La tentation de Munich est omniprésente dans un Occident paniqué par les djiadistes et l'Iran
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La prise éclair de Mossoul par l’EIIL (État islamique d’Irak et du Levant), un groupe sommairement étiqueté djihadiste sur le modèle d’Al-Qaïda, a déclenché un mouvement de panique dans les chancelleries et les palais nationaux d’Europe et des États-Unis.
Jusqu’à présent, les « printemps arabes » avaient accouché de l’ascension des Frères musulmans, considérés comme des islamistes « légalistes », mais vite éjectés de la scène. Il y avait la guerre civile syrienne, très inquiétante pour ses répercussions sur l’Europe, devenue un réservoir du jihad mondial. Cependant, elle semblait circonscrite et prévisible, du fait d’un certain équilibre des forces en présence.
L’offensive éclair de l’EIIL changeait la donne. Elle montrait que l’ébranlement des systèmes de pouvoir du monde arabe laissait le champ libre à des écroulements brusques et imprévisibles, et à des recompositions peut-être mortelles pour les intérêts occidentaux.
Surtout, tout le monde était conscient que cette situation totalement hors contrôle découlait directement du désengagement des États-Unis, d’Égypte, d’Irak, de Syrie, d’Arabie, du Golfe, d’Afghanistan, etc.
L’idée de faire de l’Iran, une puissance ambitieuse et apparemment stable, un pôle de stabilisation de la Région en coopération avec les États-Unis s’est imposée dans divers milieux , de part et d’autre de l’Atlantique.
John Kerry, le secrétaire aux affaires étrangères s’est déclaré « ouvert à tout processus constructif », le sénateur Graham Lindsay, un Républicain a plaidé dans le même sens, « puisque nous nous avions bien été alliés avec Staline contre Hitler ».
En France, c’est Le Figaro qui a théorisé ce tournant sous les plumes d’Isabelle Lasserre et de Renaud Girard. Pour ce dernier qui est allé le plus loin dans la conceptualisation, l’Occident fait depuis le 11 septembre une erreur stratégique dans l’identification de l’ennemi principal, car ce dernier n’arbore « ni une casquette de dictateur laïc, ni un turban de mollah chiite. » En fait il aurait fallu se concentrer sur les « fanatiques sunnites nourris au wahhabisme saoudien. » Nos alliés –sinon nos amis– auraient dû être Saddam Hussein, Mouammar Kadhafi et Ali Khamenei.
Comme les deux premiers ne sont plus dans la course, il ne reste plus que le Guide Suprême iranien. Poussant encore plus loin son raisonnement, Renaud Girard, préconise un mariage de raison. « La construction d’une entente stratégique entre Washington et Téhéran constitue la seule chance pour que le Moyen-Orient retrouve un jour la paix et la stabilité. »
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Dessin d'une enfant de 4 ans, Mohanna Ahmadi, dont le père, sunnite, vient d'être pendu en Iran |
Les Américains se sont quand même souvenus assez vite que la milice des Gardes de la Révolution, ses tireurs d’élite, ses artificiers et ses logisticiens avaient été à l’origine de la perte de la plupart de leurs soldats lors de la seconde guerre d’Irak, que l’Iran entretenait le Hamas, le Jihad islamique, le Hezbollah, les djihadistes actifs au Yémen et au Sud de l’Arabie saoudite. Ils se souvinrent que quelques mois auparavant, la force Al Qods avait tenté d’assassiner l’ambassadeur d’Arabie saoudite dans un restaurant de Washington et que Kerry avait déclaré qu’Al Qods « était la première machine du régime qui sème et soutient le terrorisme à l’étranger. »
En un mot les États-Unis prenaient conscience que l’appareil d’État iranien était son premier adversaire stratégique dans le monde. Ils se sont sans doute aussi rendu compte que l’EIIL n’était peut-être pas tout à fait un adversaire de l’Iran mais beaucoup plus probablement son allié, ou du moins une pièce de son projet d’hégémonie régionale.
En effet, Assad avait libéré de prison le noyau de cadres actuel de ce groupe, il s’était abstenu les attaquer, les laissant organiser leur petit califat de Raqqah et combattre cruellement les autres branches djihadistes, véritables adversaires de la coalition entre la Syrie et l’Iran. L’organisation d’un groupe sunnite visant à une partition de l’Irak n’est pas non plus une perspective très préoccupante pour l’Iran. Son but est de ne plus jamais risquer de retrouver face à lui la menace d’un Irak reconstitué et puissant . Un plus petit État chiite au sud de l’Irak, contrôlant des grands champs pétroliers de Bassora et du Golfe persique, facile à dominer, n’est pas pour lui déplaire.
Pour les Américains, et même pour l’administration Obama, la coopération avec l’Iran en Irak n’est plus tout à fait à l’ordre du jour. Les objectifs stratégiques de l’Iran, l’hégémonie régionale et la mise à grande distance du « Grand Satan », l’épreuve de force avec l’Arabie saoudite et les Émirats d’un coté, la Turquie de l’autre, ne sont quand même pas au programme de la dernière tranche du second mandat d’Obama. Que l’idée même de ce genre d’association ait pu effleurer plusieurs acteurs du jeu politique américain en dit long sur le sentiment de déroute qu’éprouve l’Oncle Sam après six années ravageuses « d’engagement » de son président.
Par contre comment expliquer qu’un journaliste français de renom, Renaud Girard, imagine que la paix puisse être organisée sous l’égide de l’Iran? Peut-il ignorer que c’est une théocratie religieuse sanguinaire, présente - si ce n’est à l’origine - de tous les foyers de guerre du Moyen-Orient, en passe de se doter d’un arsenal nucléaire tourné contre ses voisins et contre l’Occident. Il possèderait des ICBM (missiles intercontinentaux) dès l’année 2015 ! Non, on ne peut pas lui faire cette injure.
C’est plutôt qu’il a cédé à la panique, un peu comme Chamberlain et Daladier en 1938. Le fascisme des mollahs exhale des parfums d’affrontements tellement impitoyables que l’effroi gagne et pousse aujourd’hui à la capitulation. Comme en 1938.
S’il y a à présent un ennemi pour l’Occident au Moyen-Orient, c’est celui qui est impliqué dans toutes les guerres, qui veut renverser à son profit exclusif l’ordre existant, et qui affecte l’essentiel de ses ressources à la préparation des guerres qu’il juge décisives pour son rêve d’hégémonie. Pour l’Occident, pour la liberté des peuples moyen-orientaux, l’ennemi principal, ce ne sont pas ces groupes djihadistes sunnites inventés où manipulés par des États dont ils sont de facto les auxiliaires, c’est l’Iran, un pays, une puissance, en voie de nucléarisation.
Éditorial du 26 juin 2014
Pour un autre regard sur le Proche-Orient n° 14 - Juillet 2014
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