduite selon un plan dûment établi. Nous l'avons retenu uniquement parce qu'il fait la lumière sur les méthodes du secrétaire d'Etat et sur sa logique kafkaïenne. [Note du traducteur]

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Ce n'est pas ce que Kerry a dit mardi dernier mais la façon de le dire qui explique les grands titres dans les journaux, de Jérusalem à New York, accusant Israël d'avoir torpillé un accord pour l'extension des négociations de paix.

C'était une déclamation théâtrale au cours d'un récit, suivie d'une pause, suffisamment appuyée pour être entendue partout dans le monde.

Elle résonnait, comme un battement de tambour, sur l'une des questions les plus sensibles du conflit israélo-palestinien, celle des constructions juives au-delà des lignes de 1967, à Jérusalem Est et dans les implantations de la Rive occidentale.



Un message très habile du département d'État désignant les Israéliens et les Palestiniens comme coupables de la crise dans le processus de paix, soigneusement agencé pour un impact amplifié.

Dans la forme, Kerry ne disait dans son témoignage devant la commission des affaires étrangères du Sénat américain de Washington, que des choses politiquement correctes.

Il prononçait des paroles bien tournées que les observateurs expérimentés du conflit israélo-palestinien ont appris à connaître par cœur. À un certain moment, sous la pression du sénateur républicain John McCain, il éclata dans un moment de passion surprenant, et il admit que les négociations étaient terminées.

« J'ai peut-être échoué, ça m'est égal. Il fallait essayer » affirma-t-il.

Mais c'est sa description aux sénateurs du déroulement des événements de la semaine passée qui a retenu l'attention générale.

Dans les derniers jours, Israéliens et Palestiniens avaient tenté de rejeter les uns sur les autres la responsabilité de la rupture, ce qui rappelle comme c'est souvent le cas dans ce conflit, la très ancienne devinette sur ce qui vient en premier de la poule ou de l'œuf.

Pour Israël, la crise qui vient de se produire remonte à l'interruption de la participation des Palestiniens aux négociations directes, peu de temps après la libération du troisième groupe de détenus, en décembre. Libérer des Palestiniens impliqués dans d'anciennes attaques terroristes était une stratégie conçue pour assurer la continuité des entretiens en face à face pendant neuf mois.

L'interruption temporaire des négociations directes bien avant la date limite du 29 avril conduisit Israël à se demander s'il fallait continuer dans cette voie avec la quatrième et dernière libération de 26 détenus prévue pour le 29 mars, sans être sûr que cela en vaille la peine. Israël demanda aux Palestiniens de prolonger la négociation pour une nouvelle période de neuf mois.

Pour les Palestiniens, le prix des libérations prévues pour le 29 mars avait déjà été payé par les mois de négociations écoulés. Devant l'hésitation d'Israël à libérer les détenus sans garantie d'une autre période de neuf mois, les Palestiniens ont considéré qu'il y avait un point de rupture dans un processus déjà inopérant, puisque Israël continuait à construire dans les implantations au cours de la négociation. Ils décidèrent unilatéralement de ratifier 15 traités et conventions internationales en guise de protestation.

Pour Israël, avec  ces 15 signatures une ligne rouge était franchie, et il annula la quatrième et dernière libération de 26 prisonniers, ce qui devenait un point de non retour pour les Palestiniens. Mais si Kerry observait bien que les 15 signatures n'étaient pas opportunes, il n'y voyait pas une cause de rupture à ce moment du processus, ni non plus d' un point de non retour.

Il décrivit [aux sénateurs] de façon neutre ce qui arriva après le report des libérations du 29 mars, alors que les  parties cherchaient une solution permettant à prolonger les négociations pour une nouvelle période de neuf mois.

« Malheureusement les détenus ne furent pas libérés ce samedi, au moment où ils étaient supposés l'être ».

« Un jour s'écoula. Un second jour s'écoula. Un troisième jour s'écoula » raconta Kerry. Il bougeait les bras pour souligner ses paroles.

« Et alors, dans l'après-midi, alors qu'ils étaient peut-être en train d'y arriver, la construction de 700 unités d'habitation dans les implantations a été annoncée à Jérusalem, et, hop.» Il étendit ses bras le plus loin possible et il fit une pause. Cette gestuelle accentuait la tonalité dramatique du récit.

Kerry finit alors sa phrase : « c'était bien le moment » dit-il en baissant les bras. Il est possible que ces paroles et ces gestes n'aient eu qu'un but descriptif et qu'il ne déblatérait pas contre Israël à cet instant.

En bon conteur, il devait peut-être s'interrompre et marquer un temps fort, seulement parce que cela s'était bien passé ainsi. Il pensait que les deux parties étaient proches d'un accord, et voilà qu'Israël annonce 700 nouveaux appartements dans la banlieue juive de Gilo, à Jérusalem Est. Et alors les négociations se rompent. Son attitude pouvait signifier aussi qu'il pointait du doigt Israël avec subtilité.

Peu importent ses intentions, ses paroles touchaient un point sensible parce qu'il parlait de construction dans les «implantations», et ensuite de rupture des négociations.

Même s'il n'y avait pas eu les paroles de Kerry, la gauche israélienne et la majorité de la communauté internationale auraient imputé l'absence d'accord sur le statut final et la poursuite du conflit aux constructions israéliennes dans les implantations de la Rive occidentale et à Jérusalem est. Quand ils ont écouté Kerry, ils ont entendu un récit bien rodé qu'ils tenaient déjà pour authentique.

En retour, la droite israélienne et ses soutiens à l'étranger ont entendu une allégation bien connue, qu'il rejettent, selon laquelle les implantations sont une pierre d'achoppement pour la paix. Cette imputation était encore plus malveillante à ce moment, parce que «l'implantation» dont parlait Kerry, était Gilo, une banlieue de Jérusalem que la plupart des Israéliens qui soutiennent une solution des deux États considèrent comme faisant déjà partie intégrante de leur État.

L'absence d'une solution à deux États reflète le différend actuel relatif aux questions centrales du conflit comme les frontières, Jérusalem, les réfugiés, et la sécurité. Kerry a été prompt à souligner mardi que les écarts entre les positions respectives sur ces questions s'était réduits, et qu'ils n'étaient pas la cause de la crise des négociations de la semaine dernière.

Le différend, a-t-il dit, porte sur le processus, en aucun cas sur les sujets à traiter. Mais en disant que le problème tenait aux constructions dans les «implantations» de Jérusalem, en une seule ligne, il faisait de la construction dans les implantations, la grande question.

par Tovah Lazaroff, Jerusalem Post, 09 avril 2014
Traduction : Jean-Pierre Bensimon

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