mercredi 16 décembre 2015

Il faut appeler le terrorisme islamique par son nom

Fermer les yeux sur la doctrine religieuse à l'origine de cette menace est à la fois déraisonnable et dangereux.


En 1983, j'étais le Procureur des États-Unis à New York. J'avais utilisé le mot "mafia" pour désigner des personnes que nous avions arrêtées et présentées à la justice. La Ligue italienne pour les droits civiques en Amérique, qui avait été fondée par Joe Colombo, l'un des chefs des cinq familles les plus connues de New York, et quelques groupes similaires se plaignirent, au prétexte qu'en utilisant ce terme j'avais diffamé tous les Italiens. En fait, j'avais violé une règle du Département de la Justice interdisant aux procureurs américains d'utiliser le terme mafia. Cette règle peu connue avait été introduite par le Procureur général John Mitchell au début des années 70, sur l'ordre de Mario Biaggi, un membre du Congrès élu à New York.

J'avais une vision différente de l'utilisation du terme mafia. Il reflétait la réalité. La mafia existait, et nier ce que tous les gens opprimés par ces criminels savaient, ne faisait qu'étendre davantage son pouvoir. Cette réticence à identifier l'ennemi de façon précise et honnête -"mafia " était le terme utilisé par ses membres pour se décrire eux-mêmes et affirmer leur identité italienne ou italo-américaine- donnait l'impression que le gouvernement était incapable de la combattre puisqu'il ne parvenait même pas à décrire correctement l'ennemi.

De même, vous pouvez entendre parler alternativement d'ISIS ou d'ISIL ou de Daech, mais ne vous fourvoyez pas : les terroristes s’affirment eux-mêmes comme membres de l'État islamique. Il aurait été stupide de ne pas utiliser le terme de mafia pour ses membres ou de masquer leur identité italienne. Il est tout aussi stupide de refuser d'appeler ces terroristes islamiques par le nom qu'ils se donnent eux-mêmes, ou de nier leur logique fondamentalement religieuse.

Oui, il est essentiel de souligner pour l'opinion la distinction entre l'islam et les terroristes islamiques. On a appris à faire de mieux  en mieux le distinguo aux États-Unis, au moins depuis le 11 septembre. Je me souviens qu'au cours de mon dernier point de presse sur ce jour horrible, j'avais demandé avec insistance aux habitants de New York de ne pas utiliser ces attentats barbares pour délivrer un blâme collectif à un groupe. Car ce faisant, on aurait reproduit le mode de pensée des terroristes. Le président George W Bush et le gouverneur de New York George Pataki lancèrent des appels similaires, et le peuple américain accepta cette façon de voir à une majorité écrasante. C'est toujours le cas. Il sait que ces attaques sont le fait de gens qui donnent une interprétation déformée et maléfique de la religion islamique.

Cependant, il est tout aussi essentiel de reconnaître que ces terroristes utilisent effectivement des passages des textes islamiques pour prétendre qu'ils massacrent au nom de leur foi, dans le but d'assurer sa propagation. Malheureusement, cette confusion entre la religion et ceux qui en pervertissent la signification est systématique. Elle règne dans l'administration Obama et dans les discours de grands dirigeants qui emploient des euphémismes ou des termes inappropriés pour qualifier le terrorisme islamique. Ils font en sorte que l'on ne puisse établir aucun lien entre les actes de terrorisme et l'interprétation terroriste des enseignements de la charia.

Par exemple, il était et il demeure ridicule de la part de l'Administration de qualifier l'attentat de Nidal Hassan dans la base militaire de Fort Hood au Texas en 2009, de "violences sur les lieux de travail," en particulier quand on sait qu'il hurlait "Allahou Akhbar" au moment où il commettait ses crimes. De même, l'administration a hésité à parler de terrorisme  pour l'attentat de San Bernardino de la semaine dernière, encore moins de terrorisme islamique, alors que toutes les preuves indiquaient clairement la nature de cet acte.

Cette incapacité de parler sans mettre de gants du terrorisme islamique ouvre la porte à des généralisations qui peuvent fourvoyer le débat dans une direction totalement contre-productive. L'idée d'exclure tous les musulmans est impossible à appliquer et sa légalité douteuse. Elle va bientôt se dissiper. Mais il est clair que le refus de l'administration Obama de reconnaître la nature du terrorisme islamique ne changera jamais. C'est plus que ridicule. C'est dangereux.

Enquêter sur de grandes organisations criminelles aux multiples facettes comme la mafia, ou faire la guerre à des organisations terroristes tout aussi complexes impose de bien comprendre leur logique propre. En rendant politiquement incorrecte l'utilisation d'une qualification pertinente, on rend plus difficile l'identification des connexions qui permettent à ces groupes de proliférer.

Le refus de reconnaître le lien entre le terrorisme et l'islam peut aussi contribuer à faire des erreurs. Nidal Hassan avait été promu jusqu'au grade de Major, sur la proposition de ses supérieurs qui fermèrent les yeux sur les indices montrant qu'il était devenu un islamiste radical, dans la crainte d'être accusés de discrimination. La semaine dernière on a appris par des informations venues de San Bernardino qu'un voisin du couple terroriste avait observé dans les jours précédant l'attentat des comportements suspects, mais qu'il n'en avait pas fait état de peur d'être accusé de racisme.

Nous payons un prix élevé en termes de sécurité en nous prosternant sur l'autel du politiquement correct. Souvent, des bureaucraties nombreuses sont fortement influencées par les signaux que leur envoient leurs dirigeants ; le refus actuel de qualifier l'ennemi avec pertinence entrave l'application de la loi. Il empêche de caractériser correctement les comportements suspects et de procéder à des enquêtes. Plus tôt nous parlerons honnêtement du terrorisme islamique, plus vite nous détecterons les terroristes.

La réalité est là. Il y a des groupes de musulmans radicalisés qui isolent des parties des textes religieux du Coran et des Hadiths, et qui les interprètent comme des instructions à appliquer pour mener le djihad et imposer leur religion au monde entier. Selon eux, les Infidèles ont trois choix possibles : la conversion à l'islam, la soumission (le paiement d'un tribut), ou la mort. Pour ces extrémistes, tuer les Infidèles est une obligation religieuse qui leur donnera accès à une vie sensuelle et à des récompenses au Paradis.

Pour traiter ce problème, nous devons renforcer nos capacités de surveillance en restaurant certains chapitres du Patriot Act que le Congrès a annulés en juin. Nous devons établir une zone d'interdiction aérienne en Syrie pour que les réfugiés puissent rester sur place et ne viennent pas aux États-Unis. Notre enquête ratée sur Tashfeen Malik, l'un des deux tueurs de San Bernardino, lors de son arrivée aux États-Unis, est un exemple qui nous oblige à remanier la procédure dans le sens d'un approfondissement. En définitive, nous devons bien comprendre et reconnaître qu'une guerre terroriste islamique est menée contre nous et que nous avons le devoir de lui donner une réponse appropriée.

L'écrasante majorité des musulmans ne partagent pas cette version de leur foi. A l'image des adeptes des autres religions dont les racines plongent dans l'Antiquité, ces musulmans ne tiennent pas compte des chapitres barbares de leurs textes et de leur histoire. Il y a longtemps que le judaïsme a abrogé la lapidation pour adultère de l'Ancien Testament. Il y a longtemps que les Chrétiens ont mis fin aux Croisades, à l'Inquisition et aux pogroms. Nous devons encourager les dirigeants musulmans à montrer au monde que le terrorisme islamique n'est qu'une interprétation désuète et inhumaine de l'islam. Ces dirigeants doivent s'adresser avec des paroles fortes, quitte à dramatiser, aux centaines de millions de musulmans qui rendent un culte à un Dieu d'amour, pacifique et miséricordieux. Tous les Américains, et en particulier ceux qui travaillent dans les média peuvent y contribuer en encourageant les dirigeants musulmans qui vont de l'avant avec un message positif sur l'islam moderne.


Auteur : Rudolph W. Giuliani, ancien maire de New York

Publication : Wall Street Journal, le 10 décembre 2015

Traduction : Jean-Pierre Bensimon

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