lundi 28 juillet 2014

Le moment de la décision approche

Au moment où l'opération "Bordure protectrice" entre dans sa troisième semaine, la véritable question qu'il faut se poser et traiter dans les prochains jours, c'est de savoir si Israël doit interrompre l'opération en l'état ou s'il faut la poursuivre.

Le Hamas a ouvert l'épisode actuel de violence en tirant des centaines de roquettes sur Israël; il a allongé la portée de ses frappes, il a envoyé des commandos terroristes amphibies et des drones, et a tenté de lancer des attaques simultanées à travers des tunnels.

De son fait, on a pu assister au spectacle de nombreux Israéliens courant pour se mettre à l'abri. Mais à part cela il n'a pas eu grand-chose à montrer pour illustrer ses efforts : trois civils ont été tués par des roquettes, 30 soldats Israéliens ont été tués dans des engagements avec des terroristes, et des dizaines d'autres blessés ; les dommages économiques subis par Israël sont modestes relativement à son produit national brut, même si la décision de nombreuses compagnies aériennes américaines et européennes de suspendre temporairement les vols en direction d'Israël a constitué un choc à la fois moral et financier.

Yaakov Amidror
Ce qui a été peut-être le plus fâcheux ces dernières semaines, c'est le sentiment qu'Israël n'a pas contrôlé une situation où il a été entraîné contre son gré. Le fait qu'un groupe terroriste, l'un des quelques ennemis restants d'Israël en termes de puissance de feu ait été capable de défier la nation la plus forte du Moyen-Orient pendant des jours, sans montrer de signes de fatigue, est difficile à digérer. Dans la région, cela a été considéré comme un succès du Hamas.

D'un autre côté, la riposte d'Israël a été puissante. Avec des armes de précision, ses forces aériennes ont envoyé des milliers de tonnes d'explosifs sur la Bande de Gaza, avec pour limite le désir d'éviter autant que possible les victimes civiles.

Traiter le terrorisme des tunnels a été le premier motif de l'incursion terrestre dès le début. Les décideurs politiques et militaires étaient conscients de la complexité de la menace et des difficultés à surmonter pour la circonscrire.

Alors que l'opération aérienne se poursuivait et que le Hamas rejetait les propositions de cessez-le-feu acceptées maintes fois par Israël, l'opportunité d'une opération terrestre difficile mais nécessaire s'est présentée. Parmi les facteurs pris en compte,  d'abord la légitimité internationale dont bénéficiaient les actions d'Israël, mais aussi les pertes potentielles de l'armée, et le nombre de victimes palestiniennes possibles vu que le Hamas empêchait les civils de quitter les zones où les tunnels avaient été creusés.

L'opération israélienne sur le terrain, qui est très limitée du point de vue géographique, vise essentiellement un objectif : localiser et détruire les tunnels qui conduisent de la Bande de Gaza à Israël. Bien que d'envergure limitée, cette mission est loin d'être simple dans la mesure où elle nécessite l'entrée dans des zones ouvertes entre le côté palestinien de la frontière et les aires urbaines à proximité, le maintien du contrôle sur les endroits où ont été trouvées les entrées des tunnels, et l'implication dans une guerre urbaine contre des ennemis retranchés et bien préparés.

Les forces israéliennes de défense ont atteint leurs objectifs opérationnels en dépit des pertes subies. L'armée a été capable de localiser des dizaines de tunnels et elle continue à en rechercher d'autres avec l'attention voulue; elles s'attachent aussi à détruire ceux qui ont déjà été pris. En utilisant des procédures adaptées pour empêcher les terroristes de s'infiltrer à travers les frontières, et avec l'appui de Dôme de Fer sur le front intérieur, l'armée a pu empêcher le Hamas et ses alliés de remporter ne fut-ce qu'un véritable succès.

L'impuissance du Hamas est avérée par la destruction sans précédent de ses infrastructures dans la Bande de Gaza et par son isolement international.

Le Hamas n'est pas encore à genoux et ses hommes poursuivent leurs tirs de barrage contre Israël. Il a été capable d'amener des compagnies aériennes à suspendre leurs vols en direction de l'aéroport international Ben Gourion, ses soldats combattent avec ténacité pour préserver les tunnels et les accès dont l'armée ne s'est pas encore emparée. Le Hamas a été capable de tuer de blesser des soldats Israéliens.

Le compte à rebours diplomatique.

La Bande de Gaza a toujours été un repaire pour les cellules terroristes. Mais depuis 1967, entre le moment où Israël en a pris le contrôle au cours de la guerre des Six jours et les accords d'Oslo de 1993, elles n'avaient jamais tiré sur Israël.

L'émergence d'une force militaire à Gaza a débuté avec les accords d'Oslo, à partir du moment où l'armée a quitté les zones urbaines où résidaient la plupart des Palestiniens. Cinq ans après les premiers  tirs de roquettes Qassam sur le sud d'Israël ont commencé. Une décennie plus tard, suite à une initiative irresponsable en termes de  sécurité, Israël s'est désengagé de Gaza et a permis au Hamas d'investir le Sinaï qui était déjà un repaire de terroristes.

Il n'a pas mis longtemps pour conquérir Gaza, et même si la Bande est le refuge de plusieurs groupes terroristes dont le Jihad islamique porté par l'Iran, aucun d'entre eux n'a contesté sa domination.

Des stocks d'armes massifs, de tous types, sont entrés clandestinement à Gaza sous l'égide de l'Iran et du Hezbollah. Ce processus s'est accéléré ensuite, après le renversement du régime de Moammar Kadhafi en Libye qui s'est transformée en une source majeure d'armes pour les terroristes et les Etats voyous.

La perte de contrôle des passages entre le Sinaï et la Bande de Gaza a permis l'entrée d'experts et de savoir-faire militaire, aggravé par le transfert de moyens de production d'armes et de matériel critique. En conséquence, les terroristes de Gaza possèdent désormais des capacités de production indépendantes de roquettes à longue portée et d'autres armes comme les drones.

Israël doit à présent faire face à des combats féroces car avec les années le Hamas a établi un système sophistiqué qui lui permet de tirer des roquettes pendant une longue période de temps. Un labyrinthe de tunnels  lui permet de défendre son stock de roquettes et lui donne un considérable avantage sur n'importe quel agresseur.

Après deux semaines de combat, les dirigeants du monde ont compris la position d'Israël et ils acceptent de subir les manifestations des gauchistes et des groupes pro palestiniens. Mais le compte à rebours diplomatique a commencé et il faut prendre une décision pour la prochaine étape, surtout si le Hamas continue de rejeter la proposition égyptienne de cessez-le-feu.

Il est temps désormais de se poser la vraie question, et peut-être la seule qui soit importante : Israël doit-il considérer la menace du Hamas comme une maladie chronique dont les effets quotidiens sont déplaisants mais tolérables et qui nécessite un traitement pénible à quelques années d'intervalle. Oui Israël doit-il prendre le risque d'une opération complexe, difficile et risquée, qui peut lui permettre de faire disparaître complètement de nombreux symptômes, mais qui nécessitera une longue convalescence.

Il n'est pas impossible d'aboutir à une situation où plus aucune roquette ne sera tirée de la Bande de Gaza, tout comme il n'y a aucun tir de roquette depuis la Judée et la Samarie. 

Cependant cela exige une manœuvre au sol complexe pour prendre le contrôle de la Bande, nécessairement au prix de nombreuses pertes israéliennes. En prélude, ce scénario est annoncé par l'importance des pertes déjà subies par l'armée au cours de l'opération terrestre.

Cette opération se heurtera aussi probablement à l'hostilité de l'opinion publique internationale, y compris celles des dirigeants qui ont soutenu l'opération israélienne. Naturellement, la simple prise de contrôle de la Bande de Gaza ne sera pas suffisante et l'armée et les services de sécurité devront reconstituer une infrastructure de renseignements qui a été perdue après Oslo et le désengagement.

L'armée israélienne devra aussi déployer des forces massives sur le terrain pour démilitariser systématiquement Gaza, arrêter les militants du Hamas et tuer ceux qui refuse de se rendre. Pour l'essentiel, elle devra restaurer un contrôle militaire total d'Israël de Gaza, semblable à celui qui précédait le retrait de l'armée des zones urbaines de la Bande de Gaza en 1995.

Ce type de contrôle signifie une chose : l'armée déplorera ses forces dans la Bande de Gaza en fonction de ses propres impératifs, -il n'est pas nécessaire d'être partout tout le temps-, et elle devra opérer sur toute la zone dès que les besoins se font sentir, après approbation des autorités de la défense.

Le dilemme du vide politique

Je pense que le processus de démilitarisation de Gaza et d'arrestation des combattants du Hamas prendrait entre six mois et un an, et il est probable que l'on assisterait à des combats féroces et des pertes importantes. Le Hamas pourra perdre sa capacité de poser des problèmes à l'armée israélienne, qui en retour aura en charge le contrôle du terrain comme c'est le cas en Judée et en Samarie.

Les renseignements de l'armée seront utilisés pour permettre des arrestations et des éliminations ciblées, tant que les troupes israéliennes seront sur le terrain, mais le niveau de difficulté et de risques sera amoindri ; la majorité du potentiel terroriste aura été éliminée et même si les groupes terroristes enregistrent un succès occasionnel, il sera temporaire et circonscrit. Après cela il n'y aura plus de tirs de roquettes de Gaza sur Israël.

Le dilemme militaire qui est complexe en lui-même pourrait être aggravé par un dilemme politico-civil dans la mesure où personne ne sait qui sera en mesure de prendre la responsabilité de Gaza une fois la mission de l'armée terminée. L'armée israélienne ne devra pas quitter Gaza, car cela provoquerait la montée de nouveaux éléments radicaux du Hamas. Dans le climat actuel du Moyen-Orient, tout vide est immédiatement comblé par des éléments islamistes radicaux, ce qu'Israël naturellement ne peut pas permettre.

C'est pourquoi Israël devrait restaurer « l'administration civile » de l'époque antérieure à Oslo, assurer la surveillance de Gaza et ses 1,7 millions d'habitants. C'est une charge gouvernementale, économique et diplomatique, qui avait été assumé avec succès pendant 28 ans entre 1967 et 1995, -il y a des différences néanmoins, dues au passage du temps.

Cette perspective est quelque chose de difficile mais de faisable, qui aurait un résultat indiscutable : les tirs de roquettes de Gaza seraient stoppés et il n'y aurait plus de tunnels menaçant des Israéliens sur le sol israélien.

Une opération militaire de cette envergure aurait un lourd bilan en termes de pertes civiles dans la Bande de Gaza. Le Hamas a l'habitude d'utiliser les civils palestiniens comme des boucliers humains car leurs vies n'ont aucune valeur pour les dirigeants de ce groupe. À long terme la prise de contrôle de Gaza sauverait de nombreuses vies palestiniennes parce que « la façon d'agir » de l'armée israélienne sur le terrain coûterait moins de vies que les campagnes militaires successives.

Ce changement heureux rendrait les choses plus simples pour Israël, en dépit des inévitables critiques internationales dans la phase d'incursion et de démilitarisation. Après tout, Israël n'a pas été capable de se débarrasser des  accusations « d'occupation » en dépit de son désengagement complet de Gaza ; et la communauté internationale le réprimande en invoquant principalement le nombre de victimes civiles dans les opérations militaires multiples imposées par le contexte actuel.

L'autre option consiste à revenir à l'accord de cessez-le-feu obtenu en 2012 à la suite de l'opération « Pilier de défense » et suite à l'opération « Plomb durci » de 2008. Cela signifie qu'il faut rechercher une médiation pour un cessez-le-feu dès que les tunnels seront détruits.

Pour arriver à un accord de cessez-le-feu, Israël devra faire des concessions, surtout en matière économique, au cours de négociations qui seront menées parallèlement à la poursuite des efforts pour réduire par voie aérienne les infrastructures du Hamas, tant que des roquettes seront tirées sur Israël.

À la suite de ce cessez-le-feu, le Hamas restaurera un pouvoir incontesté dans la Bande de Gaza et il pourra reconstituer ses capacités militaires en vue du prochain conflit qu'il déclenchera quand il aura retrouvé suffisamment de puissance. Il ne sera pas aussi facile pour le Hamas de reconstituer cette fois ses infrastructures sévèrement endommagées et de restaurer son potentiel. Le régime égyptien de Abdel Fattah el-Sissi fera des difficultés, mais seul le rythme de ce processus de reconstitution changera.

Israël utilisera sans doute ce délai pour améliorer ses capacités, et Dôme de Fer sera perfectionné à la suite de l'opération « Bordure protectrice » ; mais nous devons réaliser que l'initiative de décider du moment où les capacités des deux parties seront testées reviendra au Hamas seul.

Étant donné l'importance des dommages que le groupe terroriste a subis, les contraintes imposées par l'Égypte et son isolement international, je pense qu'il devra passer par un processus de réhabilitation long et difficile, et donc que le cessez-le-feu sera durable, même si l'opération de l'armée israélienne ne s'élargit pas au-delà de la destruction des tunnels. En même temps ce calme sera temporaire et il est probable qu'il y aura de temps en temps des tirs de roquettes sauvages sur les communautés voisines de Gaza ; mais il est clair qu'Israël ne violera pas un accord de cessez-le-feu « pour quelques roquettes. » Il ne l'a pas fait dans le passé et ne le fera pas à l'avenir.

Malheureusement, seules ces deux options sont réalistes : une opération longue et difficile pour arrêter les tirs de roquettes sur Israël, où un cessez-le-feu qui conduira à une nouvelle épreuve violente dans le futur. Les autres options, qui vont de « nous devons les rouer de coup au sol, leur couper l'eau et l'électricité et les laisser mourir de faim » à « nous devons négocier, leur offrir une aide financière et renforcer la position  du président Mahmoud Abbas dans l'Autorité palestinienne » n'ont pas de base pratique et ne sont pas en accord avec les réalités qu'Israël doit prendre en compte face à lui-même (oui, sa morale et son éthique) et face au monde.

Ces suggestions sont vouées à l'échec et elles nous conduiraient à des problèmes mentionnés plus haut, ou elles nous feraient perdre du temps dans des agissements sans valeur. L'aide financière aux Palestiniens est importante, le Hamas l'a mentionnée comme une pré-condition d'un cessez-le-feu, et si Israël doit faciliter cette aide cela ne changera rien à l'animosité du groupe terroriste.

Vous devez vous demander quelle est ma position, mais comme je l'ai déjà expliqué, mon opinion personnelle n'est pas importante. Les faits, et leur analyse correcte le sont beaucoup plus dans la mesure où ils permettent à chaque lecteur de tirer ses propres conclusions, de saisir la complexité du problème et les difficultés qui sous-tendent la future décision.

Les responsables israéliens méritent de la reconnaissance pour la prudence de leur action jusqu'à aujourd'hui, et nous espérons qu'il en sera de même à l'avenir. Mais nous devons être bien conscients que les problèmes qu'ils ont à traiter n'ont pas de solution facile. Il est parfois bienvenu de prendre en compte des données supplémentaires avant d'adopter des décisions sérieuses; et le sujet à traiter aujourd'hui mérite d'y réfléchir à deux fois.

Un éminent chirurgien, dont j'avais recherché les conseils pour une opération complexe et dangereuse m'avait dit  que l'opération ne devait être décidée qu'après l'examen de toutes les options; c'est seulement si l'on en conclut qu'il n'y a pas d'autre choix rationnel qu'il faut la faire avec détermination, malgré les risques.

Personne ne comprend cela mieux que le chirurgien lui-même, parce que nul n'est aussi coutumier que lui des chances de succès d'une opération comme de ses risques.

Le général Yaakov Amidror était récemment  conseiller pour la Sécurité Nationale d'Israël. Il a aussi été directeur de l'Institut des affaires contemporaines au Centre de Jérusalem pour les Affaires Publiques, commandant du Collège Universitaire de Défense Nationale et chef du Département de recherche et d'évaluation des Forces israélienne de Défense.

Titre original de l'article: Decision time approaching
par le Maj. Gen. (ret.) Yaakov Amidror, Israel Hayom, 24 juillet 2014
Traduction : Jean-Pierre Bensimon

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