jeudi 24 avril 2014

En attendant le Godot palestinien

Un pacifiste israélien, le journaliste Ari Shavit, berné pendant des décennies, désespère désormais devant la rouerie inaltérable de Mahmoud Abbas qui vient sans doute de mettre un point final à la voie de la négociation entre Palestiniens et Israéliens.(NdT).

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Pourquoi sommes-nous étonnés chaque fois qu'un accord de paix avec Mahmoud Abbas capote au moment de la signature ?

Il y a des moments qu'un journaliste n'oubliera jamais. Au début de l'année 1997, Yossi Beilin eut confiance en moi et il me montra un document qui prouvait que la paix était à portée de main. Celui qui était alors un politicien important et créatif du mouvement travailliste ouvrit un coffre-fort, attrapa une pile de feuilles imprimées qu'il déposa sur la table à la façon d'un joueur de poker qui abat une main gagnante.


Il y avait beaucoup de rumeurs sur un accord entre Beilin et Abou Mazen, mais seule une petite poignée avait eu la chance de voir le document de ses propres yeux et de le tenir dans ses mains. Je faisais partie de ce petit nombre de privilégiés. Bouche bée, je pris connaissance des contours d'une paix complète qui avait été formulée 18 mois plus tôt par de brillants champions de la paix, l'un israélien, et l'autre palestinien. Le document ne laissait aucun espace à l'improvisation : Mahmoud Abbas était prêt à signer un accord permanent. Le réfugié de Safed avait surmonté les épouvantails du passé, et les idées du passé, et il était désireux de construire un avenir israélo-palestinien commun, basé sur la coexistence. Si seulement nous pouvions en finir avec la férule du Likoud, et renvoyer Benjamin Netanyahu, il se joindrait à nous, main dans la main, pour marcher vers la solution à deux Etats. Abbas était un partenaire sérieux pour une paix véritable, grâce à qui nous pouvions faire une percée historique vers la réconciliation.

Nous avions compris. Nous avons fait le nécessaire. Nous avons chassé 1999 le Likoud et Netanyahou. En 2000, nous avons été au sommet de la paix de Camp David. Ouh, surprise. Abbas n'avait pas apporté le plan Beilin-Abou Mazen à Camp David, ni aucune autre ébauche de proposition de paix. Tout au contraire, il fut l'un des critiques les plus pugnaces, et ses exigences concernant le droit au retour empêchaient tout progrès. Mais ne croyez pas que nous allions abandonner si rapidement. À la fin de l'année 2003, au moment où l'accord de Genève a été rédigé, il était clair pour nous qu'il n'y aurait pas de nouvelles excuses, et qu'à présent, Abbas signerait un nouveau traité de paix et en adopterait les principes. Ouh, surprise : Abou Mazen se fit remplacer par Yasser Abed Rabbo (un ancien ministre de l'Autorité palestinienne), préférant rester dans son confortable bureau de Ramallah. Pas de signature, pas d'accord.

Mais des gens aussi résolus que nous n'abandonnent pas leur rêve. Ainsi en 2008, nous avons soutenu Ehoud Olmert, et le marathon des entretiens qu'il a tenus avec Abbas, et son offre qui ne pouvait pas être refusée. Ouh, surprise : Abou Mazen ne refusa pas véritablement, il se contenta de disparaître. Il ne dit pas oui, il ne dit pas non, il se contenta de s'évanouir sans laisser de traces.

Avons-nous commencé à comprendre que nous étions face à l'Yitzhak Shamir palestinien? Non, non, non. À l'été 2009, nous avons même soutenu Netanyahu, quand il a fait des ouvertures au même Abbas lors de son discours de Bar Ilan et gelé les implantations. Ouh, le critique sophistiqué n'a pas bougé les paupières, ni tenté éventuellement un croche-pied. Il a tout simplement refusé de danser le tango de la paix avec le chef de l'aile droite israélienne.

Avons-nous ouvert les yeux ? Naturellement non. À nouveau, nous avons blâmé Netanyahu et le Likoud, et nous avons cru qu'en 2014 Abou Mazen n'oserait pas dire non, pas à John Kerry. Ouh, surprise : avec ses manières sophistiquée et polies, Abbas a dit non ces derniers mois à la fois Kerry et à Barack Obama. Une fois encore, les positions du président palestinien sont claires et constantes. On ne doit pas demander aux Palestiniens de faire des concessions. Il y a un jeu compliqué, exigeant de plus en plus de compromis des Israéliens, sans que les Palestiniens consentent un seul compromis réel de leur côté.

Gardez-le en mémoire : 20 ans de négociations infructueuses n'ont conduit à rien. Il n'y a pas un seul document qui contienne une véritable concession palestinienne sous la signature de Abbas. Aucun. Il y en a jamais eu, et il n'y en aura jamais.

Pendant les 17 années qui se sont écoulées depuis que Beilin a extrait le document de son coffre-fort, il a eu le temps de divorcer, de se remarier et d'avoir un petit-fils. J'ai aussi divorcé, je me suis remarié, et j'ai mis au monde encore plus d'enfants. Le temps passe et l'expérience que nous avons accumulée nous ont appris à Beilin et à moi, plus que de simples balivernes. Mais beaucoup d'autres gens n'ont pas appris la moindre chose. Ils ont encore laissé Abbas les berner, eux qui attendaient le Godot palestinien qui ne se montrera jamais.

par Ari Shavit Haaretz le 24 avril 2014
Traduction: Jean-Pierre Bensimon

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