François Hollande n'est sans doute pas le président le plus rayonnant de la Vème République si l'on se réfère à son bilan, à sa popularité ou à son autorité. Il est par contre l'un des plus experts dans l'art de berner ses adversaires et de rafler la mise avec des jetons troués.
Il est parvenu à transformer la terrible boucherie commise par une poignée de djihadistes au centre de Paris vendredi dernier, une catastrophe qui entachera à jamais son quinquennat, en un tremplin inespéré pour la présidentielle de 2017.
La France a connu depuis Merah en mars 2012, un cycle d'attentats sauvages qui a culminé en janvier dernier avec les équipées des frères Kouachi et de Coulibaly au prix de 17 morts et d'une vingtaine de blessés. Le président et son premier ministre s'étaient alors répandus en déclarations martiales sur la guerre qui nous était imposée et en assurances sur leur détermination à tout faire pour éviter un nouveau carnage. Le bilan de la nuit du 13 novembre a été de 129 morts et de 352 blessés en progression hyperbolique sur le précédent pic de janvier.
Tout a-t-il était fait? Non rien, ou quasiment rien.
A la page 1 de l’abécédaire de la stratégie il est écrit que la première action à mener pour affaiblir l'ennemi consiste à restreindre autant que possible sa mobilité. Dans l'affaire qui nous occupe, il fallait donc établir un contrôle strict aux frontières, au moins à la frontière avec la Belgique zone de résidence ou de transit des nids de djihad d'Europe du Nord. Rien n'a été fait, au nom de Schengen et de l'Europe, alors qu'aujourd'hui ni Schengen ni l'Europe n'interdisent le filtrage des mouvements sur de longues périodes s'ils sont motivés par la sécurité. C'était donc possible avant le 13 novembre.
La seconde mesure que l'on devait attendre était le désarmement, ou au moins la tentative de désarmement, des banlieues et des autres repaires où chacun sait que les armes de guerre grouillent en France. Au lieu d'organiser le ratissage aléatoire et exhaustif des zones de non droit par des opérations combinées police-gendarmerie-armée, on a détourné pudiquement les yeux pour ne pas voir à quel point les fonctions régaliennes de l'État et les valeurs de la nation étaient tous les jours piétinées. Et voila qu'aujourd'hui, après le massacre, les perquisitions s'abattent par vagues dans les territoires perdus. Elles étaient donc possibles, dès janvier dernier. Rien n'a été fait alors.
Au lieu d'adopter une posture agressive, la seule susceptible de compliquer la vie des tueurs en attente du passage à l'action, la seule capable aussi d'élever le moral de toutes les forces qui garantissent la souveraineté de la nation, on a transformé des milliers de militaires en plantons, à des fins exclusives de communication. Ce déploiement avait pour seule objet de témoigner de la mobilisation de l'État, mais c'était un leurre et les Français l'ont vite compris. Trois militaires, engourdis par l'inaction devant un lieu de culte, auraient été balayés en quelques seconde sous les rafales soudaines d'un petit commando mobile à l'image du 13 novembre. Vigipirate aura été pour 90% une mystification destinée à masquer l'immobilisme congénital du président.
La troisième action indispensable était l'élimination des sources de diffusion de cette idéologie meurtrière que nous connaissons bien, qui transforme des jeunes en perte de repères en machines à tuer. Il fallait entamer une chasse impitoyable aux prédicateurs et à leurs commanditaires, sans s'embarrasser de procédures excessives eu égard à la toxicité immense et à l'efficacité de leurs techniques. Quarante imams ont bien été expulsés ce qui est une goutte d'eau dans l'océan. François Hollande a choisi de réserver son impitoyable fermeté aux opposants au mariage pour tous.
Un dernier paramètre a hautement contribué à paralyser la lutte de notre société contre la terreur djiahadiste. C'est la démoralisation des forces de l'ordre. Leur travail est très difficile et horriblement dangereux dans le contexte de cette France ethniquement divisée et appauvrie que nous ont léguée les alternances depuis les années 60, de ces pouvoirs avides de supranationalité et apôtres d'un culte dévoyé des droits de l'homme. L'effort de la police et de la gendarmerie s'est systématiquement heurté au mur des générations d'idéologues régissant la Justice que l'École de la Magistrature et de nombreux Instituts d'Études juridiques ont formaté pendant des décennies. La caricature nous en est fournie aujourd'hui par le Syndicat de la magistrature et l'inénarrable personnage de Christine Taubira, à qui le président tient tant. Dans un tel contexte, la productivité du travail de police relève du sacerdoce. Autant de providences dont s'est régalé le djihad.
Avec un tel bilan d'action, et 129 morts et 352 blessés dans la besace, le président de la République est quand même parvenu à se poser en Père de la Nation. Dans le cadre somptueux du château de Versailles, devant les sénateurs et les députés de la République toutes opinions confondues, il est parvenu à recevoir les applaudissements de la grande assemblée, debout pour l'ovation. Dûment retransmis par la télévision. Le spectacle des applaudissements avait été précédé par le spectacle de l'arrivée en majesté. Dûment retransmis par la télévision. Le président arrivait par une grande galerie du château, salué par deux rangs de Gardes républicains en grande tenue, sabre au clair. L'homme, qui restera à jamais comme le scootériste casqué de la rue du Cirque, le grand chancelier du chômage de masse, et le martyr des sondages d'opinion, paradait avec l'allure de détermination et de sobriété qui sied au grand politique debout devant l'Histoire.
C'est que l'opposition ne lui avait pas beaucoup compliqué la tâche. Juppé, Fillon, Vigier, sont tombés la tête la première dans "l'unité nationale," un peu moins Sarkozy qui a eu l'habileté de la conditionner d'emblée. Comme si la France n'avait pas mené des guerres, des guerres terribles, au Vietnam ou en Algérie, dans l'affrontement politique. Comme si le lion Churchill n'avait pas dû ferrailler toute la guerre, et quelle guerre, avec son opposition.
Ligotée par "l'unité nationale", incapable de percevoir la révolte et l'amertume de la population, appâtée par "l'ouverture" du président pour ses propositions (qu'il oubliera vite) l'opposition a tenu le petit rôle qui lui était réservé dans le grand plan de communication présidentiel. Le président va voir sans doute sa côte sondagière s'envoler. Il est même parvenu à redorer l'image chancelante de Sarkozy au détriment de ses concurrents républicains. Car il n'a pas perdu de vue que dans la compétition électorale de 2017, Sarkozy est le meilleur challenger qu'il puisse espérer.
Pendant que ce beau monde poursuivait ses calculs, les familles enterraient leurs enfants adorés dont la disparition aurait peut-être été évitable, au moins pour une partie d'entre eux.
Jean-Pierre Bensimon
Le 17 novembre 2015
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