jeudi 24 mars 2016

Ce que j'ai appris en tant qu'étudiant égyptien à Tel-Aviv, "chez l'ennemi"

Un jeune étudiant arabe en Israël découvre une société extraordinairement diverse et ouverte. Il souhaite faire tomber les murailles de la haine, condition d'un avenir positif.
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Les pressions anti-normalisation sont si fortes en Égypte qu'un député a été exclu du parlement pour avoir invité à dîner l'ambassadeur d'Israël. Mais alors qu'arrive-t-il quand un étudiant égyptien décide de faire des études en Israël ?

Haisam Hassanein



Ayant grandi en Égypte, je savais peu de choses sur Israël. Les seules sources d'information disponibles sur ce pays viennent de la TV, de l'école et des journaux. A la télé, la plupart des programmes sont des films d'espionnage ou des films de guerre. À l'école, on nous enseigne que notre terre a été conquise en 1967 et que nous avons réussi à la récupérer grâce à un effort héroïque au cours de la guerre de 1973. L'accord de paix israélo-égyptien qui a suivi est mentionné mais pas analysé en détail. Dans les journaux, les articles parlent souvent d'une grande conspiration sioniste organisée par les Israéliens et les Américains dans le but de créer le chaos et la division dans le monde arabe.

Aussi, dès mon arrivée en Israël, j'ai été surpris de ne pas trouver un seul Israélien qui fasse état d'un plan ou du désir de reprendre le Sinaï à l'Égypte, pas plus qu'une grande stratégie pour occuper l'espace entre le Nil et l'Euphrate. Dans mes échanges avec Israéliens, j'ai appris que la plupart d'entre eux étaient très satisfaits du traité de paix entre les deux pays et ne souhaitaient pas un retour aux jours de conflit et de guerre. Par contre, des Israéliens étaient navrés que les deux pays officiellement en paix depuis presque 37 ans, connaissaient toujours une paix froide.

À travers les questions politiques comme celle de savoir si Israël désire nous reprendre nos terres, la première qui vient à l'esprit, j'ai rapidement découvert que la politique n'était pas le point focal de nos conversations. J'ai réalisé que je ne savais pas grand-chose de mes interlocuteurs en tant qu'êtres humains et qu'ils partageaient le même sentiment. Je me suis donc intéressé davantage à eux comme individus, et mes connaissances antérieures m'ont énormément aidé sur ce plan.

La première chose qui m'a frappé concernant Israël, c'est qu'il n'était pas entièrement juif. Les Juifs constituent 80 % de la population, le reste étant composé de groupes minoritaires, des Arabes, des Druzes et des Bédouins. En ce qui concerne le segment juif du pays, dès qu'on découvrait que j'étais égyptien, on était pris immédiatement l'enthousiasme et on désirait engager la conversation. J'étais souvent invité à des dîners de shabbat, à des rassemblements politiques, à des jeux, et à toutes sortes d'événements sociaux. Je sentais qu'ils me considéraient comme un spécimen exotique, et nombre de mes amis juifs me demandaient de ne pas m'offusquer si de malentendus surgissaient, vu que c'était la première fois que nombre d'entre eux rencontraient un Égyptien. Au cours de ces rencontres, j'ai appris beaucoup de choses sur les Juifs, leur différences, et leurs identités.

Cela a commencé par des rencontres avec des Juifs qui venaient de faire leur alya (immigration en Israël). J'ai vu que certains d'entre eux étaient venus en Israël pour des raisons purement idéologiques, d'autres cherchaient de meilleures opportunités socio-économiques et les derniers fuyaient l'antisémitisme dans leur pays d'origine. J'en ai rencontré qui, bien qu'ayant grandi en pensant qu'un jour ils feraient leur alya et qui la firent finalement à l'âge adulte, durent lutter pour s'adapter à leur nouvel environnement après leur arrivée. Ainsi, certains décidèrent de maintenir leurs liens spirituels avec le judaïsme, mais firent le choix de quitter le pays. J'ai aussi rencontré des Israéliens qui étaient nés et avaient été élevés dans le pays, mais dont les parents étaient originaires de nombreux pays d'Europe, du Moyen-Orient, d'Amérique latine, et d'Afrique.

Un de mes meilleurs amis, un camarade de classe juif argentin, me raconta l'histoire de ses grands-parents qui avaient fui la Russie et la Pologne à cause de l'antisémitisme et de la pauvreté au début du XXe siècle. Il me raconta beaucoup de choses sur les divisions ethniques entre Juifs et comment il voyait en Israël un refuge.

J'ai développé des relations d'amitié avec des Juifs d'Orient qui m'ont raconté l'histoire de leurs grands-parents qui sont venus en Israël en provenance de pays arabes dans les années 40, à cause des persécutions. J'ai appris à quel point la transition dans la société Israélienne avaient été rude pour nombre d'entre eux, à cause des préjugés de la communauté ashkénaze à l'encontre les Juifs des pays arabes.

J'en ai rencontré d'autres qui me racontaient l'histoire de leurs parents qui avaient immigré en Israël à la fin des années 80, fuyant les persécutions de l'ancienne Union soviétique. Ils m'ont raconté à quel point la vie était difficile pour eux depuis leur arrivée en Israël, et comment malgré leurs compétences professionnelles et l'occupation d'emplois de haut standing en Union soviétique, ils n'avaient à présent pas d'autre choix qu'un emploi à très bas salaires.

J'ai aussi rencontré des Éthiopiens qui m'ont raconté l'histoire de leur famille qui souffrait depuis de nombreuses années des tourments de la guerre civile locale. Ils étaient reconnaissants à Israël d'avoir réussi à les transférer à la fin des années 80, mais en même temps ils étaient préoccupés par les luttes en cours de la communauté éthiopienne au sein de la société Israélienne d'aujourd'hui.

Après avoir fréquenté des Juifs pour la première fois et appris beaucoup de choses sur leurs différences et leurs identités, je me suis senti contraint d'étudier les populations minoritaires d'Israël, les Arabes musulmans et chrétiens, les Bédouins, et les Druzes.

Ma rencontre avec les Arabes israéliens a été intéressante à tous égards. Le fait de parler arabe comme un égyptien me différenciait des autres citoyens israéliens de langue arabe, et dans la plupart des cas cela me garantissait un accès direct au cœur des gens. Dès que je parlais, les Arabes reconnaissaient mon origine. Mon accent leur rappelait le cinéma égyptien, le Hollywood du monde arabe, ce qui m'assurait beaucoup de prestige et d'admiration. Je ne peux pas oublier le moment où je participais à une manifestation en faveur de la Liste arabe commune à l'université, lors des élections à la Knesset en mars dernier. Une des chansons qui avaient été reprises à la fin de la manifestation était égyptienne.

Au cours de nos discussions, ils me racontèrent l'histoire de la déchirure qui frappa leurs familles au cours de la guerre de 1948, et comment ces familles étaient dans l'impossibilité de retourner dans leurs anciennes maisons ou de la visiter jusqu'à aujourd'hui. Étant à la fois Palestiniens et citoyens d'Israël, ils me parlèrent de la crise d'identité face à laquelle ils étaient quotidiennement, avec toute la complexité inhérente à des loyautés et des émotions contradictoires. D'un côté ils étaient heureux de vivre dans un pays où ils jouissaient des libertés politiques et économiques, mais d'un autre côté ils déploraient le statut actuel de leurs familles dans la Bande Ouest du Jourdain, à Gaza et à Jérusalem. Ils me dirent aussi la difficulté qu'ils éprouvaient à s'identifier au drapeau israélien et à l'hymne national.

J'ai rencontré des Druzes qui servaient dans l'armée israélienne et qui étaient fiers de leur contribution à la société Israélienne. Ils m'expliquèrent qu'ils ne pensaient pas qu'il y avait là une immoralité ou une trahison des Arabes. Ils étaient nombreux à dire que depuis la naissance de l'État ils avaient été traités loyalement et en tant que minorité leur condition était bien meilleure que celle de tout autre groupe minoritaire au Moyen-Orient. D'un autre côté, les Druzes des Hauteurs du Golan se considèrent eux-mêmes comme Syriens et ils refusent d'entrer dans l'armée ou de recevoir la citoyenneté israélienne. Cependant, après les dramatiques événements qui viennent de secouer la Syrie, ils se réjouissent quelque peu de vivre sous souveraineté Israélienne. Bien que le nombre d'entre eux soient en désaccord avec les Druzes Israéliens sur la question du service dans l'armée, leurs relations sont assez bonnes.

J'ai rencontré des Bédouins qui m'ont parlé de leur expérience en Israël. Certains d'entre eux refusent de servir dans l'armée, d'autres pas. Ceux-là doive affronter une stigmatisation au sein de leur propre communauté. De plus, j'ai eu la chance d'apprendre beaucoup de choses sur leur lutte dans la société Israélienne sur les questions de la propriété de la terre, de l'urbanisation et des inégalités sociales.

Au cours de mon séjour en Israël, j'ai appris que la diversité ethnique se reflétait aussi dans le système politique. J'ai assisté à des élections dans le pays et j'ai participé à des rassemblements politiques juifs et arabes. J'ai vu mes amis Arabes israéliens voter dans la cité arabe de Nazareth. J'ai appris que le système politique Israéliens est hautement pluraliste. On y trouve une extrême gauche, un centre-gauche, un centre droit, des religieux ultra orthodoxes, des communistes arabes, des nationalistes arabes, des islamistes, et tous ceux qui rejettent l'existence de l'État, qui comptent des Arabes et des Juifs qui ne veulent pas du tout être impliqués dans le système politique.

Les échanges et les liens tissés avec des gens auxquels autrement je n'aurais jamais parlé est l'un des résultats les plus bénéfiques des études en Israël. Je pensais que les Juifs israéliens étaient un groupe homogène mais j'ai trouvé un haut niveau de diversité et une origine de partout dans le monde. Les Juifs ont un large éventail de provenance historique, de pratiques spirituelles, et de croyances politiques. Il y a une hétérogénéité du même ordre parmi les Arabes Israéliens.

Donc , en me rapprochant des Israéliens, j'ai appris que l'endoctrinement à la haine qui se transmet malheureusement de génération en génération est le véritable obstacle aux opportunités de paix.

En conséquence, la leçon cruciale est que les deux côtés doivent se rapprocher l'un de l'autre. Ne pas voir le côté humain de l'autre le déshumanise et permet l'apparition d'un état d'esprit justifiant les actes de violence. Mais en regardant et en affrontant "l'autre côté" on commence à douter des différences entre les uns et les autres.

Aussi, à un moment donné, j'espère que le cycle de la suspicion et de la haine prendra fin. L'histoire du Moyen-Orient est un récit tragique et édifiant que nous ne devons pas oublier. Ce dont la région a besoin, c'est d'un progrès réel. Elle a besoin de gens qui reconnaissent ce qui est positif et qui travaillent en vue d'un avenir plus collectif et plus inclusif.

" Ô hommes! Nous vous avons créés d'un mâle et d'une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d'entre vous, auprès d'Allah, est le plus pieux. Allah est certes Omniscient et Grand-Connaisseur." (Coran 49:13)


Auteur: Haisam Hassanein, étudiant americano-égyptien qui prépare actuellement un Master d'études moyen-orientales à l'université de Tel-Aviv

Première publication: 13 mars 2016 , Haaretz

Traduction: Jean-Pierre Bensimon

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