jeudi 30 avril 2015

Il y a des guerres que l'on doit empêcher, et d'autres qu'il faut déclencher à titre préventif

Les risques irréversibles de l'accord Obama avec l'Iran : la contribution de David P Goldman




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La plupart des guerres du passé auraient été beaucoup moins sanglantes si elles avaient commencé plus tôt. C'est particulièrement vrai pour la première guerre mondiale: l'Allemagne aurait pu lancer une attaque préventive sur la France pendant la première crise du Maroc de 1905, avant la signature de l'entente cordiale entre la Grande-Bretagne et la France, alors que la Russie était mobilisée par une rébellion intérieure. Le résultat aurait été une répétition de la guerre entre la France et la Prusse de 1870 au lieu de l'atroce guerre d'usure qui a conduit à la quasi ruine la civilisation occidentale. Quand le Kaiser Wilhelm II, un homme hésitant, rejeta le conseil de son chef d'état-major et fit le choix de rester en paix, ce fut en fait une tragédie. Je ne veux pas donner un avantage moral à l'Allemagne de Wilhem, mais affirmer simplement que la victoire rapide de l'une des parties aurait été préférable à ce qui a suivi. Soutenir que la Grande-Bretagne et la France aurait dû se préparer à la guerre avec l'Allemagne et prévenir les ambitions d'Hitler dès la réoccupation de la Rhénanie en 1936, ne prête pas à controverse.

L'Occident aime penser qu'il a atteint un haut niveau de rationalité après les grandes effusions de sang de son passé - les deux guerres mondiales du dernier siècle, les guerres napoléoniennes du XIXe siècle, et la guerre de 30 ans du XVIIe siècle. C'est une illusion auto réconfortante : il n'est pas plus rationnel, mais il donne seulement des signes d'affaiblissement. C'est confondre le manque d'intérêt pour l'avenir avec la modération. L'aveuglement délibéré sur le passé nous aveugle sur la nature des combats à venir au Moyen-Orient. En 1914, l'Europe connaissait une prospérité sans précédent. Un réseau de relations commerciales reliait entre elles toutes les nations européennes au sein d'une entité économique unique. Les peuples d'Europe avaient moins à craindre la famine, les maladies ou les violences domestiques, moins que tous les peuples de l'histoire humaine qui les avaient précédés. De plus, les monarchies européennes entretenaient des relations familiales plus étroites qu'à aucune période du passé. Néanmoins, les Européens choisirent de renoncer à leur prospérité et de se sacrifier en nombre inimaginable aujourd'hui. Pourquoi ? Parce que chaque nation croyait être la Nation Élue comme je l'ai expliqué en 2011 dans mon ouvrage  Comment les civilisations disparaissent.

Francesco Sisci soutient que le développement économique du continent eurasien, sous l'influence stimulante du programme chinois « Une région une route,» peut représenter une importante force de paix. Ce point de vue a été aussi exprimé par l'envoyé spécial de la Chine pour le Moyen-Orient, Gong Xiaosheng. La question à laquelle il faut répondre, c'est pourquoi la prospérité et l'interdépendance économique de l'Europe n'est pas parvenue à faire obstacle au déclenchement de la première guerre mondiale. La conception du monde de la Chine est rationnelle, mais la rationalité est un défaut : les Chinois, qui ont créé une civilisation qui a perduré pendant des milliers d'années en intégrant des peuples différents et en supprimant les différences ethniques, ne parviennent pas à mesurer à quel point les barbares étrangers à leur civilisation peuvent se comporter de façon irrationnelle. J'ai soutenu en 2013 qu'il y avait une voie pour une Pax Sinica au Moyen-Orient, mais que cela exigeait une utilisation calculée de l'influence chinoise pour faire comprendre aux Iraniens les risques induits par leur comportement. La Chine s'est concentrée sur la diplomatie économique, et elle a remporté un brillant succès avec la Banque asiatique d'Investissement dans les Infrastructures, mais je ne vois pas d'effort équivalent de sa part dans le domaine de la diplomatie stratégique.

Des guerres se produiront, qu'on le veuille ou non. Elle prendront racine et grandiront sur le socle de l'identité nationale. J'ai écrit qu'au bout du compte, les nations de l'Europe se livrèrent la bataille de la première guerre mondiale dans un effort futile pour éviter de devenir ce qu'elles sont aujourd'hui, au moment du 100ème anniversaire du déclenchement de ce cataclysme. "Les hommes ne connaissent pas la mesure. Nous ne sommes pas aussi différents  de nos pères que nous aimons à le penser. Les Européens d'aujourd'hui, infantiles et hédonistes, sont identiques à ceux qui combattirent et moururent par millions pour le roi ou le pays en 1618 et en 1914. Si on donne de la valeur à la vie, on donne de la valeur à la mort pour elle. Si nous pensons qu'il n'y a pas de cause qui vaille que l'on meure pour elle, nous voulons dire aussi qu'il n'y a rien qui vaille que l'on vive - comme c'est le cas des Européens d'aujourd'hui. L'Europe a appris de son histoire que le sang et le sol, la Culture et la Grandeur, ne méritaient pas l'effort de se battre. Mais l'Europe ne trouve pas de raison de vivre après avoir renoncé aux divinités nationales de son violent passé. Elle est en train de mourir d'ennui et de débilité, écœurée de son passé et indifférente à son avenir, peu encline à mettre au monde assez d'enfants pour assurer sa survie au siècle prochain.

L'Iran n'a pas encore appris cette leçon, et il ne veut l'envisager qu'à l'aune des nations d'Europe au siècle précédent. Peut-être les ayatollahs s'inscrivent-ils dans un scenario apocalyptique qui conduira finalement à la destruction mutuelle dans une guerre nucléaire avec Israël ou avec l'un de leurs voisins sunnites. J'en doute et je ne pense pas que la question soit importante. La position de l'Iran aujourd'hui au Moyen-Orient est semblable à celle de la France démocratique en 1914: un pouvoir impatient avec de grande ambitions, à la veille d'un déclin démographique, qui a une dernière chance à sa main d'établir sa domination dans la région. Les populations allemande et française étaient à peu près égales au moment du déclenchement de la guerre entre la France et la Prusse de 1870; en 1913, celle de l'Allemagne avait augmenté de 70% tandis que la France stagnait, probablement parce qu'elle avait été le premier pays laïc.

L'historiographie anglo-saxonne a longtemps accusé l'Allemagne d'être responsable de la première guerre mondiale, une condamnation facile devant le tribunal de l'histoire vu sa culpabilité lors de la seconde. Christopher Clark a désormais montré dans son livre à succès « Les somnambules » que la mobilisation de la Russie a forcé la main à l'Allemagne. Si l'on en croit les mémoires de l'ambassadeur français à Saint-Saint-Pétersbourg, Maurice Paléologue, la France a poussé le tsar à la guerre. Les quatre cinquièmes de la classe d'âge mobilisable par la France étaient déjà sous les drapeaux huit mois avant le déclenchement de la guerre, contre seulement la moitié en l'Allemagne. Une guerre d'usure avait déjà commencé; la France avait besoin d'une décision rapide parce qu'à la différence de l'Allemagne elle ne pouvait pas soutenir le coût d'une mobilisation indéfinie.

Du point de vue démographique, l'Iran est dans une position comparable à celle de la France en 1914 : sa population en âge de porter les armes représente à peu près la moitié de celles des trois plus importants états sunnites combinées (Pakistan, Turquie et Égypte). En 2020, le ratio sera passé à un pour quatre à cause de l'effondrement de la fécondité de l'Iran de 7 enfants par femme en 1979 à seulement 1,6 en 2012. Ses 125.000 Gardes révolutionnaires constituent la force combattante la plus efficace de la région après le renversement du régime de Saddam Hussein en Irak. Bien que l'Iran soit dépourvu d'une force aérienne moderne, il est la première puissance au sol dans le Levant. La nouvelle coalition sunnite montée par l'Arabie Saoudite est une tentative de réponse aux dégâts causés par l'Iran au Yémen et ailleurs. Mais les sunnites sont divisés et ils sont loin d'agir de concert. Le Pakistan est trop occupé avec l'Inde et ses extrémistes de l'intérieur pour engager des soldats dans des aventures à l'étranger ; la Turquie ne désire pas s'impliquer pour le compte du leadership saoudien dans la région. La force de l'Iran sera à son maximum dans les quelques années à venir, surtout si la levée des sanctions lui donne les moyens de financement et l'autorité nécessaires pour moderniser ses forces armées.



Je ne soutiens pas l'idée que le bellicisme est une fonction mécanique de la démographie. Ce qu'il faut souligner plutôt, c'est que tous les facteurs qui ont contribué aux hostilités en Europe en 1914 et plus encore à l'agression allemande de 1939, s'appliquent a fortiori à l'Iran : le messianisme national, le sentiment d'une injustice historique, la volonté de sacrifier un grand nombre de vies, le mépris pour l'humanité des états voisins, et par-dessus tout, la perception totalement rationnelle que le temps s'écoule et que dans la guerre inévitable avec les états voisins, il deviendra impossible de vaincre à une échéance pas très éloignée.

Même si l'accord prévu avec l'Iran permet effectivement d'interrompre le développement de ses armes nucléaires - ce qui est à mon avis un résultat improbable - il donnera à l'Iran les ressources voulues pour préparer son règlement de compte final avec les sunnites, ce qui interviendra au bout du compte à une échelle terrifiante. Si les diplomates européens s'étaient bercés d'illusions dans leur tentative de maintenir l'équilibre des pouvoirs dans les années qui ont précédé la première guerre mondiale, les diplomates d'aujourd'hui serait fous de croire qu'un équilibre peut être établi entre l'Iran et ses voisins sunnites. La guerre est déjà présente en Syrie, en Irak, au Yémen, en Somalie, au Liban et en Libye. La guerre n'est pas un choix. C'est un événement. Si l'Iran venait à triompher à relativement court terme, la revanche sunnite qui suivrait serait d'autant plus terrible. La génération suivante, un tiers des Iraniens aura plus de 60 ans. Pour la première fois dans toute l'histoire, un pays pauvre portera une charge aussi énorme de vieillards dépendants. Les populations plus jeunes de ses voisins sunnites les écraseront. En histoire, il faudra revenir avant la guerre de 30 ans, peut-être à Tamerlan, pour se faire une idée du carnage que cela causera. Si l'Iran aura des armes nucléaires, elles seront utilisées et ses adversaires utiliseront aussi des armes nucléaires.


L'équilibre des puissances au Moyen-Orient s'est écroulé quand les États-Unis ont porté une majorité chiite au gouvernement en Irak, lors des élections de 2006. Ce fut une erreur catastrophique. Rien ne pourra la réparer. Mais la meilleure chose à faire ensuite et la meilleure alternative dans ces circonstances, c'est tuer dans l'œuf les ambitions de l'Iran et renforcer les états sunnites conservateurs, seuls remparts contre le chaos. Je continue à croire, et je l'ai soutenu depuis 2005, qu'une frappe américaine préventive sur les installations nucléaires de l'Iran serait la meilleure initiative à prendre.

Auteur :David P. Goldman, Asia Times, 6 avril  2015 
PublicationAsia Times, le 6 avril  2015
Traduction: Jean-Pierre Bensimon

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