L'Iran a bien l'intention de s'enraciner en Syrie et de déployer des bases le long du corridor terrestre qu'il met en place, passant par l'Irak et la Syrie en direction du Liban et de la Méditerranée. Un accord de cessez-le-feu entre les Etats-Unis, la Russie et la Jordanie signé en juillet dernier, devrait désormais s'appliquer. Or cet accord permet à l'Iran et à Al-Qaîda de menacer Israël et la Jordanie. Israël a posé des lignes rouges défensives qui pourraient le conduire à intervenir. Les Etats-unis comme l'Europe semblent observer passivement la montée d'un nouveau risque explosif dans cette région à la recherche de son équilibre. Ni les uns ni les autres ne seraient épargnés.(NdT)
Ce qu’il faut retenir : La «zone de désescalade» en Syrie négociée par les États-Unis, la Russie et la Jordanie menace les intérêts stratégiques des Américains et de leurs alliés. L'accord ne permet pas de contrôler l'Iran ni Al-Qaïda, malgré la diminution de la violence dans le sud-ouest de la Syrie. L'Iran continue de consolider sa présence à proximité des Hauteurs du Golan à travers un réseau de forces de supplétives, tout en conservant des positions importantes dans le sud de la Syrie. La Russie n’est ni vraiment désireuse, ni capable d'empêcher l'Iran de s'implanter définitivement dans le sud, contrairement aux assurances du président russe Vladimir Poutine. L’enracinement de l'Iran qui parait inéluctable menace Israël, ce qui augmente la probabilité d'une nouvelle réaction militaire de ce pays. De son coté, Al-Qaïda a profité du cessez-le-feu pour réduire son soutien aux groupes d'opposition non-djihadistes et renforcer sa présence le long de la frontière syro-jordanienne.
La «zone de désescalade» dans le sud de la Syrie permettra au final de préserver la présence à long terme de l'Iran au lieu de la réduire.
Les Etats-Unis, la Russie et la Jordanie se sont mis d’accord sur une Déclaration de principes pour la Syrie du Sud le 8 novembre dernier. On prévoit dans cet accord une "zone d'exclusion" qui oblige les forces étrangères – dont celles de l’Iran et du Hezbollah libanais – à se tenir de cinq à sept kilomètres au-delà d’une ligne de contact convenue. A son maximum, la zone tampon éloigne les forces étrangères jusqu'à une distance de trente kilomètres de la frontière syro-jordanienne et des Hauteurs du Golan. La zone d'exclusion a pour but de compléter la «zone de désescalade» préexistante dans le sud de la Syrie qui avait été négociée le 7 juillet. L'Iran avait néanmoins fixé des conditions pour préserver ses bases arrière dans le sud de la Syrie.
L'Iran et le Hezbollah libanais ont initialement retiré beaucoup de leurs forces étrangères des zones situées le long de la frontière syro-jordanienne après l'entrée en vigueur de la «zone de désescalade», le 9 juillet. Cependant, l'Iran a laissé derrière lui des groupes paramilitaires locaux amis et un petit nombre de combattants étrangers pour couvrir le terrain et recruter des groupes locaux non concernés par la zone d'exclusion, et parfaitement fidèles à l'Iran. Téhéran poursuit également son implantation à la périphérie de cette zone, ce qui place ses forces à moins d'une heure de route des Hauteurs du Golan.
Cette incapacité de la «zone de désescalade» de poser de sérieuses contraintes à l'Iran risque d'entraîner une nouvelle intervention d'Israël dans le pourtour des Hauteurs du Golan.
Benjamin Netanyahu et d'autres responsables israéliens ont exprimé leur inquiétude sur la nature de la zone d'exclusion dans le sud de la Syrie, soulignant que l'accord ne répond pas à leurs "demandes claires" d'interdire à l'Iran et à ses faux-nez l’accès au Golan. L'accord n'empêchera pas non plus Téhéran de créer une base militaire permanente en Syrie, une autre ligne rouge israélienne. L’Etat juif a aussi réaffirmé sa liberté d'action dans son face-à-face avec l'Iran en Syrie. Les responsables israéliens ont déclaré à plusieurs reprises que Téhéran risquait de franchir une ligne rouge qui contraindrait l'armée israélienne à entamer une action contre l'Iran et le Hezbollah libanais. Le Hezbollah libanais a fait savoir qu'il était prêt à une éventuelle escalade militaire. Selon certaines rumeurs, il aurait commencé à redéployer ses forces d'élite de Syrie vers le sud-Liban. L'incapacité des Etats-Unis à maîtriser l'Iran laisse le champ libre à un conflit entre Téhéran et Israël dans le sud de la Syrie, qui pourrait s'étendre au Liban-sud du fait de la crise politique ouverte par la démission du Premier ministre de ce pays.
Al-Qaïda a exploité la «zone de désescalade» pour développer des bases arrières durables le long de la frontière syro-jordanienne.
Hay'at Tahrir al Sham (HTS) est un groupe syrien affilié à Al-Qaïda. Il va tirer parti de la réduction du soutien extérieur accordé aux groupes d'opposition au régime anti-Bachar el-Assad pour étendre sa présence dans le sud de la Syrie.
L'administration Trump a publié des décisions visant à mettre fin à toutes les mesures d’assistance aux groupes d'opposition en Syrie d'ici décembre 2017. Cette suppression privera de salaire des milliers de combattants rebelles, au moment où dans le Sud-syrien, ces groupes d'opposition et leurs structures administratives luttent pour maintenir un minimum de sécurité et des infrastructures comme les prisons et les tribunaux. Hay'at Tahrir al Sham se positionne pour remplir ce vide administratif et militaire.
HTS a également repris ses opérations offensives dans le sud de la Syrie afin de renforcer sa légitimité au sein de l'opposition. Il se présente comme le garant de la poursuite de la révolution contre le régime d'Assad. Aux côtés d'autres factions de l'opposition, Hay'at Tahrir al Sham a temporairement brisé le siège de la ville pro-régime de Beit Jinn dans la banlieue ouest de Ghouta, à Damas, à proximité des Hauteurs du Golan. Cela s’est produit le 3 novembre après des affrontements donnant lieu à au moins un attentat-suicide.
L’instance opérationnelle commune qui menait l'offensive a vivement incité les groupes d'opposition à ne pas tenir compte de la «pression internationale» exigeant le respect de la «zone de désescalade». Elle leur a demandé de plutôt «rejoindre [leurs] frères» pour poursuivre la lutte contre Assad. Pendant ce temps, une récente recrudescence d’assassinats non revendiqués de commandants et de responsables administratifs de l’opposition pourrait être le signe d’une campagne active d'Al-Qaïda pour marginaliser les groupes soutenus par les États-Unis et la Jordanie dans le sud de la Syrie.
Hay'at Tahrir al Sham a utilisé des tactiques similaires pour éliminer ses concurrents potentiels dans la province d'Idlib depuis 2014. Al-Qaïda cherche finalement à renforcer son rôle dans les structures militaires conjointes, dans le soutien à l’administration locale. Elle exerce en même temps une violence ciblée contre les opposants résistants afin de mieux s’imposer dans l'opposition et édifier de nouvelles base pour le djihadisme salafiste le long de la frontière syro-jordanienne.
Carte de l'accord ci-dessous
Titre original : Southern Syria Deal fails to Constraint Iran, Al Qaeda:
Date de première publication : le 15 nov. 2017 in Institute for The Study of War ISW
Auteurs : Genevieve Casagrande, Patrick Hamon, et Bryan Amoroso
Traduction : Jean-Pierre Bensimon
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