mercredi 19 décembre 2001

Script des deux interventions d'Alain Finkielkraut du 10 décembre 2017



Alain Finkielkraut sur LCI le 10 décembre 2017 interviewé par Audrey Crespo-Mara
Audrey C-M : estimez-vous que le fait que Jérusalem soit reconnu comme capitale d'Israël mérite une guerre ?
Finkielkraut : le sionisme est un pragmatisme c'est-à-dire qu'on passe des compromis, que l'on tient compte des réalités… Je partage l'attachement à Israël de tous les juifs mais d'un autre côté la décision de Donald Trump me paraît catastrophique car elle risque d'embraser la région et d’empêcher les négociations entre palestiniens etbIsraéliens, d'empêcher leur reprise, elles sont déjà au point mort… Les Américains auraient dû procéder tout autrement.
Audrey C-M :  : cela s'embrase. Le Hamas appelle à une nouvelle intifada.
Finkielkraut : oui, le Hamas appelle à une nouvelle intifada, elle n'aura peut-être pas lieu, mais quand je vois que Netanyahou salue cela comme une décision historique, je suis effectivement très mécontent. Parce que d'un autre côté Netanyahou ne propose rien aux palestiniens. Il ne propose pas l'arrêt des implantations, pas même le démantèlement de certaines implantations à l'image de ce qu'avait fait Ariel Sharon pour Gaza, donc il les pousse au désespoir, il les pousse à l'extrémisme, et c'est à mes yeux très regrettable.
Audrey C-M  : le CRIF demande à Emmanuel Macron de s'aligner sur Trump. Est-ce qu’il ne sort pas de ses prérogatives religieuses en France pour s'occuper d'un problème territorial d'Israël ?
Finkielkraut : le CRIF n'est pas une organisation religieuse, mais en effet il me semble sortir de ses prérogatives et je ne suis pas sûr qu'il soit représentatif dans le monde juif. La plupart des juifs sont attachés à Israël, ils sont soucieux d'Israël, et ils sont conscients de la vulnérabilité d'Israël. Israël occupe en effet les territoires palestiniens mais en même temps il est menacé de mort notamment par l'Iran. Il n'en reste pas moins que tous les juifs ne sont pas d'accord avec la politique de Netanyahou et le CRIF, au lieu de demander à Macron de s'aligner sur Trump devrait, lui, ne pas s'aligner sur Netanyahou, sur le gouvernement d'Israël, parce que ces décisions peuvent et doivent être discutées.
Audrey C-M :  est-ce que cela n'est pas propre à faire monter l'antisémitisme en France ?
Finkielkraut : non je ne crois pas.
Audrey C-M :  je parle de la décision du Crif.
Finkielkraut : disons aujourd'hui, en effet, qu'il y a un nouvel antisémitisme qui prend prétexte de la situation faite aux Palestiniens pour molester voire attaquer des juifs, comme on l'a vu récemment à Livry-Gargan. Apparaissent aujourd'hui dans certaines banlieues des tags sur certaines maisons habitées par des juifs « Vive la Palestine, on va te faire la peau. » Le prétexte palestinien ne doit pas être accepté.
Audrey C-M :  et vous ne craignez pas que la décision de Trump et la prise de position du Crif fasse monter encore antisémitisme en France ?
Finkielkraut : il est possible qu'en effet cela alimente cette haine, mais il faut savoir se battre sur deux fronts : je dénonce le communiqué du Crif, mais je n'accorde aucune espèce d'excuse à cette forme d'antisémitisme.


Finkielkraut interviewé par Élisabeth Lévy, RCJ Causeur, le 10 décembre 2017

Élisabeth Lévy : il l'avait promis il l'a fait. Proclamant qu'il était temps pour l'Amérique de reconnaître officiellement Jérusalem comme la capitale d'Israël, Donald Trump en a donné une traduction concrète, loin d’opter comme Bill Clinton [pour le report] et [comme cela a été] confirmé par Barak Obama. Cette décision qui n'aura probablement pas de conséquences majeures sur le terrain, n'en revêt pas moins un poids symbolique considérable pour les Palestiniens dont la cause avait quitté les écrans médiatiques et qui voient leur société se désagréger. C'est une humiliation, et pour la totalité des chancelleries un coup de force hasardeux qui aura pour effet de bloquer tout espoir de paix. Les régimes arabes proches d'Israël, l’Arabie Saoudite, l'Égypte, la Jordanie, risquent de se retrouver en porte-à-faux avec leurs opinions.
Mais pour beaucoup d'Israéliens ainsi que pour de nombreux Juifs en France et dans le monde, cette reconnaissance atteste du lien historique qu'il les unit à Jérusalem après la révoltante décision de l'Unesco en mai 2017, qui nie toute présence juive dans Jérusalem. Le tombereau habituel d'imprécations anti israéliennes suscité par l'annonce de Trump ne peut que les conforter dans la certitude qu'ils sont seuls, seuls avec l'Amérique. Reste que ni la présence historique, ni l'attachement métaphysique ne suffisent dans un monde de droit à fonder la légitimité politique. Les Palestiniens, on l’a dit souvent, ont été encouragés par leurs bons amis dans un jusqu'au-boutisme qui a fait leur malheur. Je vous demanderai, Alain Finkielkraut, si Trump n'est pas pour les juifs et pour Israël un ami empoisonné(…)
Je rappelle tout de même que dans son discours dans lequel il a proclamé cette reconnaissance, il a aussi affirmé qu'il était favorable à deux états. Je vous laisserai parler du discours Alain Finkielkraut. Il n'y a pas eu d'embrasement pour l'instant même s'il faut être prudent, le Hezbollah ayant appelé à une grande manifestation demain, Benyamin Netanyahou est à Paris et Emmanuel Macron lui fera part certainement de sa désapprobation. Le Crif en revanche, lui, s'est engagé très fermement en faveur de la décision de Donald Trump. Alors, vu que nous sommes en France, est-ce que vous êtes d'accord avec cette désapprobation.
Finkielkraut : Rompant avec la pratique des présidents américains qui reportaient d'année en année l’Embassy Act voté en 1995 par le Congrès, le président Trump a donc décidé de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël et de transférer l'ambassade américaine. Ce choix, alors que le processus de paix est au point mort, va compromettre le rapprochement d'Israël et des pays sunnites face à l'ennemi commun, l'Iran. Il va renforcer l'extrémisme palestinien, provoquer sinon une deuxième intifada, du moins un regain de violence et remettre ainsi les Israéliens, civils et soldats, en danger plus qu'ils ne le sont déjà. Merci du fond du cœur M. Trump, bravo pour le timing.
La plupart des Juifs français ont le souci d'Israël, il est donc parfaitement normal, parfaitement légitime, que le crif, Conseil représentatif des institutions juives de France, exprime ce souci. Mais, cela ne doit pas en faire une deuxième ambassade, le Conseil représentatif des intérêts de Benyamin Netanyahou en France. Le Crif ne joue pas son rôle en demandant au président de s'aligner sur une position du président américain. Par cette préconisation, le Crif alimente l'odieuse propagande de tous ceux qui identifient les Juifs de France quels qu'il soient à la droite israélienne.
Il reste, je dois le dire, que l'indignation suscitée dans le monde arabe musulman par la déclaration de Donald Trump a quelque chose de terrifiant. Vous l'avez souligné, Trump a bien pris soin de spécifier que les limites spécifiques de la souveraineté de Jérusalem sont très sensibles, et que le statut final doit être négocié entre les différentes parties. Il a réaffirmé le soutien des États-Unis au statu quo concernant le Mont du Temple connu sous le nom de Haram al Sharif. Il s'est dit prêt enfin à soutenir une solution à deux états dans le conflit entre Israéliens et Palestiniens. Et de Kaboul à Istanbul, la rue musulmane répond par un appel à la mobilisation pour la libération de Jérusalem, pas le partage, la libération. Dans son livre, « Quel avenir pour Israël », Shlomo Ben Ami rapporte la discussion qu'il avait eue lors des négociations de Camp David avec le négociateur palestinien Saeb Erekat. « Nous avons débattu de la question du Mont du Temple car la partie palestinienne prétendait que le Temple n'avait jamais existé, que tout cela était une blague. » Ce négationnisme a été tout récemment officialisé par une résolution de l'Unesco répudiant tout lien historique entre les Juifs et Jérusalem. On est donc aujourd'hui partagé entre deux craintes, la crainte de l'isolement et celle que m'inspire l'imbécillité de la politique américaine, celle que m'inspire le fanatisme islamique.
Élisabeth Lévy : Mais en même temps les Israéliens eux-mêmes quand ils disent « Jérusalem capitale unifiée » de l'État d'Israël ne font pas vraiment droit non plus. Vous dites que les Arabes ne veulent pas partager Jérusalem. Quand on entend les Israéliens parler, ils n'ont pas l'air de vouloir la partager non plus. Bien sûr qu'il y a l'accès aux lieux religieux, c'est tout à fait vrai, et ce n'était pas le cas sous souveraineté arabe, mais ils n'empêche, les Israéliens ne font pas droit à cette demande palestinienne.
Finkielkraut : non les Israéliens, il ne faut pas dire les Israéliens mais des Israéliens. Les Israéliens sont divisés et la plupart d'entre eux, sauf Eyal Sivan et Michel Warschawski, la plupart des Israéliens pensent en effet que Jérusalem est la capitale d’Israël et de facto, Jérusalem est la capitale, la Knesset siège à Jérusalem, le gouvernement siège Jérusalem, mais un certain nombre d'Israéliens sont prêts, disent aussi, que Jérusalem Est peut-être dans le cadre d’un règlement négocié, la capitale de l'État palestinien à venir. Simplement, Naphtali Benett qui représente un certain nombre d'Israéliens applaudit Trump, et va plus loin que lui. Il pense que c'est un premier pas, parce que pour Naphtali Benett et les Israéliens qui sont d’accord avec lui, Jérusalem est la capitale indivisible d'Israël.
Élisabeth Lévy : Il ne l'a pas dit.
Finkielkraut : Justement, à la différence de Trump. Trump pour lui a fait un premier pas, et il [Benett] ne veut pas non plus restituer de territoires. Il veut poursuivre la colonisation, c'est-à-dire que ce faisant Naphtali Benett œuvre à ce que les Juifs soient minoritaires dans leur propre État. Et donc je pense qu’à cet égard que Amos Oz à raison de dire que le gouvernement auquel il participe et dans lequel il a une voix prépondérante, est le plus antisioniste de l'histoire d'Israël. Et je pense toujours à cette phrase d’Ari Shavit, dans son livre extraordinaire « Ma terre promise » : ou Israël mettra fin à l'occupation, où l'occupation mettra fin à Israël. Certes le partenaire n'est pas fiable, certes il y a des risques à courir, mais nous sommes placés aujourd'hui devant cette alternative.
Élisabeth Lévy : Je voulais vous faire remarquer que peut-être en plus le moment était très favorable à Israël. Il n'y a pas une pression diplomatique réelle sur Israël en ce moment. On voit bien que Netanyahou est tout de même reçu à Paris aujourd'hui, il n'y a pas de pression pour le faire aller dans un processus, il y a cette alliance sunnite. Donc effectivement, le paysage était plutôt favorable. Je voulais attirer votre attention justement sur une chose que Gil Mihaely m'a fait remarquer, qu'il y a eu un rapport, une étude, faite par des anthropologues ou des sociologues assez sérieux, récemment, qui disait que la société gazaouie, qui avait tenu bon assez longtemps, était en train de se désintégrer, qu'il y avait beaucoup d'abus d'enfants, des marqueurs, que les familles étaient en train de se désintégrer. Est-ce que vous craignez un embrasement, est-ce précisément que vous croyez qu'il y a vraiment en Israël une capacité aujourd'hui pour aller de nouveau vers de nouvelles discussions ?
Finkielkraut : je ne sais pas, j'ai bien peur que non. J'ai bien peur que le gouvernement Israélien actuel ne veuille pas négocier parce qu'il n'a rien à proposer. Il se réjouit du fait qu'il n'a pas de partenaire car s’il en avait un, ce gouvernement, je dis bien ce gouvernement, serait bien embêté. Peut-être pas Netanyahou tout seul, mais ceux qui le soutiennent. J'ai le sentiment que le premier ministre israélien veut se maintenir au pouvoir à tout prix, donc il est un peu le prisonnier de sa coalition. Et quant à savoir s'il y aura ou non un embrasement, ce n'est pas à moi de le dire, mais en effet on peut craindre en tout cas un regain des attentats terroristes. Et là encore, cette désintégration de la société gazaouite, on ne doit pas l'imputer à Israël et à Israël seulement. Elle est inquiétante pour Israël, mais les Israéliens se sont retirés de Gaza, il revenait au gouvernement de Gaza de tout faire pour assurer à ses ressortissants, à ses citoyens, une vie décente. Ce gouvernement a choisi la voie de l'affrontement, il s’est condamné lui-même au blocus. Il est le premier responsable de la désintégration de la société.
Élisabeth Lévy : … qui comme vous l’avez dit est inquiétante pour Israël. Dernière question Alain Finkielkraut. J'ai parlé de la réprobation d'Israël. Il m'a semblé néanmoins qu'elle était peut-être parce que les gens s’intéressent moins à ce conflit malgré tout, qu’elle était un tout petit peu plus mesurée, y compris dans les médias. Est-ce que c'est votre sentiment ?

Finkielkraut : dans les médias oui, la désapprobation évidemment est générale, mais cette désapprobation ne débouche pas sur l'indignation. On verra s'il y a des manifestations, on verra comment réagiront les quartiers populaires, si on fera la vie plus difficile aux Juifs encore qu'elle n'est déjà dans ces quartiers. Mon inquiétude porte sur le monde musulman. Voir des manifestants à Kaboul, en Irak, en Indonésie même, c'est très inquiétant, parce qu'on a l'impression que la Palestine n'est pas une nation composée de chrétiens et de musulmans, mais le fer de lance du monde islamique tout entier. Alors est-ce que la Palestine c'est 1 milliard d'habitants ou non ? Voilà aussi la question que je me pose avec une certaine terreur.

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