Les risques irréversibles de l'accord Obama avec l'Iran : la contribution de David P Goldman
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La plupart des guerres
du passé auraient été beaucoup moins sanglantes si elles avaient commencé plus
tôt. C'est particulièrement vrai pour la première guerre mondiale: l'Allemagne
aurait pu lancer une attaque préventive sur la France pendant la première crise
du Maroc de 1905, avant la signature de l'entente cordiale entre la
Grande-Bretagne et la France, alors que la Russie était mobilisée par une
rébellion intérieure. Le résultat aurait été une répétition de la guerre entre
la France et la Prusse de 1870 au lieu de l'atroce guerre d'usure qui a conduit
à la quasi ruine la civilisation occidentale. Quand le Kaiser Wilhelm II, un homme hésitant, rejeta le conseil
de son chef d'état-major et fit le choix de rester en paix, ce fut en fait une
tragédie. Je ne veux pas donner un avantage moral à l'Allemagne de Wilhem, mais
affirmer simplement que la victoire rapide de l'une des parties aurait été
préférable à ce qui a suivi. Soutenir que la Grande-Bretagne et la France
aurait dû se préparer à la guerre avec l'Allemagne et prévenir les ambitions
d'Hitler dès la réoccupation de la Rhénanie en 1936, ne prête pas à controverse.
L'Occident aime penser
qu'il a atteint un haut niveau de rationalité après les grandes effusions de
sang de son passé - les deux guerres mondiales du dernier siècle, les guerres
napoléoniennes du XIXe siècle, et la guerre de 30 ans du XVIIe siècle. C'est
une illusion auto réconfortante : il n'est pas plus rationnel, mais il donne
seulement des signes d'affaiblissement. C'est confondre le manque d'intérêt
pour l'avenir avec la modération. L'aveuglement délibéré sur le passé nous
aveugle sur la nature des combats à venir au Moyen-Orient. En 1914, l'Europe
connaissait une prospérité sans précédent. Un réseau de relations commerciales
reliait entre elles toutes les nations européennes au sein d'une entité
économique unique. Les peuples d'Europe avaient moins à craindre la famine, les
maladies ou les violences domestiques, moins que tous les peuples de l'histoire
humaine qui les avaient précédés. De plus, les monarchies européennes
entretenaient des relations familiales plus étroites qu'à aucune période du
passé. Néanmoins, les Européens choisirent de renoncer à leur prospérité et de
se sacrifier en nombre inimaginable aujourd'hui. Pourquoi ? Parce que chaque
nation croyait être la Nation Élue comme je l'ai expliqué en 2011 dans mon
ouvrage Comment les civilisations disparaissent.
Francesco
Sisci soutient que le développement économique du continent eurasien, sous
l'influence stimulante du programme chinois « Une région une route,» peut
représenter une importante force de paix. Ce point de vue a été aussi exprimé
par l'envoyé spécial de la Chine pour le Moyen-Orient, Gong Xiaosheng.
La question à laquelle il faut répondre, c'est pourquoi la prospérité et
l'interdépendance économique de l'Europe n'est pas parvenue à faire obstacle au
déclenchement de la première guerre mondiale. La conception du monde de la
Chine est rationnelle, mais la rationalité est un défaut : les Chinois, qui ont
créé une civilisation qui a perduré pendant des milliers d'années en intégrant
des peuples différents et en supprimant les différences ethniques, ne
parviennent pas à mesurer à quel point les barbares étrangers à leur
civilisation peuvent se comporter de façon irrationnelle. J'ai soutenu en 2013
qu'il y avait une voie pour une Pax Sinica
au Moyen-Orient, mais que cela exigeait une utilisation calculée de
l'influence chinoise pour faire comprendre aux Iraniens les risques induits par
leur comportement. La Chine s'est concentrée sur la diplomatie économique, et
elle a remporté un brillant succès avec la Banque asiatique d'Investissement
dans les Infrastructures, mais je ne vois pas d'effort équivalent de sa part dans
le domaine de la diplomatie stratégique.
Des guerres se produiront, qu'on
le veuille ou non. Elle prendront racine et grandiront sur le socle de
l'identité nationale. J'ai écrit
qu'au bout du compte, les nations de l'Europe se livrèrent la bataille de la
première guerre mondiale dans un effort futile pour éviter de devenir ce
qu'elles sont aujourd'hui, au moment du 100ème anniversaire du déclenchement de
ce cataclysme. "Les hommes ne connaissent pas la mesure. Nous ne sommes
pas aussi différents de nos pères que
nous aimons à le penser. Les Européens d'aujourd'hui, infantiles et hédonistes,
sont identiques à ceux qui combattirent et moururent par millions pour le roi
ou le pays en 1618 et en 1914. Si on donne de la valeur à la vie, on donne de
la valeur à la mort pour elle. Si nous pensons qu'il n'y a pas de cause qui
vaille que l'on meure pour elle, nous voulons dire aussi qu'il n'y a rien qui
vaille que l'on vive - comme c'est le cas des Européens d'aujourd'hui. L'Europe
a appris de son histoire que le sang et le sol, la Culture et la Grandeur, ne
méritaient pas l'effort de se battre. Mais l'Europe ne trouve pas de raison de
vivre après avoir renoncé aux divinités nationales de son violent passé. Elle
est en train de mourir d'ennui et de débilité, écœurée de son passé et
indifférente à son avenir, peu encline à mettre au monde assez d'enfants pour
assurer sa survie au siècle prochain.
L'Iran n'a pas encore appris
cette leçon, et il ne veut l'envisager qu'à l'aune des nations d'Europe au
siècle précédent. Peut-être les ayatollahs s'inscrivent-ils dans un scenario
apocalyptique qui conduira finalement à la destruction mutuelle dans une guerre
nucléaire avec Israël ou avec l'un de leurs voisins sunnites. J'en doute et je
ne pense pas que la question soit importante. La position de l'Iran aujourd'hui
au Moyen-Orient est semblable à celle de la France démocratique en 1914: un
pouvoir impatient avec de grande ambitions, à la veille d'un déclin
démographique, qui a une dernière chance à sa main d'établir sa domination dans
la région. Les populations allemande et française étaient à peu près égales au
moment du déclenchement de la guerre entre la France et la Prusse de 1870; en
1913, celle de l'Allemagne avait augmenté de 70% tandis que la France stagnait,
probablement parce qu'elle avait été le premier
pays laïc.
L'historiographie
anglo-saxonne a longtemps accusé l'Allemagne d'être responsable de la première
guerre mondiale, une condamnation facile devant le tribunal de l'histoire vu sa
culpabilité lors de la seconde. Christopher Clark a désormais montré dans son
livre à succès « Les somnambules »
que la mobilisation de la Russie a forcé la main à l'Allemagne. Si l'on en
croit les mémoires de l'ambassadeur français à Saint-Saint-Pétersbourg, Maurice
Paléologue, la France a poussé le tsar à la guerre. Les quatre cinquièmes de la
classe d'âge mobilisable par la France étaient déjà sous les drapeaux huit mois
avant le déclenchement de la guerre, contre seulement la moitié en l'Allemagne.
Une guerre d'usure avait déjà commencé; la France avait besoin d'une décision
rapide parce qu'à la différence de l'Allemagne elle ne pouvait pas soutenir le
coût d'une mobilisation indéfinie.
Du
point de vue démographique, l'Iran est dans une position comparable à celle de
la France en 1914 : sa population en âge de porter les armes représente à peu
près la moitié de celles des trois plus importants états sunnites combinées
(Pakistan, Turquie et Égypte). En 2020, le ratio sera passé à un pour quatre à
cause de l'effondrement de la fécondité de l'Iran de 7 enfants par femme en
1979 à seulement 1,6 en 2012. Ses 125.000 Gardes révolutionnaires constituent
la force combattante la plus efficace de la région après le renversement du
régime de Saddam Hussein en Irak. Bien que l'Iran soit dépourvu d'une force
aérienne moderne, il est la première puissance au sol dans le Levant. La
nouvelle coalition sunnite montée par l'Arabie Saoudite est une tentative de
réponse aux dégâts causés par l'Iran au Yémen et ailleurs. Mais les sunnites
sont divisés et ils sont loin d'agir de concert. Le Pakistan est trop occupé
avec l'Inde et ses extrémistes de l'intérieur pour engager des soldats dans des
aventures à l'étranger ; la Turquie ne désire pas s'impliquer pour le
compte du leadership saoudien dans la région. La force de l'Iran sera à son
maximum dans les quelques années à venir, surtout si la levée des sanctions lui
donne les moyens de financement et l'autorité nécessaires pour moderniser ses
forces armées.
Je ne soutiens pas
l'idée que le bellicisme est une fonction mécanique de la démographie. Ce qu'il
faut souligner plutôt, c'est que tous les facteurs qui ont contribué aux
hostilités en Europe en 1914 et plus encore à l'agression allemande de 1939,
s'appliquent a fortiori à l'Iran : le
messianisme national, le sentiment d'une injustice historique, la volonté de
sacrifier un grand nombre de vies, le mépris pour l'humanité des états voisins,
et par-dessus tout, la perception totalement rationnelle que le temps s'écoule
et que dans la guerre inévitable avec les états voisins, il deviendra
impossible de vaincre à une échéance pas très éloignée.
Même si l'accord prévu
avec l'Iran permet effectivement d'interrompre le développement de ses armes
nucléaires - ce qui est à mon avis un résultat improbable - il donnera à l'Iran
les ressources voulues pour préparer son règlement de compte final avec les
sunnites, ce qui interviendra au bout du compte à une échelle terrifiante. Si
les diplomates européens s'étaient bercés d'illusions dans leur tentative de
maintenir l'équilibre des pouvoirs dans les années qui ont précédé la première
guerre mondiale, les diplomates d'aujourd'hui serait fous de croire qu'un
équilibre peut être établi entre l'Iran et ses voisins sunnites. La guerre est
déjà présente en Syrie, en Irak, au Yémen, en Somalie, au Liban et en Libye. La
guerre n'est pas un choix. C'est un événement. Si l'Iran venait à triompher à
relativement court terme, la revanche sunnite qui suivrait serait d'autant plus
terrible. La génération suivante, un tiers des Iraniens aura plus de 60 ans.
Pour la première fois dans toute l'histoire, un pays pauvre portera une charge
aussi énorme de vieillards dépendants. Les populations plus jeunes de ses
voisins sunnites les écraseront. En histoire, il faudra revenir avant la guerre
de 30 ans, peut-être à Tamerlan, pour se faire une idée du carnage que cela
causera. Si l'Iran aura des armes nucléaires, elles seront utilisées et ses
adversaires utiliseront aussi des armes nucléaires.
L'équilibre des
puissances au Moyen-Orient s'est écroulé quand les États-Unis ont
porté une majorité chiite au gouvernement en Irak, lors des élections de
2006. Ce fut une erreur catastrophique. Rien ne pourra la réparer. Mais la
meilleure chose à faire ensuite et la meilleure alternative dans ces
circonstances, c'est tuer dans l'œuf les ambitions de l'Iran et renforcer les
états sunnites conservateurs, seuls remparts contre le chaos. Je continue à
croire, et je l'ai soutenu depuis 2005, qu'une frappe américaine préventive sur
les installations nucléaires de l'Iran serait la meilleure initiative à
prendre.
Titre original : Some wars should be prevented, and some wars shouldbe preempted
Auteur :David P. Goldman, Asia Times, 6 avril 2015
Publication: Asia Times, le 6 avril 2015
Traduction: Jean-Pierre Bensimon
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