Dans une théocratie, les manifestations politiques ont toujours des liens avec la religion.
La couverture des récents événements dans la République islamique d'Iran a mis l'accent sur les conséquences des frustrations économiques de la population sur la situation politique du pays. Mais dans une théocratie, tout bouleversement politique a inévitablement des implications sur le terrain de la foi. Les Occidentaux qui ont suivi la récente vague de manifestations doivent donc prendre en compte une série de questions religieuses importantes.
L'identité religieuse de la République islamique est-elle en phase de transition? En Iran, l’islam perd-il son attrait en tant que force politique unificatrice? La laïcité augmente-t-elle? Les clercs iraniens sont-ils disqualifiés en tant qu’intermédiaires entre Dieu et l'homme?
La République islamique a été une valeur importante dans le Moyen-Orient musulman depuis 1989, année de la mort de l'ayatollah Ruhollah Khomeiny, le père fondateur de la révolution et l'une des personnalités les plus charismatiques de l'histoire islamique. Alors que les États arabes et la Turquie renforcent aujourd’hui leur identité religieuse et leurs options fondamentalistes, l'Iran va dans la direction opposée. Ce que les Européens ont découvert douloureusement et lentement pendant la Renaissance et la Réforme, les Iraniens sont en train de l’apprendre plus vite: l’ordre religieux se sécularise. Si en Iran l'Islam embrasse tout, alors il n'est plus rien.
La République islamique est née de deux aspirations contradictoires qui ne peuvent coexister pacifiquement: la théocratie et la démocratie. Si toute action politique dissidente peut être qualifiée de moharebeh, ou de guerre contre Dieu, alors quelle place reste-t’il dans la République islamique pour un débat politique sain? Pour dire les choses crûment, mais pas à tort, la gauche iranienne depuis des décennies a voulu investir le peuple d’une autorité ultime, alors que la droite a cherché à contrôler les mandats électoraux par des procédés administratifs. La droite iranienne a démoli le réformisme de gauche organisé entre 1999, lors des émeutes déclenchées à Téhéran par des étudiants en mal de liberté d’expression, et 2009, au moment où le Mouvement Vert pro-démocratie a été écrasé.
Alors que la droite avait l'avantage physique et répressif, la critique de gauche du régime clérical a triomphé. Il il n’existe pas de grand clerc, philosophe, ou écrivain iranien, qui puisse attirer des foules nombreuses avec une brillante défense de la dictature cléricale. Mais beaucoup de penseurs pourraient remplir un stade avec des critiques foudroyantes de la dictature religieuse - si elles étaient autorisées.
La gauche iranienne a élaboré des analyses critiques sophistiquées de la loi religieuse et de sa difficile intégration dans la gouvernance démocratique. Il y a eu des études tranchantes sur l'affrontement entre les civilisations occidentales et islamiques, et sur la nécessité pour les musulmans d'admettre les défauts d’ordre moral et spirituel de leur foi. Le mieux que pouvait faire la droite cléricale, c’était de miser sur l’un de ses membres, le président Hassan Rouhani. Bien que qualifié de "modéré", M. Rouhani reste le fondateur du service de renseignement meurtrier de la République islamique. En tant que président, il a promis une version islamique iranienne des recettes du communisme chinois: une croissance économique dynamisée en échange de l'acceptation du régime. Un fond sonore omniprésent, hostile à M. Rouhani et à la République islamique, indique clairement que le président a échoué.
Le système des mollahs est bloqué: Il ne peut pas se transformer en une véritable démocratie, et il ne peut pas ressusciter le militantisme religieux qui avait naguère servi de socle la théocratie et attiré des dizaines de milliers de nouvelles recrues dans le clergé. Faute d’ouvrir la route du pouvoir et de la richesse, les inscriptions aux séminaires iraniens ont fondu comme neige au soleil. L’impératif commun d’une mission révolutionnaire à accomplir – le combat pour l'égalité, la justice, la fraternité et le martyre - semble désormais lointain.
Peu d'organisations portent encore le flambeau révolutionnaire. Les Gardiens de la révolution sont prêts à tuer et à mourir en Syrie. Le Bassidj, une force de «mobilisation» de voyous armés de battes de base-ball sous le commandement des Gardiens, était prêt à tuer ses compatriotes pour préserver l'État clérical. Mais son engagement est ressenti comme extrémiste, précisément parce que la société iranienne dans son ensemble a évolué.
Partout en Iran les mosquées sont vides aux heures de prière. En 2015, un commandant des Gardiens de la révolution, Ziaeddin Hozni, a révélé que seules 3000 des 57 000 mosquées chiites du pays étaient pleinement opérationnelles. Et sur les 3000, certaines ne fonctionnaient que pendant les mois religieux du Ramadan et de Muharram. Les Chiites sont généralement moins assidus que les Sunnites dans la fréquentation de la mosquée, mais le manque de participation est frappant dans un État explicitement chiite dirigé par des mollahs.
Il ne faut pas sous-estimer l’influence de ces tendances sur les manifestations. L'emploi des jeunes et le prix toujours croissant des denrées alimentaires comptent. Mais il y a plus important encore. C’est l'effondrement de la mission civilisatrice de la révolution aux yeux des enfants de niveau universitaire de l'élite dirigeante, comme à ceux de la classe ouvrière urbaine peu éduquée. Rien dans l'accord nucléaire ne peut ressusciter le sentiment de fraternité qui unissait les Iraniens. Les bouillonnements actuels pourraient bien ne pas suffire pour renverser les mollahs. Pourtant, comme le grand historien médiéval Ibn Khaldoun l’avait souligné, il y a toujours une asabiyya, une force galvanisante supérieure, en attente à l’extérieur de la capitale, qui accumule une énergie irrésistible.
Titre
original : The Secular Republic of Iran
Auteur : Reuel Marc Gerecht, analyst popitique ,
membre de la Foundation for Defense of Democracies
Date de publication : 4 janvier 2018 The WallStreet Journal
Traduction : Jean-Pierre Bensimon
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