mardi 10 janvier 2017

Alain Finkielkraut sur la résolution dite "anti-implantations" de l'ONU (2334)

Dans son interview dominicale du 9 janvier 2017, Alain Finkielkraut a montré soit qu'il ignore jusqu'à l'indécence les tenants et aboutissants du conflit israélo-palestinien, soit qu'il est imprégné de l'idéologie du courant historique juif antisioniste puis post-sioniste. Celui-ci a donné des coups de poignard dans le dos du projet sioniste tout au long de son histoire, en particulier dans les moments où l'Etat juif, futur ou présent, était en grand péril. C'est à cet exercice que s'est livré, consciemment ou pas, le philosophe que l'on a connu mieux inspiré. On trouvera ci-après le script quasi intégral de l'interview.

Le raisonnement de Finkielkraut s'ordonne autour de deux idées, épuisées à force d'être remâchées à l'infini par les adversaires d'Israël depuis au moins cinq décennies. D'un coté Israël poursuit une politique de colonisation et d'occupation de territoires "palestiniens" qui ne lui appartiennent pas. C'est est un obstacle central à l'émergence de la paix. D'autre part, colonisation et occupation sont source de la corruption morale de la société israélienne, dont les effets s'étalent dans l'actualité quotidienne.



La première idée conduit le philosophe-académicien à se féliciter sans réserves de la résolution de l'ONU du 23 décembre dernier

Ce texte accuse violemment Israël de bloquer la paix et de causer les pires avanies aux Palestiniens, saints et oints. Il édicte impérialement que les frontières du futur Etat palestinien sont les lignes de cessez-le-feu de 1967. Il taxe l'État juif de viol du droit international parce qu'il est présent par exemple au Kotel et dans la vieille ville de Jérusalem. Il jette les bases d'un système de contrôle international trimestriel d'Israël. 

Pour Finkielkraut, tout cela mérite une approbation "claire et immédiate." Le discours de John Kerry du 28 décembre suivant lui arrache des gémissements de félicité (1), ô misère de la philosophie, quand le gouvernement britannique lui-même le dénonce publiquement. Voila une vision de la situation politiquement correcte qui mériterait un haussement d'épaules si l'auteur n'était pas une supposée grande conscience de notre temps, inquiet dit-il "de l'unanimité contre Israël".

Il y a grossièrement deux modèles explicatifs du vieux conflit du Moyen-Orient. 

Le premier modèle est celui qui est servi à l'opinion occidentale par les "modérés" de Ramallah, dont les administrations Carter et Obama, à l'unisson avec les Européens coachés par la France, ont fait leur catéchisme. Il s'agit d'une conceptualisation "nationaliste" soigneusement ajustée pour coller à l'idéologie de culpabilité post-coloniale des anciens pouvoirs "blancs". Israël est un occupant qui humilie et prive les Palestiniens de leurs droits légitimes, et un colonisateur qui s'annexe en permanence de nouveaux territoires. Les irrépressibles "progrès de la colonisation" en sont l'illustration. En conséquence, Israël rencontre la résistance légitime d'un peuple opprimé, et la paix ne sortira des limbes que lorsque occupation et colonisation appartiendront au passé.

Le second modèle part de l'observation, à savoir que 1) les Palestiniens refusent toute solution de compromis, sous tous les régimes depuis au moins la commission Peel de 1937; 2) ils ont toujours répondu par la violence, le terrorisme et la guerre depuis au moins les pogroms de 1929; 3) ils refusent de négocier avec Israël depuis au moins  les accords d'Oslo de 1993-1995 (mais ces accords étaient-ils autre chose qu'un faux-semblant dans la tradition du traité d'Houdaybbya ?), malgré l'insistance du couple Obama-Kerry; 4) ils développent avec persévérance une stratégie de guerre sans fin par l'enseignement de la haine raciste de l'adversaire, le culte des héros terroristes, et la rémunération à vie des "martyrs" et de leurs familles; 5)  faute de victoire militaire à l'horizon, ils se sont lancés dans un 'mix' désormais traditionnel, un assaut diplomatique mondial mâtiné d'un certain niveau de violence terroriste, incitant les Occidentaux à exercer des pressions un jour létales sur l'État juif. 

Ce second modèle en conclut que si les responsables palestiniens en place refusent, de toutes leurs forces et de toute leur âme, un pouvoir non islamique sur une terre dominée naguère par l'islam, c'est qu'ils se conforment à la théologie islamique de la guerre. Dans ce projet de domination religieuse intégrale, les offensives (djihad) succèdent aux accalmies (houdna) dans un bras de fer éternel où le sabre (sseif) du combattant (moudjahid) comme la ruse (taqqia) terrasseront l'Infidèle (kafir), apporteront le butin (anfal), et étendront le domaine de la loi d'Allah (dar al-islam). Dans ce modèle, le recul est un encouragement au djihad, à la guerre, tandis que la vision froide associée à un rapport de force rigoureux rendent le calme possible. Et cela tant que les courants djihadistes contemporains seront là.

Il n'y a pas d'explication balancée, il n'a pas de responsabilités partagées, il n'y a pas de torts réciproques, il n'y a pas de facteurs multiples dans cette lutte sans fin. Si les Palestiniens mènent une guerre religieuse, s'ils obéissent à des instructions sacrées, si "la mort sur le sentier de Dieu est leur souhait ultime", Israël est bien face à l'assertion de Julien Freund : "c’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitiés. Du moment qu’il veut que vous soyez son ennemi, vous l’êtes." 

Quand Alain Finkielkraut émergera de sa torpeur, il se rendra peut-être compte que ses catégories molles, droits nationaux, occupation, colonies, humiliation, ont le pouvoir de conviction du cure-dents devant l'épée du djihad offensif, qu'il revête le sûfah ou le costume trois pièces. Dans l'alternative cruelle qui lui est imposée, si l'État juif recule, il ne survit pas.

La seconde idée, celle d'une corruption de la société israélienne induite par l'occupation

Cette banalité du post-sionisme recyclée par Finkielkraut, prenait un tour particulièrement odieux au moment du car-ramming de Jérusalem du début de l'année. L'attentat enlevait à Israël quatre jeunes officiers de vingt ans. Ce jour-là, Finkielkraut dénonçait à Paris "l'effet lentement corrupteur de l'occupation" illustré par l'attitude des Israéliens  concernant le soldat Elor Azaria, reconnu coupable par un tribunal militaire d'avoir fautivement tué un terroriste palestinien à terre. 

Ce n'est pas de la culpabilité d'Azaria que Finkielkraut s'indigne, puisqu'elle a été reconnue judiciarement, c'est de l'émotion ressentie par la société israélienne. Le car-ramming de Jérusalem a tué le 8 janvier quatre jeunes juifs. Le 20 décembre, le car-ramming de Berlin avait fait 12 morts et déclenché une immense émotion en Allemagne et en Europe. En proportion de la population allemande (80 millions) le car-ramming de Jérusalem eut un bilan équivalent à 40 morts en Allemagne. Pour Finkielkraut, l'émotion, l'amertume, les fantasmes de revanche doivent être bannis, les Juifs n'ont pas le droit de ressentir, et il a une théorie pour cela. 

Dans le fil qui dévoile une indifférence de granit, le philosophe reproche aux Israéliens avec des trémolos d'avoir délaissé leur "Dieu intransigeant" pour adorer "un Dieu désinhibiteur". Il leur demande de revenir à une religion "surmoïque" car le surmoi est leur gloire. Soyons concrets: Israël a été victime en 16 mois de 169 attaques au couteau et à la hache, de 126 tirs d'armes à feu, de 51 car-rammings, d'une attaque à la bombe, faisant 46 morts et 649 blessés. On trouvera ici la liste insoutenable de ces violences quotidiennes.

Y a-t-il eu des ratonnades, des équipées punitives en réponse? Néant. Des agressions caractérisées oui, mais moins nombreuses que les doigts d'une seule main. Alors que la vague de terreur a duré 16 mois, précédée de trois guerres de Gaza, précédées elles-même par plusieurs années de guerre des bombes humaines, dans les cafés, sur les marchés. 

Et voila un académicien-philosophe de Paris qui fait la leçon à ce peuple minuscule lacéré par le djihad, dont un tribunal condamne le soldat fautif, et il lui dit: convertissez-vous à la religion de l'inhibition et du surmoi, laissez-vous faire silencieusement. Peut-être connaîtra-t-il lui-même le châtiment de Raskolnikov dont Dostoïevski a fait le récit.

Jean-Pierre Bensimon
Janvier 2017

Note
1- Pour Finkielkraut "le texte [de John Kerry] est admirable. Il est long, il est d'un tact, d'une rigueur, tout à fait extraordinaires. Je pourrais en contresigner chaque ligne." Et la question de Kerry serait "remarquable de simplicité, de candeur et de profondeur à la fois."



Élisabeth Lévy: Alain Finkielkraut faites-vous partie de ceux qui pensent que ce texte ... est fondamentalement anti israélien ?

Finkielkraut:  Non ! Ma réponse est claire et immédiate... L'unanimité contre Israël m'inquiète toujours, mais il se trouve...que j'ai lu intégralement l'allocution prononcée par John Kerry pour expliquer justement le vote américain, ou plutôt le refus américain de mettre son veto à la résolution de l'ONU dont vous avez parlé. Ces remarques de John Kerry, ce texte, est admirable. Il est long, il est d'un tact, d'une rigueur, tout à fait extraordinaires. Je pourrais en contresigner chaque ligne.

Kerry rappelle que l'administration Obama a bloqué tous les efforts, et qui sont très nombreux, de délégitimation d'Israël. Il souligne l'ampleur du soutien militaire des États-Unis à Israël. Il dit que cet engagement a quelque chose de personnel pour lui… 

Il condamne dans le même texte le terrorisme palestinien. Il condamne dans le même texte le double langage de l'Autorité palestinienne. Il n'a pas de mots assez durs pour critiquer le Hamas qui au lieu d'assurer une vie décente aux habitants de Gaza détourne les matériaux de reconstruction pour bâtir des tunnels et menacer ainsi Israël d'attaques meurtrières contre des civils.

Il a joute que les colonies ne sont pas le seule cause ni même la première cause du conflit, mais il dit que les implantations qui se multiplient à l'Est de la barrière de sécurité n'ont pas pour but de renforcer la sécurité d'Israël. Elles alourdissent la fardeau sécuritaire qui pèse sur les épaules de Tsahal. Il dit que la seule solution viable pour Israël, c'est la solution à deux États. Un seul État, Israël à ce moment là a le choix. Il ne peut pas dans une solution à un État rester juif et démocratique en même temps.....

É. Lévy: Je voudrais vous soumettre juste un des arguments de Goldnadel dans Le Figaro. Il dit Attention, cette résolution ne fait aucune différence entre Jérusalem, le Mur des lamentations, et les Territoires qui ont été annexés en 67, donc essentiellement la Vieille Ville, et le reste de la Cisjordanie. Qu'est-ce que vous répondez à ça?

Finkielkraut: Je réponds que John Kerry fait la différence, c'est clair. Et il dit que ce n'est pas du tout la même chose. Mais Goldnadel a raison de dire que les quartiers de Gilo n'est pas une colonie, reste que ...

É. Lévy: Il dit que cette résolution alimente le révisionnisme palestinien, que tout de suite les Palestiniens ont d'ailleurs parlé du droit au retour

Finkielkraut: Là encore, sur le droit au retour, John Kerry est extrêmement clair… Il dit simplement qu'avec la multiplication des implantations, les Palestiniens vivent dans des enclaves séparées, ils sont sous occupation, et il pose cette question remarquable de simplicité, de candeur et de profondeur à la fois : «quel Israélien accepterait cela ? »… Évidemment le Hamas n'est pas un partenaire,... Évidemment le Hamas pourrait prendre le pouvoir en Cisjordanie, et je ne suis pas de ceux qui fuient les dures réalités de l'histoire dans des postures morales. L'angélisme n'est pas mon genre.

Mais quelques jours après le vote de cette résolution, le soldat d'Israélien qui a achevé un terroriste palestinien alors qu'il était à terre, ce soldat a été reconnu coupable par un tribunal militaire, il s'appelle Elor Azaria. Et vous vous souvenez que le chef d'état-major avait condamné son attitude, Gadi Eizenkat.

Eh bien il y a aujourd'hui des manifestations en Israël pour dénoncer ce jugement, des slogans du genre «Gadi prépare-toi, Itzak Rabin cherche un ami ». Voilà ce qu'on entend dire aujourd'hui en Israël…

É. Lévy: Comme dirait Mélenchon il y a des cons partout.

Finkielkraut : Oui il y a des cons partout, mais ce que l'on voit à travers ce genre d'attitude, à travers des sondages qui témoignent d'une solidarité forte d'une partie de la population israélienne vis-à-vis de ce soldat… Ce que l'on voit, c'est l'effet lentement corrupteur de l'occupation. Perte de repères moraux, érosion de certains principes fondamentaux de la décence commune, et si vous voulez on pourrait même parler d'un effondrement progressif du surmoi qui autant que ses exploits faisaient la gloire d'Israël. On parle du retour de la religion, du retour de la tradition.

Moi je vois au contraire apparaître le risque d'un remplacement de la religion surmoïque qui était celle des juifs,  par une religion nationale, d'un Dieu intransigeant par un Dieu désinhibiteur. Si vous voulez, un nouveau nihilisme auquel n'aurait pas du tout pensé Dostoïevski. Puisque Dieu existe, alors tous m'est permis, et cela, moi, me fait peur. ....Il y a encore des garde-fous en Israël, oui je crois ce genre d'attitude minoritaire, oui je crois que le slogan dont je vous ai parlé «Gadi, prépare-toi, Itzak Rabin cherche un ami » susciterait donc chez une majorité d'Israéliens des réactions d'effroi.

É. Lévy: Y compris les religieux, je vous invite à ne pas faire d'amalgame

Finkielkraut : Surtout religieux. Quand je parle d'un certain grignotage d'une religion surmoïque par une religion nationale, c'est cela que je voudrais indiquer. Je pense que même le président d'Israël, Rivlin, qui est un homme hostile à la solution de deux États a des critères moraux qui le conduiraient à s'indigner de ce genre de propos.  Il n'en reste pas moins que nous devons prendre conscience de cet effet corrupteur de l'occupation dont on va fêter bientôt le cinquantenaire. Ce statu quo doit être dénoncé, on doit tout faire pour en sortir. Les Israéliens n'y arriveront pas tout seuls. Je n'ai pas confiance forcément dans la partie palestinienne. Mais il est tout à fait légitime de leur demander [aux Israéliens] en preuve de bonne volonté, un arrêt au moins provisoire, un gel de sa colonisation pour que des négociations puissent reprendre.

É. Lévy: Vous pensez que la résolution de l'ONU n'est pas contre-productive ?

Finkielkraut : Non, non !

É. Lévy: Bien que Ban ki Moon ait dit que l'ONU était profondément anti-israélienne.

Finkielkraut : Non ! Il fait sans doute allusion à l'Assemblée générale, on sait le rôle effroyable du Conseil des Droits de l'homme… Là, il s'agit du Conseil de Sécurité, il s'agit de la décision américaine et Kerry, je le dis pour terminer, signale qu'il a eu des centaines d'heures de discussion avec Netanyahou pour essayer de le convaincre sans jamais aucun résultat, et cela est décourageant... 

1 commentaire:

  1. Finkelkraut est quelqu'un d'intelligent qui a une réflexion intellectuelle très intéressante et ouverte MAIS il lui reste encore et c'est très triste de grandes séquelles de son GAUCHISME SOIXANTEHUITARD
    qui malgré son âge et le retourd flagrand d'un antisémitismes "fier" et universelle semblent ne pas lui enlever les OEILLIERES DE SA JEUNESSE.
    Cette persistance de cette incroyable naïveté de sa jeunesse uniquememnt dirigée vers ISRAEL donc les Juifs m'attriste m'est très pénible
    Finkelkraut n'oublie jamais qu'il est Juif sauf quand il parle d'Israël c'est poignant et représentatif d'un certain nombre de Juifs
    qui ont pourtant une réflexion très riche
    L'histoire juive bégaie continuellement HL

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