Des incidents apparemment indépendants survenus au Moyen-Orient cette semaine, signalent ensemble l’implication de l’Iran dans une grande partie des troubles de la région. Ce pays s’avère être le soutien des forces chiites présentes du Pakistan à la Syrie. Et cette donne est peu susceptible de changer.
Cette semaine, quelques événements supposément indépendants les uns des autres se sont produits. Quand on les étudie de près, on comprend que les désordres qui submergent le Moyen-Orient vont se poursuivre.
D'un côté de la région, au Liban, le premier ministre Saad Harir a démissionné après s’être enfui en Arabie saoudite. Il s’est décidé in extremis, pour échapper à un assassinat du Hezbollah semblable à celui qui avait frappé son père Rafic Hariri. Certains accusent l'Arabie Saoudite d’avoir fait pression sur lui pour obtenir sa démission. Quelle que soit la raison, sa défection a jeté une lumière crue sur une réalité familière en Israël mais ignorée par le monde: le Hezbollah est le véritable détenteur de l’autorité au Liban.
Sur le papier, le Liban est membre des Nations Unies, mais en pratique, il n'y a pas «d'État libanais». Certes, le Liban a une constitution qui organise théoriquement les pouvoirs dans le pays. Mais pour les questions importantes, ce n'est ni l'administration ni le parlement qui décident, c'est le Hezbollah.
Le Hezbollah est la formation militaire la plus puissante au Liban, ce qui lui permet d’imposer sa volonté au reste de la population. En outre, il a une forte influence sur l'armée libanaise qui est censée lui servir de contrepoids. En réalité, l’armée libanaise ne se risquerait en aucun cas à un affrontement avec l'organisation chiite.
Sur les hauteurs du Golan, coté syrien, un drame a failli se produire quand on s’est aperçu que des forces rebelles menaçaient le village druze de Hader, resté fidèle au président syrien Bashar Assad. Certains de ses résidents semblent cependant avoir coopéré avec le Hezbollah contre Israël, dans le nord de ce secteur. Les Druzes, côté israélien, ne pouvaient pas laisser faire, et menaçaient de franchir la frontière pour aider leurs frères. Des voix similaires s’étaient élevées plus largement parmi les Druzes israéliens. L'armée israélienne a mené une intervention prudente qui a empêché un massacre, mais la question n'a pas été vraiment réglée. Cet incident rappelle que malgré les efforts de la Russie de parvenir à un cessez-le-feu en Syrie, et malgré l’affaiblissement des rebelles suite à l'accord conclu entre Assad, les Russes et les Iraniens, le feu couve toujours. Les rebelles sont toujours là, même si stratégiquement, leur destin semble scellé.
De grands espoirs, de grands défis
Pendant ce temps, une dure bataille se déroulait en coulisses en Arabie Saoudite, le refuge d’Hariri. Des échos en ont filtré cette semaine. On imaginait bien que le changement générationnel de la garde du palais - les fils et petit-fils du fondateur de la dynastie - ne se ferait pas pacifiquement. Cette prédiction semble se réaliser à présent. L'arrestation de hauts responsables de la famille royale saoudienne est un événement inhabituel qui révèle de sérieux conflits. Les pays où sévissent des dictatures utilisent depuis peu de nouveaux prétextes pour se débarrasser de leurs opposants : la lutte contre la corruption, laquelle est par ailleurs endémique.
Indépendamment des luttes internes pour le pouvoir, un missile a été tiré depuis le Yémen sur la capitale saoudienne de Riyad. Cet incident tactique a fait ressortir un problème stratégique. Jusqu'ici, l'Arabie saoudite essuie des échecs dans sa guerre contre les Houthis et leurs alliés iraniens au Yémen. Ces échecs au Yémen, situé juste à proximité, ont des conséquences directes sur la sécurité du royaume. Le fiasco de l’Arabie en Syrie, loin de ses frontières, lui remet en mémoire que dans sa lutte à grande échelle contre l'Iran, elle n’a pas remporté non plus beaucoup de succès.
L'Arabie Saoudite est à la croisée des chemins. L'espoir d'un changement positif sous la baguette du prince héritier Mohammed bin Salman est grand. Mais en même temps, les défis posés aujourd’hui en Arabie Saoudite et au-delà soulèvent beaucoup de questions sur la capacité du royaume à baser son existence, comme il l'a fait depuis sa fondation, sur une alliance entre la famille saoudienne et le courant wahhabite de l'Islam
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Plus près de nous, à Gaza, le Jihad islamique a construit son premier tunnel d'attaque contre Israël, qui a été mis à jour et détruit. L'organisation a perdu quelques-uns de ses chefs et a menacé de riposter, mais rien ne s’est produit au cours de la première semaine qui a suivi l'incident. L'événement lui-même, et ce qui a suivi, montre que le calme de la Bande de Gaza n’est pas dû à une décision des organisations terroristes de s’abstenir d’attaquer Israël. Elles continuent à se renforcer et quand l'ordre arrivera, ils mettront en œuvre leurs plans d’attaque d’Israël. Cependant, Gaza comprend très bien que tout conflit avec Israël se paiera d’un lourd tribut. C'est l'élément le plus décisif de la dissuasion israélienne, sans méconnaître les effets des pressions de l'Egypte et le désir du Hamas d’appliquer son accord de réconciliation avec l'Autorité palestinienne.
Les milices vont-elles modifier l'équilibre du pouvoir?
Les événements de Syrie et de Gaza portent la marque du long bras de l'Iran. Ce pays doit assumer la responsabilité du Liban, en tant qu'entité contrôlant le Hezbollah. Hariri s’est enfui en Arabie saoudite en prenant en compte les actions et les intentions de l'Iran. L'Iran a transféré des milices armées issues du monde chiite, en nombre bien supérieur à celui des sunnites qui ont rejoint l'État islamique. Hariri a apparemment compris qu'après l’installation réussie de l’Iran en Syrie avec l'aide de la Russie, la même chose allait arriver au Liban. L'Iran a également installé le Jihad islamique sans exercer un contrôle aussi étroit sur ce groupe que sur le Hezbollah. Le Jihad islamique est le principal instrument de l'Iran à Gaza.
Le fait que jusqu’à présent le Jihad islamique n'ait pas réagi au coup qu'Israël lui a assené montre à quel point le Hamas est fort, beaucoup plus fort que les autres groupes de Gaza. Cependant, le tunnel creusé, dont une partie a atteint Israël, prouve que, sous la férule du Hamas, le Jihad islamique a acquis des capacités qu'il n'avait pas dans le passé. Il est important de se souvenir de cela, maintenant que l’Egypte a réussi à forcer l'AP à s’imposer à Gaza en tant qu’autorité civile
Tous ces incidents amènent à la surface des vérités qui influencent le cours des événements au Moyen-Orient. Nous ne savons peut-être pas à quoi ressemblera la région dans quelques années, mais nous pouvons supposer que l'Iran continuera d'être une puissance dynamique. L'Iran continuera à édifier les bases de son pouvoir en Syrie. La réponse d'Israël indiquera clairement quel niveau il pourra atteindre, et on verra s'il construira des bases dans ce pays pour lui-même ou pour le Hezbollah.
Il y a aussi la question du déploiement des milliers de miliciens combattants, un facteur d’autant plus important en Syrie que le régime et ses alliés ont du mal à anéantir les forces de l'opposition. Il ne serait pas surprenant qu'un important contingent de miliciens s'installe au Liban et change l'équilibre du pouvoir en défaveur d’Israël, en modifiant la proportion du groupe chiite dans le tissu social fragmenté du Liban.
Il y a une autre question intéressante. Le Prince héritier parviendra-t-il à consolider son statut, à se débarrasser des éléments qui s'opposent à sa désignation comme roi, et à apporter les changements annoncés en Arabie saoudite? Sa compétence sur les questions intérieures déterminera sa force dans les affaires étrangères. Les résultats de la bataille entre l'Arabie saoudite, qui veut être à la tête des Arabes sunnites, et l'Iran, à la tête des chiites dans toute la région (et qui étend maintenant ses visées vers l'Est, vers le Pakistan et l'Afghanistan, où certaines milices ont été recrutées), décidera dans une large mesure de l'avenir du Moyen-Orient.
Titre original : The ones in charge
Auteur : Yaakov Amidor, major-général à la retraite, ancien chef du Conseil national de sécurité d'Israël et Conseiller du premier ministre pour la sécurité nationale
Date de première publication : 10 novembre 2017 in Israel Hayom
Traduction : Jean-Pierre Bensimon
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