Faute de démanteler radicalement les installations nucléaires iraniennes, les Occidentaux tentent de figer le programme de l'Iran à un seuil situé à quelques mois du "saut nucléaire." Cette tentative, qui leur donnerait en principe le temps d'intervenir, se heurte à des obstacles innombrables. Et pour les aveugler, Téhéran leur refuse logiquement des informations critiques... NdT
Comment signer un accord avec l'Iran si Téhéran dissimule ses réalisations antérieures?
L'Organisation
de l'énergie atomique d'Iran annoncé le mois dernier
qu'elle avait l'intention de publier «un document exhaustif» qui établirait la
liste des travaux en cours dans le pays dans le domaine nucléaire. Cependant
cette annonce ne dit rien sur une question cruciale : celle de savoir ce que
l'Iran a réalisé dans le passé concernant les armes nucléaires. Ses partenaires
de négociation -qui se réunissent à nouveau cette semaine à Vienne,- fondaient
de grands espoirs sur les lumières que Téhéran allait apporter sur le soupçon d'avancées
sur les armes nucléaires datant de travaux menés dans le passé, et peut-être encore
en cours. L'Iran n'a pas apporté beaucoup de clarifications.
L'Occident
devrait tirer la sonnette d'alarme. Les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité
des Nations Unies plus l'Allemagne-appelés -P5+1-sont en train de négocier un
accord pour mettre fin aux sanctions contre l'Iran en échange d'une réduction
drastique de son programme nucléaire. En guise de pré-requis pout l'accord
final, l'Iran doit répondre aux questions sur ses armes nucléaires soulevées
par les inspecteurs de l'Agence Internationale de l'énergie Atomique (AIEA).
Si l'Iran
peut s'abstenir de répondre à ces questions sur son programme d'armement
aujourd'hui, alors que les sanctions sévères pèsent sur ses exportations de
pétrole et ses transactions financières, pourquoi répondrait-il après la levée
des dites sanctions ? De quelle utilité serait un accord si l'Iran pouvait
cacher sa capacité de produire secrètement des bombes nucléaires ?
Jusqu'ici,
les discussions du groupe P5+1 se sont exclusivement focalisées sur
l'enrichissement de l'uranium et les capacités de production de plutonium de
Téhéran. C'est une erreur. Oui, la capacité de l'Iran de produire des matières
fissiles et d'une importance cruciale, mais le monde ne serait pas si inquiet
si l'Iran n'avait jamais entrepris des activités visant à construire des armes
nucléaires. Le Japon s'intéresse à l'enrichissement de l'uranium mais personne
ne pense qu'il faille mettre en doute ses programmes.
Pour être
crédible, un accord final doit s'assurer que toute initiative de Téhéran en vue
de la production d'une bombe nécessite suffisamment de temps et soit détectable
de sorte que la communauté internationale puisse agir de façon décisive pour l'empêcher
d'aboutir. Savoir si la République islamique à développé un programme d'armes
nucléaires dans le passé, jusqu'à quel point ses travaux sur les ogives sont
avancées et s'ils se poursuivent actuellement, est d'une importance critique.
Sans réponse claire à ces questions, des étrangers seront incapables de
déterminer en combien de temps le régime iranien peut construire un engin
nucléaire test rudimentaire ou une arme opérationnelle, s'il fait le choix de
rompre l'accord.
Après
presque une décennie de négociations, l'Iran se refuse toujours à donner une
réponse aux questions élémentaires de l'AIEA sur son programme d'armement. À
présent, la date limite est imminente: l'accord intérimaire signé entre l'Iran et
le groupe P5+1 à la fin de 2013 expire en juillet. Aussi Téhéran fait-il peut-être
le pari que s'il les fait attendre assez longtemps, ses partenaires de
négociation réduiront leur exigence d'informations sur ses activités militaires
nucléaires de façon significative, dans le but de garder sur ses rails le
processus de négociations. L'annonce formulée en avril par l'organisation de l'énergie atomique d'Iran sur un «document exhaustif» pourrait bien
être une expression de cette stratégie de temporisation.
Pour s'assurer que le
régime iranien ne tirera pas avantage de cette course contre la montre, les
États-Unis et leurs alliés européens doivent faire savoir clairement qu'aucun
accord ne sera possible si Téhéran ne répond pas aux préoccupations de l'AIEA.
Si l'Iran demeure intraitable, le message devrait être sans équivoque : pas de nouvelle
levée de sanctions. Si l'attitude de non-coopération poursuit, le groupe P5+1
serait bien avisé d'entreprendre la planification de sanctions encore plus
contraignantes que celles qui existaient avant la date limite officielle de
janvier 2015 pour la conclusion d'un accord final.
Ce qui est
en jeu dépasse de beaucoup la diplomatie. L'Iran a affirmé sans coup férir
qu'il n'avait jamais eu la volonté d'obtenir des armes nucléaires. Le Guide
suprême Ali Khamenei a souvent déclaré que la bombe violait les préceptes
islamiques. Mais ses dénégations ne sont pas crédibles. Des études conduites
par les États-Unis, ses principaux alliés Européens et l' AIEA, ont montré que
l'Iran avait un programme identifiable d'armes nucléaires en 2003. Les
Européens et l'AIEA ont publiquement regretté, moins les États-Unis, que le
développement de cet armement iranien se soit poursuivi après 2003, dans des
conditions peut-être moins organisées.
L'Iran refuse
régulièrement à l'AIEA l'accès à des sites militaires, comme Parchin, une
installation où des dispositifs hautement explosifs visant au déclenchement
d'une bombe nucléaire ont bien été expérimentés. L'Iran continue de refuser la
demande de l'AIEA d'interviewer des individus clés, comme Mohsen Fakrizadeh, le militaire qui était soupçonné
d'être à la tête du programme nucléaire iranien au début des années 2000 et peut-être
encore aujourd'hui, et Sayyed Abbas Shahmoradi-Zavareh, l'ancien chef du Centre
de Recherche en Physique soupçonné par l'AIEA d'avoir été au
centre de la recherche iranienne sur le nucléaire militaire dans les années 90.
Si l'Iran ne
répond pas sérieusement à ses obligations envers l'AIEA et ne traite pas ses
demandes sur ses activités nucléaires militaires passées, Téhéran aura inauguré
un grave précédent, celui de zones interdites aux inspecteurs. Téhéran pourrait
alors baptiser de "base militaire" tout site suspect, et par là l'interdire
d'accès. Qu'y aurait-il de mieux pour réaliser clandestinement des activités
interdites comme l'enrichissement de l'uranium et sa militarisation ?
Téhéran
pourrait aussi contribuer à l'enterrement d'un principe central des inspections de l'AIEA: l'évaluation
obligatoire de la pertinence et de l'exhaustivité des déclarations d'un État en
matière nucléaire. D'autres états
envisageant le développement clandestin d'armements nucléaires observeront
certainement Téhéran avec attention.
Washington
et les Européens sont parvenus à un moment critique. Si l'Occident ne parvient pas
à obtenir que l'Iran crache le morceau, de façon vérifiable, sur les dimensions
militaires de son programme nucléaire, il y a de bonnes chances pour que
l'ayatollah Khamenei construise une bombe sans craindre qu'on ne le découvre.
Titre
original : Making Iran Come Clean About Its Nukes
par David Albright et Bruno Tertrais, Wall Street Journal, le 15 mai 2014
Traduction:
Jean-Pierre Bensimon
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire