vendredi 26 février 2016

Les conséquences du retrait américain du Moyen-Orient

Le retrait de l'Amérique du Moyen-Orient, voulu par Obama, laisse le champ libre à l'hégémonie de l'Iran, le premier soutien mondial du terrorisme selon les services de l'Oncle Sam. En toile de fond se profile le cauchemar de la prolifération nucléaire.


Résumé : le retrait américain du Moyen-Orient envoie un message de faiblesse. Il encourage les Iraniens dans leur recherche d'une hégémonie régionale. Celle-ci a été renforcée par l'accord nucléaire passé avec le groupe de pays appelé P5+1. Un risque accru de prolifération nucléaire est la conséquence la plus redoutable de la politique étrangère américaine actuelle dans la région. De plus, l'approche américaine actuelle a rendu possible l'arrivée des Russes dans la région, augmentant la puissance de l'axe radical conduit par l'Iran. Cela ouvre la voie à une "finlandisation" du Golfe persique et du pourtour de la mer Caspienne, marquant la domination de l'Iran. La faiblesse des États-Unis au Moyen-Orient aura nécessairement des répercussions dans d'autres parties du monde.

Sous la présidence de Barack Obama, les États-Unis ont affiché leur intention de réduire leur présence au Moyen-Orient. Les États-Unis ont fait deux guerres sans victoire dans la région, une leçon navrante illustrant les limites de leur puissance. Au même moment, leur dépendance de l'énergie du Moyen-Orient a été réduite par les progrès, sur leur sol, de la technologie de la fracturation hydraulique. De plus, Washington a décidé de "pivoter" en direction de la Chine, un concurrent planétaire qui est en train de s'installer; il a aussi effectué des coupes dans les budgets de défense qui ont réduit les moyens militaires disponibles pour une projection au Moyen-Orient. (Pendant un moment, au cours du mandat du président Obama, les États-Unis n'avaient pas de porte-avions en Méditerranée orientale ni dans le Golfe, une situation sans précédent.) Pour couronner le tout, la campagne de frappes américaines contre l'État islamique, extrêmement limitée, a obtenu de peu résultats.

Malheureusement, ce désengagement est un signe de lassitude et en même temps de faiblesse.

Washington a aussi évité la confrontation avec l'Iran et il a déployé beaucoup d'efforts pour  satisfaire ses volontés. La thèse de Obama était qu'en obtenant un accord nucléaire avec l'Iran il résoudrait l'une des grandes questions de sécurité en suspens de la région avant de quitter le bureau ovale. Cependant l'accord légitime de vastes infrastructures nucléaires en Iran, traitant par dessus la jambe les intérêts de sécurité les plus pressants d'au moins deux alliés des Américains : Israël et l'Arabie Saoudite. La levée consécutive des sanctions économiques internationales, sans aucune demande d'inflexion de la politique régionale iranienne en contrepartie, permet à l'Iran d'engranger gratuitement des bénéfices financiers imposants. La politique iranienne d'Obama a provoqué une modification radicale de l'équilibre régional des pouvoirs, sans que Washington en paraisse le moins du monde affecté.

Alors que la politique iranienne des États-Unis a consisté avant tout à prendre ses désirs pour des réalités, les inquiétudes des acteurs régionaux devant les ambitions hégémoniques de l'Iran ont décuplé suite à l'accord nucléaire. Si Washington prétend être certain que l'Iran jouera "un rôle responsable dans la région," les dirigeants d'Ankara, du Caire, de Jérusalem et de Riyad considèrent pour  leur part que les positions de l'Iran antérieures à l'accord sont presque intégralement identiques sur tous les sujets d'importance significative, alors qu'il peut désormais produire des bombes nucléaires à brève échéance.

La probabilité accrue de prolifération nucléaire est la conséquence la plus grave de la politique américaine de désengagement de la région. Les prétendants à l'hégémonie régionale comme l'Égypte, la Turquie et l'Arabie Saoudite ne resteront pas les bras croisés sur la scène des armes nucléaire, d'autant que les États-Unis ne sont plus considérés désormais comme une source de sécurité. Pour prévenir la prolifération nucléaire, convaincre les pouvoirs régionaux de s'abriter sous l'ombrelle nucléaire américaine, ne suffira probablement pas. L'apparition d'un Moyen-Orient nucléaire multipolaire, qui est la conséquence plausible de l'arrangement nucléaire des États-Unis avec l'Iran, sera un cauchemar stratégique pour tout le monde.

Cet Iran renforcé se dissimule traditionnellement derrière des faux-nez pour agir. Il ne se lance pas dans des conquêtes militaires directes. Il pourra intensifier ses campagnes de subversion de l'Arabie Saoudite, par exemple en jouant la carte chiite dans la province orientale riche en pétrole et à majorité chiite de l'Arabie. La perte de cette province affaiblirait considérablement l'État saoudien et pourrait même aboutir à sa désintégration.

L'Iran peut utiliser la subversion, les attaques terroristes et l'intimidation des États du Golfe pour mettre un terme à toute présence, déjà diminuée, des Américains dans cette zone stratégique. En l'absence d'une forte détermination de la part des Américains et d'une capacité de projeter des forces militaires, la puissance supérieure iranienne pourrait 'Finlandiser' les pays du golfe. Nous pourrions aussi assister à la Finlandisation du pourtour de la mer Caspienne, où l'Iran partage les côtes avec d'importants producteurs d'énergie comme l'Azerbaïdjan et le Turkménistan. La mer Caspienne et le Golfe persique forment une « ellipse de l'énergie » où se trouve une large part des ressources mondiales en énergie.

L'Azerbaïdjan et le Turkménistan craignent énormément la croissance de l'influence iranienne. Il est possible que ces pays, qui avaient réorienté leur politique étrangère dans un sens pro-occidental après la dissolution de l'Union soviétique, décident de retourner dans l'orbite des Russes puisque la Russie semble être aujourd'hui un allié plus fiable que les États-Unis.

La Russie est pleinement consciente de la réaffirmation possible de son rôle dans la région suite au retrait américain. À cette fin, il a pris la décision majeure d'une intervention militaire en Syrie pour assurer la survie du régime d'Assad. Le littoral de la Syrie est une base vitale pour une présence navale russe renforcée en Méditerranée orientale qui a commencé à s'affirmer avant la participation aérienne de Moscou à la guerre civile locale. De plus, la Russie désire protéger le potentiel énergétique dont dépend la survie du régime d'Assad. Elle a déjà signé des contrats d'exploration avec celui-ci, à la suite des récentes découvertes de gaz dans le bassin du Levant.

La Syrie est l'alliée de l'Iran depuis 1979, l'alliance la plus durable du Moyen-Orient. La préservation du régime d'Assad est d'une importance critique pour les intérêts iraniens car il joue un rôle de pivot pour son agent local, le Hezbollah du Liban. L'action de la Russie au bénéfice d'Assad sert donc directement les intérêts du régime iranien. Si elle réussit, ses efforts renforceront l'influence de l'Iran dans la région.

En dehors de la Syrie, on peut observer que l'Iran s'est joint à la Russie pour soutenir les ambitions politiques des Kurdes dans le but d'affaiblir la Turquie, le rival de l'Iran pour l'hégémonie régionale. Les Kurdes sont une épine dans le pied des Turcs. L'Iran et la Turquie soutiennent des camps rivaux dans la guerre civile en Syrie, où les Kurdes sont en train de se tailler des régions autonomes. Selon la façon dont la guerre évoluera, le rêve national kurde pourra bénéficier du vide créé par l'effondrement des structures étatiques arabes et la sortie des Américains de la région.

Il en est de même pour l'Égypte où l'hésitation des Américains quand il s'est agi de soutenir le régime d'Al Sissi, a précipité le Caire dans les mains des Russes. Les Russes vendent des armes à l'Égypte, ils négocient des droits portuaires à Alexandrie, et il vont lui fournir des réacteurs nucléaires. En Irak aussi, nous observons les signes avant-coureurs d'une présence russe en coordination avec l'Iran, au moment où l'influence américaine dans cet État décline régulièrement.

L'essor d'un Iran plus agressif, une conséquence directe du retrait américain, peut aboutir à une coopération tacite plus intense entre l'Égypte, la Jordanie, l'Arabie Saoudite, et Israël. La grande question est de savoir si la Turquie se joindra à cet alignement anti-iranien.

L'affaiblissement des États-Unis dans la région aura inévitablement un impact sur d'autres parties du monde. La crédibilité américaine est aujourd'hui sujette à caution, et leurs alliés devront déterminer indépendamment ce qu'il est sage de faire pour leur défense.


Publication : 24 février 2016, BESA Center Perspectives Paper No. 331

Auteur: Efraïm Inbar Efraïm Inbar est directeur du Centre d'études stratégiques Begin-Sadate; il est aussi professeur de science politiques à l'université Bar Ilan et membre de Middle East Forum

Traduction : Jean-Pierre Bensimon

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