samedi 4 juin 2016

Les dilemmes d'Israël face aux Palestiniens

Jérusalem a renoncé à la recherche de la résolution du conflit israélo-palestinien à court terme, mais la stratégie alternative de gestion du conflit comporte aussi des difficultés.
Israël a graduellement réalisé que les Palestiniens ne sont pas des partenaires pour la paix et qu'ils ne sont pas capables non plus d'édifier un État viable. De fait, les derniers gouvernements d'Israël ont adopté une approche consistant à gérer le conflit plutôt qu'à le résoudre.

Cela soulève plusieurs questions. Israël doit-il parler explicitement de la faible probabilité d'une solution à deux États, ou s'aligner sur les préférences illusoires de la communauté internationale ? Israël doit-il utiliser davantage le «bâton» plutôt que la «carotte» vis-à-vis de l'Autorité palestinienne (AP), une entité hostile ? Un effondrement de l'AP servirait-il les intérêts d'Israël ? Et jusqu'à quel point la diplomatie d'Israël doit-elle prendre des initiatives concernant la question palestinienne ? Depuis le début de la vague terroriste, en septembre 2000, le corps politique israélien s'est progressivement résigné à l'absence de partenaires du côté palestinien, voulant parvenir à un compromis historique avec le Mouvement national juif (sionistes). Les espoirs de paix du processus d'Oslo de 1993 ont laissé place à la conviction douloureuse que ce violent conflit ne prendrait pas fin à brève échéance.

Pire encore, les messages hostiles à Israël répandus par le système éducatif de l'AP et ses médias officiels, laissent peu de doute sur l'antisémitisme rageur qui prévaut dans la société palestinienne, une assurance que le conflit avec les Juifs se poursuivra. L'hypothèse centrale du processus d'Oslo semble donc excessivement improbable. Selon cette hypothèse, la partition de la Terre d'Israël et la création d'une entité politique palestinienne (connue sous le nom de solution à deux États) devraient apporter la paix et la stabilité.

Hélas, ce modèle a été profondément discrédité.

Au-delà de l'idée que l'AP n'a probablement aucune intention d'accepter l'existence d'un État juif dans quelques frontières que ce soit, le fait est que les deux parties sont trop éloignées l'une de l'autre sur la plupart des questions concrètes pour aboutir à une solution. Par exemple, la demande palestinienne de contrôle du Mont du Temple ou le soi-disant « droit au retour » sont des obstacles insurmontables.

Toute tendance pragmatique apparaissant dans la sphère politique palestinienne est systématiquement mise en échec par le Hamas, dont l'influence croissante reflète l'importance de la vague islamiste qui est en train de recouvrir la région au sens large.

Pour aggraver encore les choses, l'hypothèse que les Palestiniens sont capables de créer un État dans les paramètres du modèle à deux États n'a jamais été validée.

L'AP est incapable de se débarrasser d'une multitude de milices, et elle a perdu Gaza au bénéfice du Hamas, ce qui reflète l'incapacité des sociétés arabes de la région de garantir la solidité des structures étatiques.

En définitive, les conflits prolongés ethno-religieux ne s'achèvent que si moins l'une des parties est lassée de faire la guerre et n'a plus l'énergie nécessaire pour poursuivre l'affrontement. Ce n'est vrai ni de la société israélienne ni de la société palestinienne.

C'est en fonction de ces réalités qu'Israël a abandonné dans les faits si ce n'est formellement, une stratégie de résolution du conflit à court terme. Il développe une stratégie patiente de gestion du conflit. Mais cette stratégie pose des difficultés politiques qui lui sont propres.

Le premier dilemme porte sur l'opportunité d'admettre ouvertement ou pas qu'Israël ne croit plus à des négociations conduisant à un accord durable à court terme.

La vérité a ses avantages, mais il y a beaucoup de gens dans le monde qui ne désirent pas entendre cette vérité particulière, et qui tiennent à conserver une formule inapplicable. Dans tous les cas, des choses doivent être dites pour répondre aux souhaits de la communauté internationale, et il faut continuer de participer aux négociations. Ce faisant, on envoie le message qu'Israël est prêt à faire des concessions. Cela maintient la cohésion sociale intérieure nécessaire pour mener le conflit prolongé (gestion du conflit) tout en projetant une image positive à l'étranger.

D'un autre côté, les négociations en vue de la coûteuse «solution à deux États» entretiennent l'illusion sur une formule impraticable et empêchent l'émergence d'idées neuves et de solutions alternatives. De plus, le «processus de paix» impose la modération, c'est-à-dire de se résigner devant les provocations palestiniennes et de restreindre les actions punitives.

Le second dilemme porte sur l'emploi de la carotte ou du bâton avec les Palestiniens.

En l'absence de négociations sérieuses, Israël -en particulier le premier ministre Benjamin Netanyahou- a soutenu la promotion d'une « paix économique » dans le cadre de la gestion du conflit, en partant de l'hypothèse qu'Israël a tout à perdre si ses voisins sont affamés.

C'est pourquoi l'État juif ne s'oppose pas à l'aide financière internationale à l'AP en dépit de la corruption et de l'inefficacité de cette dernière. Jérusalem fournit aussi de l'eau et de l'électricité à l'AP et à Gaza aux mains du Hamas, pour que ses voisins palestiniens ne sombrent pas dans un désespoir total.

Mais les carottes atténuent l'impact du bâton. Les Palestiniens ont engagé une guerre contre Israël, il faut le rappeler. Dans son principe, la guerre consiste à causer des dommages aux sociétés opposées, et ces blessures ont un effet de modération sur le comportement collectif. L'Égypte par exemple, a décidé de changer d'orientation vis-à-vis d'Israël parce qu'elle a été de plus en plus réticente à poursuivre un conflit coûteux.

Les Palestiniens ont choisi de conserver leurs objectifs et de continuer à causer des dommages à Israël, plutôt qu'accepter de généreuses offres de paix de Ehoud Barak (2000) et Ehoud Olmert (2007). Dès lors, Israël a le droit de les punir, dans l'espoir qu'un certain niveau de dommages influencera leurs choix futurs dans une direction productive. Mais, avec la stratégie de «paix économique,» Israël envoie aux Palestiniens un message défavorable à la modération. Il signale aussi qu'il ne croit plus à l'hypothèse d'un changement du comportement palestinien.

Le troisième dilemme implicite dans l'approche de gestion du conflit porte ce qu'il faut faire de l'AP, une entité hostile qui survit en grande partie grâce aux mesures de sécurité d'Israël et à son soutien économique. L'effondrement de l'AP est l'un des résultats possibles de la guerre de succession qui interviendra quand Mahmoud Abbas quittera l'arène politique.

L'intérêt d'un effondrement ou d'une préservation de l'AP est en débat. D'un côté, l'AP propage une haine vicieuse à l'endroit d'Israël à travers son système éducatif ; elle lance perpétuellement des campagnes internationales de délégitimation d'Israël, et elle nie les liens des Juifs avec la Terre d'Israël, en particulier avec Jérusalem. Elle glorifie les terroristes et en fait des modèles dans ses écoles. Elle cultive délibérément une hostilité qui entretient le conflit et bloque l'émergence d'un leadership palestinien plus pragmatique.

D'un autre côté, l'AP soulage opportunément Israël de la prise en charge de plus d'un million de Palestiniens vivant à l'Ouest du Jourdain. Les forces de sécurité de l'AP combattent l'influence locale du Hamas (beaucoup moins qu'on ne le dit). Bien qu'il soit imparfait, le fonctionnement de l'AP empêche la question palestinienne d'occuper la première place dans les préoccupations de la communauté internationale, ce qui est d'un très grand intérêt pour Israël. Le chaos résultant d'un effondrement total de l'AP pourrait déclencher une intervention internationale.

Israël doit prendre au compte une question supplémentaire concernant le niveau approprié d'initiative diplomatique sur la question palestinienne.

Il y a beaucoup de partisans d'une multiplication des initiatives diplomatiques pour empêcher que des plans défavorables ne soient mis sur la table par des acteurs de niveau mondial.

La nature de ces initiatives israéliennes n'est généralement pas limpide, mais l'activisme est une part intégrante de l'éthique sioniste israélienne et «la prise d'initiative» illustre le tempérament impatient des Israéliens.

D'un autre côté, une approche patiente du type «attendre et voir» donne à la partie adverse le temps de faire des fautes et permet à Israël de temporiser jusqu'à ce que l'environnement devienne plus favorable. Cette approche avait les faveurs de David Ben Gourion. Il croyait à l'utilité de gagner du temps pour construire un État plus fort, et d'attendre jusqu'à ce que les adversaires renoncent à leurs objectifs radicaux.

Chacun de ces choix conduit à une prise de risque politique. Les impératifs de sécurité existentiels à court terme compliquent les choix d'Israël, d'autant qu'il est un petit État. Même si ses dirigeants ont raison d'opter pour la gestion du conflit actuellement, ils sont dans une position peu enviable.


Auteur : Efraim Inbar, directeur du Centre d'études stratégiques Begin-Sadate et professeur émérite à l'université Bar Ilan

Date de première publication : 02 juin 2016 Jerusalem Post

Traduction : Jean-Pierre Bensimon

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire