vendredi 16 mai 2014

Il faut que l'Iran fasse la clarté sur ses armes nucléaires

Faute de démanteler radicalement les installations nucléaires iraniennes, les Occidentaux tentent de figer le programme de l'Iran à un seuil situé à quelques mois du "saut nucléaire." Cette tentative, qui leur donnerait en principe le temps d'intervenir, se heurte à des obstacles innombrables. Et pour les aveugler, Téhéran leur refuse logiquement des informations critiques... NdT


Comment signer un accord avec l'Iran si Téhéran dissimule ses réalisations antérieures?

L'Organisation de l'énergie atomique d'Iran annoncé le mois dernier qu'elle avait l'intention de publier «un document exhaustif» qui établirait la liste des travaux en cours dans le pays dans le domaine nucléaire. Cependant cette annonce ne dit rien sur une question cruciale : celle de savoir ce que l'Iran a réalisé dans le passé concernant les armes nucléaires. Ses partenaires de négociation -qui se réunissent à nouveau cette semaine à Vienne,- fondaient de grands espoirs sur les lumières que Téhéran allait apporter sur le soupçon d'avancées sur les armes nucléaires datant de travaux menés dans le passé, et peut-être encore en cours. L'Iran n'a pas apporté beaucoup de clarifications.

L'Occident devrait tirer la sonnette d'alarme. Les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies plus l'Allemagne-appelés -P5+1-sont en train de négocier un accord pour mettre fin aux sanctions contre l'Iran en échange d'une réduction drastique de son programme nucléaire. En guise de pré-requis pout l'accord final, l'Iran doit répondre aux questions sur ses armes nucléaires soulevées par les inspecteurs de l'Agence Internationale de l'énergie Atomique (AIEA).

Si l'Iran peut s'abstenir de répondre à ces questions sur son programme d'armement aujourd'hui, alors que les sanctions sévères pèsent sur ses exportations de pétrole et ses transactions financières, pourquoi répondrait-il après la levée des dites sanctions ? De quelle utilité serait un accord si l'Iran pouvait cacher sa capacité de produire secrètement des bombes nucléaires ?
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Jusqu'ici, les discussions du groupe P5+1 se sont exclusivement focalisées sur l'enrichissement de l'uranium et les capacités de production de plutonium de Téhéran. C'est une erreur. Oui, la capacité de l'Iran de produire des matières fissiles et d'une importance cruciale, mais le monde ne serait pas si inquiet si l'Iran n'avait jamais entrepris des activités visant à construire des armes nucléaires. Le Japon s'intéresse à l'enrichissement de l'uranium mais personne ne pense qu'il faille mettre en doute ses programmes.

Pour être crédible, un accord final doit s'assurer que toute initiative de Téhéran en vue de la production d'une bombe nécessite suffisamment de temps et soit détectable de sorte que la communauté internationale puisse agir de façon décisive pour l'empêcher d'aboutir. Savoir si la République islamique à développé un programme d'armes nucléaires dans le passé, jusqu'à quel point ses travaux sur les ogives sont avancées et s'ils se poursuivent actuellement, est d'une importance critique. Sans réponse claire à ces questions, des étrangers seront incapables de déterminer en combien de temps le régime iranien peut construire un engin nucléaire test rudimentaire ou une arme opérationnelle, s'il fait le choix de rompre l'accord.

Après presque une décennie de négociations, l'Iran se refuse toujours à donner une réponse aux questions élémentaires de l'AIEA sur son programme d'armement. À présent, la date limite est imminente: l'accord intérimaire signé entre l'Iran et le groupe P5+1 à la fin de 2013 expire en juillet. Aussi Téhéran fait-il peut-être le pari que s'il les fait attendre assez longtemps, ses partenaires de négociation réduiront leur exigence d'informations sur ses activités militaires nucléaires de façon significative, dans le but de garder sur ses rails le processus de négociations. L'annonce formulée en avril par l'organisation de l'énergie atomique d'Iran sur un «document exhaustif» pourrait bien être une expression de cette stratégie de temporisation. 

Pour s'assurer que le régime iranien ne tirera pas avantage de cette course contre la montre, les États-Unis et leurs alliés européens doivent faire savoir clairement qu'aucun accord ne sera possible si Téhéran ne répond pas aux préoccupations de l'AIEA. Si l'Iran demeure intraitable, le message devrait être sans équivoque : pas de nouvelle levée de sanctions. Si l'attitude de non-coopération poursuit, le groupe P5+1 serait bien avisé d'entreprendre la planification de sanctions encore plus contraignantes que celles qui existaient avant la date limite officielle de janvier 2015 pour la conclusion d'un accord final.

Ce qui est en jeu dépasse de beaucoup la diplomatie. L'Iran a affirmé sans coup férir qu'il n'avait jamais eu la volonté d'obtenir des armes nucléaires. Le Guide suprême Ali Khamenei a souvent déclaré que la bombe violait les préceptes islamiques. Mais ses dénégations ne sont pas crédibles. Des études conduites par les États-Unis, ses principaux alliés Européens et l' AIEA, ont montré que l'Iran avait un programme identifiable d'armes nucléaires en 2003. Les Européens et l'AIEA ont publiquement regretté, moins les États-Unis, que le développement de cet armement iranien se soit poursuivi après 2003, dans des conditions peut-être moins organisées.

L'Iran refuse régulièrement à l'AIEA l'accès à des sites militaires, comme Parchin, une installation où des dispositifs hautement explosifs visant au déclenchement d'une bombe nucléaire ont bien été expérimentés. L'Iran continue de refuser la demande de l'AIEA d'interviewer des individus clés, comme Mohsen Fakrizadeh, le militaire qui était soupçonné d'être à la tête du programme nucléaire iranien au début des années 2000 et peut-être encore aujourd'hui, et Sayyed Abbas Shahmoradi-Zavareh, l'ancien chef du Centre de Recherche en Physique soupçonné par l'AIEA d'avoir été au centre de la recherche iranienne sur le nucléaire militaire dans les années 90.

Si l'Iran ne répond pas sérieusement à ses obligations envers l'AIEA et ne traite pas ses demandes sur ses activités nucléaires militaires passées, Téhéran aura inauguré un grave précédent, celui de zones interdites aux inspecteurs. Téhéran pourrait alors baptiser de "base militaire" tout site suspect, et par là l'interdire d'accès. Qu'y aurait-il de mieux pour réaliser clandestinement des activités interdites comme l'enrichissement de l'uranium et sa militarisation ?

Téhéran pourrait aussi contribuer à l'enterrement d'un principe central des inspections de l'AIEA: l'évaluation obligatoire de la pertinence et de l'exhaustivité des déclarations d'un État en matière nucléaire. D'autres états envisageant le développement clandestin d'armements nucléaires observeront certainement Téhéran avec attention.

Washington et les Européens sont parvenus à un moment critique. Si l'Occident ne parvient pas à obtenir que l'Iran crache le morceau, de façon vérifiable, sur les dimensions militaires de son programme nucléaire, il y a de bonnes chances pour que l'ayatollah Khamenei construise une bombe sans craindre qu'on ne le découvre.

par David Albright et Bruno Tertrais, Wall Street Journal, le 15 mai 2014
Traduction: Jean-Pierre Bensimon

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