mercredi 30 juillet 2014

Sacrifier ses citoyens pour préserver ceux de ses ennemis?

Mon épouse et moi-même sommes allés rendre visite à quatre familles qui ont perdu un fils lors des combats contre les terroristes du Hamas. Les sentiments qui vous submergent dans ces moments-là sont très forts et de diverses natures :
tristesse, douleur et humilité face à ces familles brisées, reconnaissance envers ceux-qui ont donné leur vie pour notre sécurité, mais aussi réconfort et fierté en voyant ces foules ininterrompues venues de tous horizons pour marquer leur solidarité avec ces malheureuses personnes qui ont perdu ce qu’elles avaient de plus cher. Dans ces moments, on ressent vraiment qu’Israël est un « Roc Inébranlable », comme l’est le nom de cette opération, et que rien ne pourra le vaincre, tant sa force de vie et son unité sont puissantes. Mais au milieu du brouhaha des visiteurs et des prières, une question surgit à chaque fois, lancinante, perforante : peut-être ce soldat est-il mort afin d’éviter des pertes civiles chez l’ennemi ?

Shraga Blum
Contrairement à la société arabe palestinienne où la mort en martyr est une valeur suprême, en Israël, les responsables politiques et militaires prennent systématiquement en compte les risques de morts de « personnes non impliquées » chez l’ennemi. Il s’agit d’une question extrêmement délicate et difficile, tant les mentalités sont antinomiques entre une démocratie soucieuse de maintenir des normes éthiques même en temps de guerre et des organisations terroristes nihilistes prêtes à sacrifier leurs propres populations civiles pour fournir des images sanglantes à l’Occident et gagner la guerre des images.

Le fait qu’il existe en Israël, et à tous les niveaux, un débat sur cette délicate question est en soi une marque de moralité qui n’existe dans aucune autre société démocratique, ne parlons pas de celles dirigées par des organisations sanguinaires telles que le Hamas ou le Fatah. N’en déplaise à toutes ces hordes rouges-brunes-vertes qui défilent dans les rues européennes aux cris de « Israël assassin », et pour lesquelles la vérité se limite aux clips de propagande grossière diffusés par le Hamas et ses partisans. Oui, il y a des morts civils à Gaza, mais ils ne sont en aucune manière visés par Tsahal, et si c’était le cas, en trois semaines, la puissante armée israélienne aurait provoqué la mort de cent fois plus de personnes lors des milliers de raids effectués.

Malgré le cynisme des organisations terroristes, Israël adopte à chaque fois trois principes directeurs : prévenir les populations civiles de l’imminence d’une attaque, ne pas viser sciemment des civils et renoncer au dernier moment à des éliminations ciblées de terroristes s’il s’avère qu’ils sont entourés de civils.

Mais jusqu’où doit-on aller ? Une société peut-elle se permettre de sacrifier ses citoyens pour préserver ceux de ses ennemis, qui s’en servent de surcroît comme boucliers humains ? L’opération terrestre a aussi pour but d’éviter de faire ce que d’autres armées auraient fait en pareil cas : bombarder aveuglément, raser des quartiers entiers jusqu’à ce que le Hamas rende gorge. Le fait que l’organisation terroriste tire encore des roquettes après trois semaines de combats n’est pas une preuve de sa « capacité de résistance » mais le résultat du refus d’Israël d’utiliser sa force de manière aveugle pour conjurer la menace terroriste. Au risque d’augmenter le nombre de morts civils ou militaires dans son propre camp.

Les éternels censeurs et accusateurs d’Israël ignorent ou font semblant d’ignorer à quel point le système judiciaire israélien est impliqué à priori et à posteriori dans les prises de décisions opérationnelles militaires, au point qu’une plaisanterie court dans les rangs de Tsahal indiquant que bientôt chaque soldat au champ de bataille devra être flanqué d’un expert juridique lui indiquant en temps réel s’il a le droit de tirer ou non dans telle ou telle situation.

Le juge Yaakov Tirckel, qui présida la Commission chargée de tirer les conclusions de l’affaire du bateau « Marmara » estime par exemple que « pour garder sa moralité intacte et éviter les condamnations internationales, Tsahal doit être prêt à combattre ‘avec une main attachée derrière le dos’ ». A l’opposé, Oded Revivi, maire d’Efrat (Goush Etzion) et lieutenant-colonel (rés.) indique que « s’il faut tout faire pour éviter des victimes civiles chez l’ennemi, en dernier ressort, la vie de soldats ou de civils israéliens doit primer sur celle des civils ennemis dont le Hamas se sert pour se protéger ».

La question de base revient sur la différence entre la morale chrétienne et la morale hébraïque. La première dit que la vie de l’Autre primerait sur la mienne – même si aucun pays de civilisation chrétienne n’a jamais appliqué ce principe tout en en enjoignant Israël à le faire. Dans la morale hébraïque, la logique et l’instinct de vie l’emportent : au moment crucial et s’il n’y a pas d’autre choix, ma vie et celle des miens doivent être prioritaires. Aucune norme éthique n’exige « d’aimer son ennemi plus que soi-même »…

Ce débat est unique à Israël et il faut que chacun se rende compte à quelle « culture » machiavélique nous avons affaire. Le capitaine Ran Ben-Attia raconte qu’en entrant dans la Bande de Gaza lui et ses hommes virent un vieil homme palestinien étendu sur le sol, blessé à la jambe par une balle. Au moment où l’officier s’approcha pour tendre la main au vieillard et l’aider à se lever, il s’aperçut que ce dernier était entouré de grenades et en tenait une dans ses mains qu’il voulut lancer. Les soldats eurent juste le temps de s’éloigner en courant et l’un d’eux tira sur le vieil homme. Il avait 76 ans.

Quel titre aurait donné Le « Monde » : « Des soldats israéliens tuent un vieillard blessé à terre » ? Ou « Le cynisme du Hamas n’a pas de limites » ? Devinez…

Shraga Blum est un journaliste indépendant qui contribue à l'hebdomadaire "P'tit Hebdo" et un analyste politique pour plusieurs sites internet en français



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