Reproduction d'une étude publiée en 2011 dans la Revue Controverses, numéro 18, qui n'a pas pris une ride sur le fond. Elle avait été rédigée au moment de la première requête en reconnaissance de la Palestine présentée Mahmoud Abbas au le Conseil de Sécurité de l'ONU.
En déposant un dossier auprès du secrétaire général de l’ONU pour attribuer à la « Palestine » le statut d’État-membre de l’organisation internationale, Mahmoud Abbas a franchi plusieurs lignes rouges. D’abord il s’est opposé de front à l’administration américaine, risquant de la contraindre à apposer seule un veto à sa demande et à apparaître comme le soutien unique d’Israël, une situation cauchemardesque pour Barack Obama ; or, depuis les tournants de 1988 (1) puis d’Oslo, les dirigeants palestiniens ont toujours tenu à préserver le capital de bienveillance de l’Oncle Sam à leur endroit (2). Abbas s’est affranchi en même temps de la pierre angulaire du processus d’Oslo, le règlement des questions afférentes au « statut final » à travers des négociations directes entre les protagonistes israéliens et palestiniens. Enfin, il s’est engagé dans une épreuve de force majeure et durable avec son vis-à-vis israélien alors qu’un modèle relationnel coopératif devrait être la norme incontournable pour des acteurs vraiment désireux d’aboutir à « deux États vivant côte à côte dans la paix et la sécurité ».
L’initiative du président palestinien a aussi mis en doute, au moins en partie, le schéma de référence de la « communauté internationale ». En satisfaisant les aspirations nationales des Palestiniens et en limitant celles des Israéliens, on devrait aboutir à un compromis matérialisé par un traité ; le conflit israélo-palestinien, cette épine dans le pied des relations entre l’Occident et le monde arabo-musulman, serait alors résolu. Dans ce schéma, on fait l’hypothèse que les Palestiniens veulent avant tout un État, expression de leurs droits nationaux, même au prix d’une reconnaissance définitive d’un pouvoir non-musulman, juif, au Proche-Orient. On suppose aussi que l’environnement régional, occidental et même mondial, est désireux d’une solution à ce conflit, ou au moins disposé à l’accepter. On présume enfin qu’il existe une solution de compromis, un aménagement possible, entre les impératifs non négociables qui pèsent sur les Israéliens comme sur les Palestiniens.
À l’épreuve de la réalité, toutes ces conjectures semblent de plus en plus fragiles. Les négociations qui ont précédé et suivi avec des hauts et des bas les accords d’Oslo, sur plus de 15 années, ont débouché à plusieurs reprises sur des propositions de règlement global assez formalisées (3), sans jamais aboutir à un traité. L’introduction des instances de l’ONU dans le règlement à l’initiative de Mahmoud Abbas, n’est pas un incident fortuit ou un simple coup de dés. Elle a été longuement pesée et menée avec beaucoup d’application. En fait, elle obéit à une certaine rationalité, du moins du point de vue de son auteur et de ses conseillers. En conséquence, si cette initiative palestinienne à l’ONU fait douter de la pertinence du schéma de référence, elle attire l’attention sur les véritables intentions des centres de pouvoir étrangers les plus engagés dans la gestion du vieux conflit proche-oriental, sur leurs stratégies d’instrumentalisation et la montagne de rhétorique qui les dissimulent.
Les bases idéologiques et tactiques de l’initiative de Mahmoud Abbas
Le thème de la création unilatérale d’un État palestinien n’a rien de nouveau. Le 15 novembre 1988, à l’époque de l’exil de Yasser Arafat, un État palestinien virtuel, recouvrant tout Israël, avait été proclamé par le Conseil National palestinien à Alger. En 2000, juste avant la négociation de Camp David, irrité par ce qu’il considérait comme le piétinement du processus d’Oslo, Arafat avait brandi une nouvelle fois cette menace.
La démarche de Mahmoud Abbas a été préparée avec beaucoup plus de soin. Son premier ministre Salam Fayyad disait dès le mois d’août 2009 : "Nous avons décidé de prendre l’initiative, de précipiter la fin de l’occupation en travaillant avec acharnement pour créer une situation nouvelle sur le terrain, de façon que l’émergence de notre État ne puisse être ignorée par personne… cet objectif devrait être atteint à la mi-2011 » (4) Le plan Fayyad consistait en une série de projets d’infrastructures et de lancements d’activités en Cisjordanie et à Gaza. Deux ans après, un rapport conjoint du FMI, de la Banque mondiale et des Nations unies diffusé lors d’une conférence de donateurs le 13 avril 2011, stipulait que « l’Autorité palestinienne [avait] franchi le seuil d’un fonctionnement digne d’un État dans des domaines clé », ce que Fayyad considéra être « le bulletin de naissance » du futur État palestinien. (5)
Barack Obama avait fourni un encouragement allant dans le même sens mais beaucoup plus politique devant l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 2010, en affirmant que « la Palestine serait membre de plein droit des Nations unies à la fin 2011 ». Il semble que dans son esprit, le cycle de négociations directes engagé depuis le 1er septembre de la même année devait déboucher sur un accord susceptible d’ouvrir la voie royale de la reconnaissance universelle à l’État palestinien lors de la session de l’année suivante, en vertu d’une séquence négociations – traité - admission à l’ONU. Mais fin septembre Abbas quittait la conférence au motif que Netanyahou n’acceptait pas de prolonger le gel des constructions dans les implantations, préalable qu’il avait posé aux premiers jours des rencontres, le moratoire de 10 mois consenti par Israël s’achevant le 26 septembre.
C’est à partir de cette rupture qu’il avait orchestrée que Mahmoud Abbas entreprit d’opérationnaliser son choix de clore le processus de négociation et de s’adresser à l’ONU.
Les motifs de l’option unilatéraliste de Mahmoud Abbas
Les explications possibles de l’option onusienne arrêtée au sein de l’OLP et ratifiée par la Ligue arabe ne manquent pas.
Il y a d’abord les raisons avancées par Abbas lui-même. Il a prétendu que le refus de négocier de l’administration Netanyahou et l’impasse prolongée des négociations, improductives depuis une décennie et demie, le contraignaient à emprunter une autre voie en désespoir de cause.
Les autorités politiques européennes, les média européens et une bonne partie de leurs homologues américains, à l’image du New York Times, n’ont pas cessé d’accuser le premier ministre israélien d’être effectivement le responsable du blocage des négociations. Cette accusation répétée des milliers de fois contre toute évidence, au point de faire l’unanimité en Europe, est un symptôme des préjugés qui l’aveuglent toujours. Netanyahou avait accepté dès le 14 juin 2009 la solution à deux États et proclamé sa volonté d’ouvrir des pourparlers sans délai. Pour donner des gages de sa bonne foi, il avait décidé d’un moratoire de 10 mois sur les constructions le 26 novembre 2009, et multiplié les mesures favorables à la vie dans les Territoires, de la levée de nombreux barrages routiers aux incitations économiques. Ses demandes d’ouverture de négociations directes ont été réitérées et insistantes.
Abbas refusa de son coté toute reprise du processus négocié avec une énergie tout aussi inébranlable. On établira ultérieurement que le motif profond de ce refus de négocier ne doit rien au hasard, qu’il est au cœur du problème, et qu’il reflète en fait une malfaçon congénitale du modèle d’Oslo.
L’improductivité prétendue des négociations est une autre expression de cette malfaçon. Abbas et le cœur de ses suivants occidentaux ont tort, encore une fois, d’en accuser Israël, car les négociations antérieures avaient débouché sur des offres très concrètes de règlement qui furent refusées chaque fois par la partie palestinienne, et même par Abbas en personne, avec sa non-réponse à la proposition de Ehoud Olmert de 2008. La partie palestinienne accuse Israël d’un refus de négocier, d’un échec ou d’une impasse dont elle est incontestablement à l’origine. Mais ses refus persistants sont peut être dus comme on le verra, non pas à une stratégie de négation pensée et choisie, mais à une impossibilité totale d’accepter un accord ou même d’emprunter une voie négociée contraignant peut-être un jour à passer un accord.
Le second motif réside peut-être dans la volonté de Abbas de se mettre en phase avec les « printemps arabes ». Il était urgent pour lui de ne pas devenir le Ben Ali ou le Moubarak palestinien. L’initiative unilatérale devant l’ONU lui donnait l’opportunité d’un précieux conflit avec les Américains et d’un rapprochement idéologique avec le Hamas, une éminente figure de l’islamisme en pleine ascension, totalement opposée aux négociations avec Israël. Son initiative pouvait modifier son image de « valet de l’Amérique et des sionistes », suggérée par son concurrent de Gaza, et susceptible de l’emporter dans la tourmente d'un "printemps" palestinien.
Le troisième motif possible nous met au cœur de la problématique de tout dirigeant palestinien du plus terne au plus charismatique. Passer par l’ONU en s’appuyant sur les majorités automatiques présente des avantages d’une valeur inappréciable que l'on peut énumérer:
- Humilier Israël auquel un règlement serait imposé contre sa volonté, plutôt qu’être son partenaire égal dans un accord ; l’émir émerge dans la tradition arabe comme l’homme de la victoire, pas du compromis ;
- Ne pas avoir à signer un traité qui constituerait en creux une véritable reconnaissance d’Israël. On connait le sort réservé par les islamistes aux traîtres coupables de céder une terre sacrée, à l’instar d’Anouar al Sadate. Et ne pas reconnaître a fortiori un pouvoir juif en Israël ;
- Ne pas s’engager à mettre un terme définitif au conflit ;o Ne pas accepter des concessions territoriales, élément constitutif de tout compromis ;
- Ne pas accepter un encadrement de la souveraineté du futur État, comme sa démilitarisation ;o Enfin, ne pas renoncer au droit au retour des réfugiés.
Le passage par l’ONU évite ainsi à Abbas et aux siens le cauchemar récurrent du dirigeant palestinien quel qu’il soit. Toute transaction avec Israël le place au ban de sa société et tout compromis le transforme en valet des infidèles américano-sionistes. Arafat avait évité ce piège en présentant sa signature des accords d’Oslo comme une mystification de l’ennemi, prévue et recommandée par le Coran.
Une quatrième hypothèse s’inscrit dans l’orientation du régime Abbas depuis ses débuts en 2006. L’État obtenu à l’ONU ouvrirait de nouveaux horizons à la grande stratégie de délégitimation d’Israël. Convertie en pression internationale supplémentaire et en isolement d’Israël, elle contribuerait à l’atteinte de ses objectifs politiques et territoriaux. L’Autorité palestinienne mène dans ce but depuis Ramallah une guerre idéologique et diplomatique contre l’État hébreu d’une intensité forcenée. L’un des fleurons de cette politique est le mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions. Or le statut d’État-membre, comme celui d’État non-membre observateur recommandé par Nicolas Sarkozy, donnerait en plus aux Palestiniens la possibilité d’activer l’appareil judiciaire international contre l’État juif et ses dirigeants. Abbas n’a rien dissimulé de son intention : "L'admission de la Palestine aux Nations-Unies pavera la voie de l'internationalisation du conflit du point de vue juridique, pas seulement au plan politique. Elle permettra de porter nos exigences vis-à-vis d'Israël aux Nations-Unies, devant ses organes en charge des droits de l'homme et devant la Cour Pénale Internationale." (6) Il faut observer que cette orientation mène au-delà des revendications officielles des Palestiniens de Ramallah. Elle revient à reproduire le schéma de disparition du régime de l’Afrique du Sud, sous la pression internationale, à l’époque de l’Apartheid. La disparition pure et simple de la forme existante du pouvoir en Israël est alors l'objectif visé. La demande unilatérale à l’ONU ne vise plus la création d’un État pour le peuple palestinien, mais d’un État-instrument voué à la dislocation d’un autre État.
Une option tactique ou un but stratégique de destruction de l’État juif ?
Toutes les hypothèses convergent vers une interprétation simple du choix tactique de Mahmoud Abbas. Obtenir la satisfaction de l’intégralité de ses revendications en s’appuyant sur ses vastes soutiens internationaux sans assumer les risques politiques et personnels d’une option coopérative avec Israël. Mais d’autres éléments, omniprésents et réaffirmés sans cesse dans ce moment politique précis, pèsent en faveur d’une interprétation plus extensive. En effet, l’initiative Abbas s’inscrit aussi comme on vient de le voir, dans le vieux mythe palestinien de destruction d’Israël. Il ne faut pas oublier qu’il y a dans les cartons de l’OLP une doctrine prête à l’emploi pour réaliser le rêve d’éradication de l'État hébreu sans nécessairement le vaincre dans une guerre conventionnelle. C’est la théorie des étapes, formalisée dans une résolution adoptée au Caire par le Conseil national palestinien le 9 juin 1974. Elle prescrit d’utiliser « tous moyens » pour « libérer » successivement des parties de la « Palestine » et emporter finalement le régime sioniste. (7)
Le discours palestinien « modéré », qui se présentait d’abord comme une tentative désespérée d’accomplir des droits nationaux gelés par les atermoiements de Netanyahou, se transforme en un discours de fermeture de toutes les issues permettant le maintient d’Israël au Proche-Orient dans sa particularité d’État juif.
C’est ainsi que Mahmoud Abbas remarque : "Nous allons faire valoir qu'en tant que Palestiniens, nous vivons sous occupation depuis 63 ans" (8) Autrement dit l’occupation existe depuis la création d’Israël en 1948, et la fin de « l’occupation » ne peut logiquement intervenir qu’à l’issue de la disparition de l’État occupant aujourd'hui les cités palestiniennes de Haïfa, Tel Aviv, Beer-Shev’a... Abbas Zaki, un membre éminent du Conseil politique du Fatah, s’exprime dans le même sens sur Al Djazeera le 23 septembre suivant : « Si nous disons que nous voulons rayer Israël de la carte... Allons donc, c'est trop brutal. Ce n'est pas une position politique [acceptable] on ne peut pas le dire ainsi. Ne dites pas ce genre de choses à la face du monde. Gardez-les pour vous. » (9) L’ambassadeur frais émoulu de l’Autorité palestinienne au Brésil, Ibrahim Alzelen, ne le gardera pas pour lui, déclarant devant un auditoire d’étudiants : « Israël doit disparaître. Il est évident que cela ne veut pas dire qu’Israël doit seulement disparaître de Cisjordanie, … il doit être rayé de la carte comme le préconise Ahmadinejad. » (10)
Dans la même veine, les Palestiniens « modérés » s’arc-boutent sur la vieille option démographique consistant à noyer Israël sous la masse des réfugiés palestiniens. Depuis son arrivée à la présidence en 2006, Abbas a tenu le discours le plus intransigeant qui soit sur le « droit au retour », sans jamais admettre la moindre altération du droit intégral laissé aux réfugiés et à leurs descendants de s’installer en Israël. Son bras droit, Saeb Erekat, expliquait il y a peu : «Aujourd’hui, les réfugiés palestiniens représentent plus de 7 millions de personnes dans le monde, soit 70% de la population palestinienne. Nier leur droits légitimes prévus par le droit international, leurs exigences à la mesure de la durée de leur déplacement, et leur aspiration à rentrer dans leur patrie, rendrait un accord de paix avec Israël complètement inapplicable. » (11) Nabil Shaat le chef de la diplomatie du Fatah abonde dans le même sens avec beaucoup moins de précaution : « Nous n'accepterons jamais une clause empêchant les réfugiés palestiniens de retourner dans leur pays, que cette initiative soit française, américaine, ou tchécoslovaque... » (12)
Pour donner au droit au retour des réfugiés toute sa force invasive, l’ambassadeur palestinien au Liban Abdullah Abdullah précisait que le nouvel État ne considérerait pas les réfugiés du Liban et du reste du monde, ni même les « réfugiés » vivant en Cisjordanie comme des citoyens et ne leur délivrerait pas de passeport. (13)
D’ailleurs Ramallah a pris soin d’interdire toute velléité de compromis sur ce sujet avec une loi implacable intitulée « Droit au retour », votée le 8 janvier 2008 par le Parlement palestinien et ratifiée par Mahmoud Abbas. (14) En voici un échantillon :
- Art 3 : Le droit au retour est naturel, personnel collectif, civil, politique, transmis de père en fils, il n’est pas prescrit dans le temps ni par la signature d’un accord, il ne peut en aucune manière être aboli ou faire l’objet d’une renonciation.
- Art 5 : Les réfugiés ne peuvent pas être installés ou déplacés comme alternative à l’exercice du droit au retour
- Art 6 : Quiconque viole les dispositions de la présente loi sera coupable du crime de trahison et il sera passible des sanctions civiles et pénales encourues pour ce crime.
Pour sceller son refus du judaïsme au Proche-Orient, le futur État dressé par Mahmoud Abbas et ses compagnons sera judenrein, excluant la moindre présence juive. Nabil Shaat cité plus haut est formel : « La formule de deux États pour deux peuples est inacceptable pour nous. Nous pouvons décrire Israël comme un État pour deux peuples, mais nous, nous serons un État pour un peuple. » (15) L’ambassadeur de l’OLP aux États-Unis, Maen Areikat, sera plus explicite lors d’une réunion organisée par The Christian Science Monitor le 13 septembre 2011 : « Le futur État palestinien sera ‘free of jews’ ». Plus habilement Mahmoud Abbas avait déclaré à plusieurs reprises qu’aucun Israélien, civil ou militaire, ne serait toléré dans le périmètre de l’État à venir, à la différence de toutes les autres nationalités.
Si l’on observe le discours des responsables palestiniens quand ils affirment par exemple que l’option militaire demeure sur la table (« Le Fatah n’a pas mis ses fusils au rebut » dira Tawfik Tirawi le 9 octobre), et les politiques qu’ils développent (le culte des héros terroristes, des prisonniers incarcérés et l’incitation à la haine antisémite envahissent l’espace éducatif et social), on conclut naturellement que le fantasme de l’éradication d’Israël est le principal repère collectif des milieux dirigeants palestiniens de Ramallah, sans parler de ceux de Gaza. La ligne de conflit avec le Hamas porte exclusivement sur la tactique et le calendrier de réalisation. L’islamiste Rashid Ghannouchi qui vient de gagner les élections en Tunisie en donne une idée assez exacte quand il déclare en mars 2011 : « la région arabe sera débarrassée du virus qu’est Israël. Le cheikh Ahmed Yassine … avait dit qu’Israël disparaîtrait avant 2027. «Cette date me semble trop éloignée, Israël disparaîtra avant. »(16)
La mise en œuvre : Mahmoud Abbas au gouvernail
Suivant la procédure requise, après avoir informé dans les délais le secrétariat de l’ONU de son intention, Mahmoud Abbas déposait le 23 septembre le dossier de candidature de « l’État de Palestine » au statut d’état-membre de l’organisation entre les mains de Ban Ki-moon.
La valeur juridique de la candidature palestinienne au statut d’État membre de l’ONU
L’ONU n’a pas compétence pour créer des États : elle ne peut admettre comme membres que des États déjà existants, ce qui est loin d’aller de soi pour la « Palestine ». Le projet de Mahmoud Abbas tente de contourner cet obstacle de taille en évoquant l’histoire et le droit : « Cette demande d’accession au statut d’État membre est fondée sur les droits naturels, légaux et historiques du peuple palestinien, sur la résolution 181 (II) du 29 novembre 1947, ainsi que sur la Déclaration d’Indépendance de l’État de Palestine du 15 novembre 1988 et la reconnaissance de cette Déclaration par l’Assemblée générale dans sa résolution 43/177 du 15 décembre 1988. » (17)
Tous les éléments de cette argumentation liminaire sont contestables du point de vue juridique et historique. Mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel, c’est que l’Assemblée générale de l’ONU ne crée pas des faits de terrain. Ses résolutions sont de simples souhaits non contraignants : ainsi, la résolution 181 prévoyant un découpage de la Palestine mandataire en un État juif et un État arabe n’a pas créé l’État d’Israël. Cet État, officiellement proclamé par la Déclaration d’indépendance du 14 mai 1948, ne quitte le statut de fiction politico-juridique qu’en triomphant de l’invasion de 6 armées arabes lancée dès le lendemain. En gagnant cette guerre, les institutions israéliennes font la preuve sur le terrain de leur solidité et de leur réalité. Si les auto-proclamations et les résolutions de l’ONU créaient de véritables États, des groupes politiques quelconques, réunissant assez de voix à l’ONU, pourraient faire adhérer sans limite de nouveaux États autoproclamés. Des peuples, ayant à la différence des « Palestiniens » une véritable histoire et une réelle cohésion nationale, comme les Kurdes, les Tamouls, les Basques ou les Tibétains, n’ont pas d’État, tout simplement parce qu’ils ne réunissent pas les conditions généralement admises pour en attester.
« L’État de Palestine » ne peut demander le statut de membre de l’ONU que s’il existe dans les faits préalablement. Or il émane de l’entité mentionnée par Mahmoud Abbas un fort parfum d’éther. On connait l’OLP, on connait l’Autorité palestinienne mais où est « l’État de Palestine », en dehors de simples mots couchés sur du papier ? Comme réalité (l’Autorité palestinienne rebaptisée) ou comme projet, l’État de Palestine n’obéit à aucune des conditions d’existence d’un État qui font consensus parmi les juristes.
• Une population permanente : le dossier palestinien englobe les populations des « Territoires » ainsi que tous les réfugiés et leurs descendants. Mais au nom du « droit au retour » les réfugiés doivent avoir la nationalité israélienne. Il est donc impossible de définir la population « permanente » du futur État ;
• Un territoire défini : le dossier palestinien fait référence à l’État de Palestine proclamé indépendant le 15 novembre 1988. Or ledit État recouvrait l’ouest de la «Ligne verte », c'est-à-dire Israël tout entier. Le même dossier fait référence aux lignes de 1967 dans leur intégralité. Nul n’est donc en mesure d’identifier le périmètre géographique de l’État candidat ;
• Un gouvernement exerçant effectivement son autorité : si l’État demandé recouvre bien Israël il faudrait que M. Abbas démontre qu’il administre Israël. S’il se cantonne aux Territoires, on sait que le gouvernement de Gaza et de son million et demi d’habitants échappe totalement à l’administration Abbas, au point que son chef ne peut même pas s’y rendre en visite. On sait aussi que faute d’un accord, 60% de la Cisjordanie (la partie où la population palestinienne est infime) est en zone C relevant d’Israël, et que le pouvoir de Abbas dépend de la coopération de sécurité avec Israël pour les 40% restants. Il n’y a donc pas de gouvernement effectif palestinien, où que ce soit ;
• L’aptitude à établir des relations avec les autres États et les institutions internationales. Les engagements internationaux possibles de la « Palestine » devenue un État seraient à la mesure du périmètre administré par son gouvernement. Non seulement Gaza lui échappe, mais les orientations et les alliances internationales du Hamas ne sont pas celles de Ramallah. Le Hamas exclut tout traité avec Israël, alors qu’un traité reste officiellement dans la logique de Ramallah.
L’intérêt du dossier d’adhésion de Mahmoud Abbas est de démontrer paradoxalement à quel point le pouvoir palestinien est aujourd’hui une fiction. Et une sinistre fiction quand on le rapporte aux normes de gouvernance édictées par les institutions internationales. Dans une lettre remarquable, un groupe de représentants au Conseil de l’Europe a dressé un état des lieux tout à fait glaçant des libertés et des droits humains dans la sphère palestinienne, qu’il s’agisse du statut de la femme, de la liberté d’expression, du code pénal, du traitement réservé aux minorités, etc. De nombreux aspects continuent de se détériorer.(18) Et cerise sur le gâteau, le mandat électif de M. Abbas, l’auteur de la demande palestinienne, s’est achevé depuis plus de 2 ans, mais il demeure en exercice !
Le présage du discours de Mahmoud Abbas à l’ONU
On ne peut pas envisager sérieusement d’introduire un nouvel État entre le Jourdain et la Méditerranée sans prendre en compte les particularités de la géographie de cet espace. Les frontières internationales épousent la plupart du temps des lignes de fracture géographiques et séparent des entités relativement diverses. Ce n’est pas le cas de l’ouest du Jourdain qui constitue un espace exigu et homogène. La gestion de l’eau, du cheptel, les politiques sanitaires, l’espace hertzien, l’espace aérien sont absolument indissociables et ne peuvent être organisés que dans un cadre unifié. Ce territoire densément peuplé est aride et écologiquement fragile pour une bonne part. Sa préservation exige une coordination rigoureuse et des choix technologiques harmonisés.
Ce constat a des implications politiques. S’il y avait deux États en présence, leurs autorités respectives auraient l’obligation matérielle de coopérer étroitement, quotidiennement, à tous niveaux, dans la plupart des domaines de l’administration publique. La formule politique nécessaire va donc au-delà du leitmotiv prescrivant « deux États vivant côte à côte dans la paix et la sécurité ». L’existence de deux États exige que leurs relations obéissent à un modèle étroitement coopératif.
Le discours d’intronisation du projet de Mahmoud Abbas devant l’Assemblée générale de l’ONU, le 23 septembre dernier nous livre de ce point de vue des indications précises. On a rarement entendu dans une enceinte internationale une déclamation aussi agressive. On peut y dénombrer 46 accusations de crimes majeurs contre Israël.
En voici quelques échantillons :
- Politique d’occupation coloniale militaire
- Brutalité de l’agression
- Discrimination raciale
- Viol du droit humanitaire international et des résolutions des Nations unies
- Confiscation systématique des terres palestiniennes
- Construction du Mur d’annexion
- Destruction des vies des familles et des communautés
- Suppression des moyens d’existence de dizaines de milliers de familles
- Démolition et confiscation des maisons
- Nettoyage ethnique sous de multiples facettes
- Déportation des représentants élus de la ville de Jérusalem
- Fouilles archéologiques menaçant nos lieux saints
- Check-points visant à interdire l’accès aux mosquées et aux églises
- Ciblage des civils palestiniens par des assassinats, des bombardements aériens et des tirs d’artillerie
- Destruction massive de maisons, d’hôpitaux et de mosquées
- Arrestations et meurtres aux check points
- Menaces sur l’avenir d’un million et demi de Palestiniens chrétiens et musulmans
- Confiscation de la terre et vol de l’eau
- Terrorisme d’État
- Occupation
- Apartheid
- Logique de force brutale
- 63 ans de souffrances d’une catastrophe (naqba) permanente infligée
- Enfants rentrant chez eux susceptibles d’être tués, arrêtés, ou humiliés »
La négation de l’identité de l’Autre israélien et juif couronne ce catalogue. « Je viens devant vous en provenance de la Terre sainte, la terre de Palestine, la terre des messages divins, de l’ascension du prophète Mohamed (paix sur Lui), et de naissance de Jésus Christ (paix sur Lui) … » Les Juifs sont absents de la « terre des messages divins », leur histoire antique est rayée d’un trait de plume, ils n’ont jamais été là, ils n’ont aucun droit historique.
Il est heureux qu’Abbas soit un « modéré ». Sa diatribe onusienne est un discours de guerre de délégitimation en phase offensive, tout le contraire d’un avenir vers « deux États vivant côte à côte dans la paix ». En portant son État sur les fonds baptismaux, il s’inscrit résolument dans un modèle de confrontation, aux antipodes du modèle coopératif indispensable au projet des deux États. Il signe une initiative politico-diplomatique devant d’ONU visant exclusivement à « poursuivre la guerre par d’autres moyens ».
La seconde caractéristique de sa démarche est la prise de distance vis-à-vis des États-Unis. Non seulement il rompt la séquence négociations-création d’un État, mais parcourant la planète pour obtenir les neuf voix nécessaires au Conseil de sécurité, il accule d’Oncle Sam à un veto désastreux pour sa politique d’apaisement en direction du monde arabo-musulman. De plus en faisant dire qu’il ne veut plus d’un tête-à-tête avec Israël Mahmoud Abbas parait mettre un point final au processus d’Oslo si prisé à Washington. Outre le motif indiqué plus haut (se démarquer des Ben Ali et des Moubarak), le leadership palestinien fait une analyse similaire à celle des Arabes, surtout au Moyen Orient : la suprématie de l’Amérique est affectée par une redistribution des cartes dans le monde et dans la région, sa force morale est durablement entamée tandis que l’islam progresse sur tous les continents en compagnie d’alliés de plus en plus puissants. Il est désormais possible, même aux micros pouvoirs comme celui de Ramallah de le défier ouvertement.
La paroi de verre : pourquoi les négociations terrorisent tant Mahmoud Abbas
L’histoire de la dislocation du processus négocié depuis l’arrivée de Barack Obama soulignera les efforts épiques de Mahmoud Abbas et sa détermination d'éviter de se laisser entraîner dans des négociations avec les Israéliens. Rendez-vous différés, exigence de négociations indirectes, rupture théâtrale d’un cycle à peine entamé, mais surtout multiplication de préalables soigneusement pesés pour être inacceptables par la partie adverse : la reprise des pourparlers là où ils en étaient avec Olmert, puis le gel des constructions, puis son extension à Jérusalem Est, puis le retour aux lignes de 1967 comme référence, demain la libération des prisonniers, etc. Une précédente négociation avec Ehoud Olmert, dite d’Annapolis, avait abouti à un projet que l’on connait mieux depuis la publication de l’ouvrage de l’ancienne secrétaire d’État Condoleezza Rice No Highter Honor (1er novembre 2011, Crown Publishers). On y apprend que le plan était complet, et qu’à l’été 2008 Olmert demanda à Abbas une signature immédiate. Celui-ci exigea un délai pour consulter ses assistants et il ne revint jamais. Bush convoqua les deux protagonistes à Washington en novembre et décembre pour leur forcer la main, mais dit David Ignatius en présentant l’ouvrage de Rice, Abbas prétexta qu’il obtiendrait plus d’un futur président démocrate. (19) En tout état de cause, il ne signa rien.
Pour comprendre l’attitude de Abbas, il faut aller au fond du différend israélo-palestinien.
Du coté israélien, étant entendu que les Palestiniens et l’environnement proche-oriental ont peu de chose à voir avec la vision du monde des Suisses ou des Belges, il y a un certain nombre de lignes intransgressibles pour Israël sauf à aller surement au suicide comme démocratie juive au Proche-Orient. Ces lignes se sont sensiblement précisées avec l’expérience de l’évacuation de Gaza et le comportement oublieux de l’administration Obama en matière d'engagements de l’administration antérieure.
• Le droit au retour des réfugiés palestiniens : pas de droit au retour sauf à titre symbolique pour une petite poignée de gens ;
• Le contrôle de la vallée du Jourdain : c’est le canal qui permettrait le passage d’armes et de combattants en provenance d’Iran, d’Irak, d’Égypte, de Syrie et de Jordanie. Les centres de pouvoir, l’unique aérodrome et les concentrations d’industries et de population des axes Tel Aviv-Jérusalem et Tel Aviv-Haïfa serait à portée immédiate d’armes modernes d’autant plus indétectables qu’elles sont compactes et sophistiquées. Elles rendent la présence humaine paradoxalement plus indispensable que jamais. Et l’enjeu est tel qu’aucun dirigeant israélien non suicidaire ne confierait cette zone à l’ONU, à l’OTAN ou même aux Américains.
• La souveraineté de l’État palestinien La formule occidentale évoque un État démilitarisé (dont les Palestiniens ne veulent pas). Ce serait parfaitement insuffisant. Il faut aussi que cet État ne puisse pas passer des traités avec d’autres états (l’Iran par exemple, ou tout autre) leur concédant de droits de passage ou d’installation de moyens militaires, de bases de guérilla ou de lancers de missiles. L’expérience de Gaza et du Liban sud a montré aux Israéliens que lorsqu’on a quitté officiellement une zone territoriale, la pression internationale rend est très difficile d’y pénétrer à nouveau, même si le motif de légitime défense est évident à tous. Il ne pourrait y avoir pour l’État palestinien qu’une souveraineté dûment encadrée et contrôlée par les Israéliens eux-mêmes.
• La redivision de Jérusalem : les Israéliens sont conscients qu’une capitale arabe à Jérusalem serait le tremplin d’une guerre idéologique permanente. L’OCI (Organisation de la Conférence Islamique) a inscrit dans ses statuts d’y installer son siège. Ils sont aussi conscients que les Palestiniens veulent briser avec leur retour à Jérusalem la colonne vertébrale morale du projet sioniste. Abbas Zaki déjà cité l’expose clairement : « Laissez-moi vous dire que lorsque l’idéologie d’Israël s’effondrera, quand nous aurons pris au moins Jérusalem, cette idéologie s’effondrera complètement et nous commencerons à progresser avec notre idéologie. Si Dieu le veut, nous les mettrons dehors de la Palestine. » (20)
• La conservation des grands blocs d’implantation : l’expérience de l’évacuation de Gaza qui portait sur moins de 10.000 personnes montre qu’Israël ne pourrait pas évacuer les 300.000 habitants actuels des implantations de Cisjordanie. Les Palestiniens sont tour à tour compréhensifs puis figés dans le refus sur cette question.
Par ailleurs, si Israël tient à être reconnu comme État juif par les Palestiniens, c’est parce qu’il analyse la racine du conflit comme le refus d’un État juif au Proche-Orient. Les Palestiniens entretiennent le mythe d’une liquidation de ce pouvoir non musulman dans un État d’Israël qui deviendrait progressivement bi-national à majorité arabe. Une vraie paix suppose que les Arabes abandonnent définitivement ce mythe pour consacrer plutôt leur énergie à entrer dans la modernité.
Quand on considère ces lignes intransgressibles d’Israël, on voit immédiatement qu’elles ne sont pas acceptables pour les Arabes palestiniens. Le mythe du retour est une force gigantesque. Aucun dirigeant palestinien n’a jamais pris le risque de ramener ses ouailles à la raison, si jamais l'un d'entre eux en a eu un jour le désir. On voit mal un dirigeant palestinien avoir la force d’accepter la présence de soldats juifs chez lui, ou admettre que la souveraineté de son État s'exerce sous tutelle sioniste. Comment aussi renoncer à diviser Jérusalem après des décennies de martèlement de la fiction qui en fait le troisième Lieu saint de l’islam.
Il n’y a strictement aucune force significative dans les sociétés palestiniennes de Gaza et de Cisjordanie, capable d’intégrer les contraintes israéliennes dans leur recherche de la paix. Et si jamais une telle force existait, si elle était dotée d’un leader charismatique convaincu d’emprunter cette voie, une coalition se formerait immédiatement pour lui ôter son espace et son chef. Entre Israéliens et Palestiniens, il y a une paroi de verre : le suicide des concessions pour l’Israélien, le suicide du statut de traître pour le Palestinien.
Demander à Mahmoud Abbas de jouer ce rôle relève du fantasme et on ne connait pas de candidat alternatif à un tel destin chez les Palestiniens. Demander à un dirigeant palestinien de prendre des positions publiques compatibles avec la sécurité d’Israël relève de l’utopie. C’est pour cela qu’exiger d’un Arafat ou d’un Abbas qu’il signe un traité de paix avec Israël, avec les fanfares et flonflons de rigueur, c’est l’acculer dans une trappe mortelle.
Si Mahmoud Abbas a résisté avec l’énergie du désespoir à toute reprise des négociations, c’est parce qu’il savait que compte tenu des gigantesques pressions internationales sur Israël ces négociations pourraient bien déboucher sur un arrangement qu’il ne pourrait pas refuser de signer sans désorienter ses soutiens occidentaux. La proposition Olmert a été pour lui une première sueur froide qu’il a pu conjurer en invoquant le changement d’administration aux Etats-Unis.
Dans le même ordre d’idée on comprend que la volonté de Bill Clinton d’achever son mandat sur une réalisation de portée historique est l’une des principales causes de l’Intifada d’Arafat. La volonté d’Obama de prouver ses intentions au monde arabe en assommant Israël de sa vindicte a terrorisé Abbas qui s’est vu en grand risque de devoir signer un traité, une corde au cou comme les bourgeois de Calais. Et le moyen qu'il a trouvé pour paralyser le risque Obama a été de refuser de négocier le plus habilement possible. Arafat était sorti du piège par une guerre, Abbas s'en extrait par un recours à l’ONU.
Cependant, si un accord sur le statut final est inatteignable, les cycles de négociations sur les questions courantes comme la sécurité, la gestion de l’eau, le développement économique, la circulation des personnes et des biens, sont plus qu’utiles, indispensables, et sans réveiller les grandes fractures idéologiques et religieuses qui séparent les Arabes des Israéliens. De plus des négociations de ce niveau créent un climat de coopération favorable à la réduction des tensions que l’interventionnisme pacificateur américain radicalise toujours.
Le Quartet tente une fois de plus de relancer les négociations avant que le Conseil de sécurité de l’ONU ne se prononce sur la candidature palestinienne. Pour contourner l’inévitable refus palestinien, l’envoyé Tony Blair a demandé à chacune des parties de lui soumettre sous trois mois des propositions sur la sécurité et sur les frontières, questions éminentes du statut final, ce chaudron diabolique du Proche-Orient. Et pour une fois, une lueur de réalisme a transpiré publiquement de la bouche de l’ancien premier ministre anglais : « Si vous obtenez ces propositions et s’il y a un grand fossé entre les postions des deux parties, vous devez en tirer la conclusion que ce n’est pas possible… » (21)
Fiction, instrumentalisation, rhétorique
Le traitement du noyau central du conflit israélo-palestinien est impossible, à vue d’homme, parce que l’Occident a fait sien un narratif tout à fait fictif, emballé avec de grosses ficelles. L’OLP a inventé à partir de 1967 une identité nationale palestinienne et des droits nationaux, cette identité et ces droits n’ayant traversé l’esprit de personne quand les anciennes Judée et Samarie était sous la férule jordanienne et Gaza sous la botte égyptienne. Les Arabes de Palestine se sont ainsi transmutés brutalement en un peuple spécifique, les Palestiniens, méritant comme tout peuple de matérialiser ses droits nationaux par un État en propre. C’est ce tour de passe-passe sémantique qui a produit la doctrine des deux États. A l’expérience, elle s’avère aussi être une fiction dans la mesure où elle constitue une solution inapplicable. Et plus on veut forcer sa mise en œuvre, plus les tensions, le terrorisme, et la guerre la délégitimation empuantissent l’atmosphère du Proche-Orient.
Mais l’OLP est loin d’être le responsable de l'épais brouillage du conflit israélo-palestinien et des échecs politiques et diplomatiques récurrents pour le résoudre. Le vieux conflit a la particularité d’être multi-instrumentalisé par des forces qui couvrent une bonne partie de la planète.
Les dictatures arabes l’utilisent depuis des décennies pour imputer leur incurie, leur incompétence et leur voracité aux Juifs qui oppriment un peuple arabe et aux Américains qui les soutiennent.
Les Européens en ont fait la clé de l’arrimage du monde arabe à leur sphère d’influence. Assommer Israël à tout bout de champ est une preuve de fidélité qu’ils apportent quotidiennement aux divers étages des sociétés arabes. Leur dette envers le judaïsme en général et leur responsabilité dans le plus grand carnage de tous les temps ne les empêche pas vraiment de dormir. Les Américains sont pris entre deux exigences. Leur alliance prioritaire avec les théocraties arabes pour le contrôle du pétrole, et leur besoin de sauvegarder une démocratie sœur et un solide point d’appui dans une région stratégiques et instable du monde. Selon les circonstances ils courtisent plus ou moins l’alliance arabe et rabrouent plus ou moins Israël. Obama est arrivé au pouvoir avec un programme de conciliation tous azimuts avec le monde arabo-musulman. C’est pour cela qu’il a passé son premier coup de fil à Mahmoud Abbas, premier gage de ses dispositions amicales. Par la suite les campagnes « d’Israel bashing » de son administration étaient autant de preuves de ses préférences adressées au monde arabe.
Les militaires égyptiens ont donné au début du mois de septembre un échantillon significatif de leur instrumentalisation du conflit israélo-palestinien en organisant le sac de l’ambassade d’Israël au Caire. Leur but était de créer un incident très violent, propre à justifier un retour de l’état d’urgence. Par le truchement de son ambassade, Israël était la cible rêvée d’un tel incident, en phase avec l’antisionisme féroce de la rue. Le premier geste de l’islamiste Ghannouchi a été de dédier sa victoire électorale au peuple palestinien de Cisjordanie et de Gaza et de promettre la fermeture du bureau israélien de Tunis pour poser au nationaliste et récupérer le capital de l’antisionisme populaire en Tunisie.
Cette multi-instrumentalisation apporte aux Arabes palestiniens de nombreux soutiens et autant de subsides. Elle les a installés dans une situation privilégiée dont leurs chefs veulent continuer à profiter. Rien dans l’attitude des Occidentaux et des Arabes à leur endroit ne les incite à la paix ou à la rationalité, bien au contraire. L'Etat de Palestine est leur drapeau mais il n'a pas beaucoup plus de consistance que les jeux de rhétorique qui les mettent en scène au centre d'un monde qui entre dans la modernité sans eux.
par Jean-Pierre Bensimon Professeur de sciences sociales, consultant en organisation
Controverses n 18 déc. 2011 pp. 12-27
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Notes
1 - En novembre 1988 à Alger, une émanation de l’OLP, le Conseil National palestinien semble accepter l’existence d’Israël pour la première fois en reconnaissant les résolutions 181, 242 et 338 de l’ONU. Les premières relations directes avec les Etats-unies sont nouées un mois plus tard.
2 - La publication de documents d’archives américains vient de prouver qu’Arafat était personnellement responsable du meurtre en 1973 au Soudan de deux diplomates américains, l’ambassadeur Cleo Noel et le chef de mission adjoint George Curtis Moore, Cette révélation n’a pas modifié les rapports entre les États-Unis et l’OLP. Les diplomates américains s’inclineront-ils devant la tombe du héros national palestinien ? Voir For Yasser Arafat, crime certainly paid Amir Oren, Haaretz, 26 août 2011, http://www.haaretz.com/weekend/week-s-end/for-yasser-arafat-crime-certainly-paid-1.380812
3 - Sous l’égide de Bill Clinton, il y a eu les propositions de Camp David de juillet 2000 et celle de Taba de janvier 2001 qu’Arafat a refusées tout à tour. A la mi- 2008, dans le cadre du cycle d’Annapolis de Georges Bush II, Olmert fit aussi une proposition complète « la meilleure qu’un gouvernement israélien puisse jamais faire », à laquelle Mahmoud Abbas ne répondit tout simplement pas.
4 - Palestinian Prime Minister Salam Fayyad says Palestinian Authority intends to bypass failing peace talks and establish its own state within two years James Hider The Times (UK) le 25 Août 2009
5 - Palestinian Economy Wins Plaudits, But Statehood Still Distant Without Israel's Cooperation par Nathan Guttman le 18 avril 2011 http://www.forward.com/articles/137006/
6 - The Long Overdue Palestinian State New York Times le 16 mai 2011, http://www.nytimes.com/2011/05/17/opinion/17abbas.html?_r=1&scp=1&sq=abbas%20may%2017,%202011&st=csehttp://www.nytimes.com/2011/05/17/opinion/17abbas.html?_r=1&scp=1&sq=abbas%20may%2017,%202011&st=cse
7 - . « Tout pas accompli en direction de la libération est une étape dans la mise en œuvre de la stratégie de l’Organisation de Libération pour établir un État palestinien » Programme politique adopté à la 12ème session du Conseil National palestinien
8 - “We are going to complain that as Palestinians we have been under occupation for 63 years.” Abbas Affirms Palestinian Bid for U.N. Membership Ethan Bronner New York Times 5 septembre 2011 http://www.nytimes.com/2011/09/06/world/middleeast/06palestinians.html
9 - Voir la traduction du clip en Anglais par MEMRI http://www.memritv.org/clip_transcript/en/3130.htm
10 - “Esse Israel tem de desaparecer”. E ninguém soltou um pio de protesto! par Reinaldo Azevedo Veja-Brazil 3 octobre 2011 http://veja.abril.com.br/blog/reinaldo/geral/%e2%80%9cesse-israel-tem-de-desaparecer%e2%80%9d-e-ninguem-soltou-um-pio-de-protesto/
11 - The returning issue of Palestine's refugees The Gardian 10 décembre 2010 http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2010/dec/10/israel-palestine-refugee-rights
12 - Memri Déclaration de Nabil Shaat à ANB TV du 13 juillet 2011 http://www.memritv.org/clip/en/0/0/0/0/0/0/3046.htm
13 - Refugees will not be citizens of new state Annie Slemrod, The Daily Star 15 septembre 2011 “Ce sont des Palestiniens, c’est leur identité” dit-il. “Mais… ils ne sont pas automatiquement citoyens.” Cela ne s’applique pas seulement aux réfugiés de pays comme le Liban, l’Égypte, la Syrie, la Jordanie, ou les 132 autres pays où il y a des Palestiniens, dit Abdullah. « …même les réfugiés palestiniens vivant dans [des camps de réfugiés] à l’intérieur de l’État [Palestinien] restent des réfugiés. Ils ne seront pas considérés comme citoyens. » http://www.dailystar.com.lb/News/Politics/2011/Sep-15/148791-interview-refugees-will-not-be-citizens-of-new-state.ashx#ixzz1c9nv4tbe
14 - On peut consulter une traduction en anglais de la loi sur le « Droit au retour » à l’adresse : http://jerusalemcenter.wordpress.com/2011/10/26/the-palestinian-right-of-return-law-leaves-no-room-for-political-flexibility/
15 - Voir la note 12
16 - Voir Martin Kramer 26 octobre 2011 http://www.facebook.com/martinkramer.page
17 - On trouve le dossier de la candidature palestinienne déposée auprès du secrétariat général de l’ONU à l’adresse http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20111011.OBS2200/exclusif-les-documents-presentes-par-les-palestiniens-a-l-onu.html
18 - Voir Council of Europe: perplexity for the upgrading of the Palestinians to “Partners of Democrary” status
5 octobre 2011 http://fiammanirenstein.com/articoli.asp?Categoria=5&Id=2715
19 - The Mideast deal that could have been David Ignatius Washington Post 27 octobre 2011 http://www.washingtonpost.com/opinions/the-mideast-deal-that-could-have-been/2011/10/25/gIQAxaREKM_story.html
20 - Abbas Zaki sur NBN TV 9 avril 2009 MemriTV Clip No. 1738 http://www.memritv.org/clip_transcript/en/1738.htm
21 - Mideast 'quartet' tries new approach with Israel, Palestinians Edmund Sanders, Los Angeles Times 25 octobre 2011 http://www.latimes.com/news/nationworld/world/la-fg-mideast-blair-qa-20111026,0,4469169.story
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